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Entretien avec Olivier Truchot

 Originaire de Dijon, en Côte-d’Or, il gère une carrière multiple. Il transmet son art (du piano) au Conservatoire de Chalon-sur-Saône, et continue sa route de scène, au travers de beaux projets…

 

Olivier Truchot

Imitation, Assimilation, Création, et puis… rencontres…

 

Michel Martelli : Les débuts de carrière sont souvent inédits… Les tiens, c’était comment ?

Olivier Truchot : Jouer vraiment du piano, devant un public ? A seize ans. C’est là que ma carrière va commencer, quand, à cet âge-là, je jouais dans des bars ou des restaurants, où tu pouvais encore trouver à l’époque des pianos dedans ! Mais il faut un peu remonter en amont…

Je n’ai pas eu de parents musiciens. Pourtant, un jour, ma mère, qui était secrétaire, décide de prendre des cours d’orgue – les orgues Yamaha fréquentes* à ce moment-là. Elle en ramène un à la maison et, en fait, c’est moi qui vais l’utiliser le plus ! On pouvait trouver, dessus, quelques petits arrangements. Le reste, c’est mon oreille qui l’a fait. En réalité, j’ai très joué le côté « ludique » pour apprendre. Du reste, encore aujourd’hui, j’ai du mal à jouer ce qui ne me plaît pas… et cet esprit, j’essaie de le transmettre à mon tour à mes élèves du Conservatoire… Donc, tu vois, mes débuts à l’orgue, c’était vers cinq ou six ans. Et j’étais un véritable électron libre. Sans contraintes. Toujours en restant dans le plaisir du jeu…

M.M. : C’était loin d’être suffisant, quand même…

O.T. : J’arrivais à jouer certains petits morceaux, mais oui, il me fallait une école. On en a tenté une, mais cela n’a pas marché. Et puis ma route va croiser celle de Philippe Poisse, qui était un pianiste dijonnais et qui a été mon professeur pendant quelques mois. On ne peut pas dire qu’on était très forts quant à la régularité, par contre, il m’a appris « la grille » du blues, et un peu de boogie-woogie. Philippe était très « jazz ». Et quoi de plus ludique que le blues, et d’improviser sur ses douze mesures ? Tout – ma formation, ma dextérité – est parti de là avec quand même, tu l’auras compris, une grosse partie en autodidacte après que l’on m’ait montré le bon chemin. Et on peut dire que le hasard a beaucoup compté aussi, dans mes débuts, parce que ma mère a très vite abandonné la pratique de l’orgue, elle.

M.M. : Arrive ton adolescence. Et là, ça va bouger un peu plus ?..

O.T. : Au collège que je fréquentais, il y avait des classes « musicales », mais je n’y étais pas. En revanche, alors que j’ai douze ans, je vais croiser un clarinettiste qui était au Conservatoire, et je vais avoir envie de l’accompagner. On s’est rendu compte que la sauce prenait, du coup, on a continué. Lorsque mes seize ans arrivent, ce sont les élèves eux-mêmes qui m’ont poussé à aller jouer dans les restos et les bars. On y est donc allé, mon clarinettiste et moi et, si j’ai eu un peu d’appréhension aux débuts, nous avons tourné, pendant deux ans, tous les vendredis et les samedis. C’est ce qui a fait notre « répertoire », c’est ce qui a fait notre progression. Et, en commençant, on ne maîtrisais que deux ou trois standards ! Mais c’est vite monté en puissance. Tu sais, jouer en public, ça aide bien. La conscience professionnelle prend vite le pas sur le ludique ! A partir de là, je vais commencer à rencontrer d’autres musiciens. Et mon jeu va se développer encore plus…

M.M. : Quel est ton état d’esprit, à ce moment-là, vis-à-vis de la musique ?

O.T. : Là, je me rends compte que je peux très bien en faire mon métier. Sur l’école, version classique, j’avais, je crois, déjà baissé les bras. Pourtant, musicalement, je savais mes lacunes, et je ressentais cette fois le besoin d’un professeur. Alors que je suis en Terminale, je vais partir sur Lyon et, à Lyon, je vais rencontrer Mario Stantchev. Mario, qui est Bulgare, était professeur de piano au Conservatoire de Lyon, et aussi dans une école de jazz, AIMRA. Je me dois de dire qu’à cette occasion j’ai un peu mis mes parents devant le fait accompli…

Mario s’est très vite aperçu que je ne savais pas lire la musique donc, à partir de là, je vais faire une année l’école AIMRA, suivie de trois ans au Conservatoire de Lyon. Un temps pendant lequel j’étais majoritairement enfermé dans mon appartement, avec un piano quand même. J’avais aussi deux compagnons de route, Thierry Chabenat qui était vibraphoniste et Christophe Lincontang qui était contrebassiste. Tous les trois, on s’était mis comme challenge d’apprendre par cœur énormément de standards. On jouait de neuf heures à dix-huit heures. On n’allait quasiment pas aux autres cours. Mais on avait une telle énergie collective… et chacun assimilait à son rythme. J’en garde le souvenir d’une très belle expérience… Pour la petite histoire, Thierry – qui ne pensait pas percer avec son instrument – est aujourd’hui boulanger bio du côté de Concarneau. Ça a été très difficile de nous séparer. On s’était produits sur les côtes, pendant l’été. Alors oui, on faisait la manche, mais ça nous a permis aussi de passer de super étés…

M.M. : Et puis… première rencontre…

O.T. : Avec Alain Richard. Alain, qui est batteur – il a joué avec Tété Montoliu – nous a pris sous son aile. Il voulait remonter un groupe, et il nous a appelés, Christophe et moi. Il nous a fait tourner pendant cinq ans. Alain avait le profil type du commercial, tu vois, avec beaucoup de relations. On a fait quatre-vingt-dix dates par an pendant cinq ans. Oui, je peux dire qu’il nous a bien formés, lui aussi. Très fort, pour notre préparation et, crois-moi, on l’écoutait ! Il nous a trouvé des plans extra, comme à l’Hôtel d’Angleterre de Genève, par exemple, ou, deux à trois fois par an, des tournées dans le sud de la France (au « Pêle-mêle », au « Fort Napoléon » de La Seyne sur Mer, ou encore au Jazz-Club de La Ciotat) et puis ensuite, on « passait » en Espagne, à Madrid, à « La Solea », qui faisait jazz et flamenco. On a vraiment vu de belles choses…

Le trio que l’on avait monté s’appelait « A.O.C ». On a joué, à Genève, derrière Peter Gabriel et, à Radio-France, derrière Richard Galliano. Dans ce trio, tout était très fusionnel. Peut être trop. Il est arrivé un jour où il a bien fallu « couper le cordon »…

M.M. : Compliqué, parce qu’Alain était une pièce maîtresse dans ta carrière ?…

O.T. : Sans doute. Mais, ce que j’ai omis de te dire, par rapport à Mario Stantchev… : c’est quand même lui qui m’a appris à « poser mes doigts sur un piano ». Avec Mario, aussi, on a fait des tas de duos au piano. J’enregistrais tous nos cours, j’apprenais par mimétisme. Et puis Mario s’adaptait, ce qui n’est pas donné à tout le monde. J’essaie, aujourd’hui, de transmettre ça à mon tour, pour mes élèves : trouver la bonne méthode pour chacun d’entre eux. Au cas par cas, si tu veux. Je suis revenu là-dessus parce que Mario a vraiment été quelqu’un qui a compté énormément dans ma vie. On continue à se voir, aujourd’hui, nous avons un duo orgue-piano ensemble. Je crois que c’est le musicien qui a formé le plus de pianistes en Rhône-Alpes. Et puis il fait, dans son jeu, des choses exceptionnelles. A la fois venant de son apprentissage dans la dure école bulgare, et à côté venant de son amour pour Art Tatum ou Thelonious Monk. Un homme d’une richesse extraordinaire…

Je reviens maintenant à notre trio. On voulait en fait changer d’horizon. C’est à partir de là que mes rencontres musicales ont commencé à devenir déterminantes. Si tu veux, pendant toutes mes années d’études, mon adage a été « Imitation – Assimilation – Création ». Toutes mes racines sont entre ces trois mots. Par la suite, sur le marché de la musique, les rencontres ont pris le pas sur cet adage. Chacune de mes rencontres m’a entraîné sur une nouvelle route…

M.M. : Tu peux nous en dire un mot ?

O.T. : Bien sûr. Donc, après l’ère « Alain », j’ai mené ma carrière en solo, même s’il m’arrivait de jouer au sein d’un trio, au « Hot Club » de Lyon par exemple. Dans divers contextes, et en tant que sideman dans de nombreux cas. Comme par exemple dans le Big Band de Georges Robert – le saxophoniste qui a joué avec Phil Woods, ou dans le groupe de Marc Thomas, avec qui j’étais très pote, pendant une dizaine d’années jusqu’à sa mort.

Toujours comme sideman, j’ai accompagné la chanteuse Claire Geraghty également. Une belle personne. Comme remplaçant, j’ai côtoyé Daniel Mille, et beaucoup de musiciens américains, de passage en France, comme Greg Abate – sax  – à Jazz à Vienne, Gene Perla – le bassiste d’Elvin Jones – , Roland Guérin, de La Nouvelle-Orléans ou encore Ralph Moore, Eddie Daniels, Gary Smulyan, la chanteuse Lavelle – elle aussi décédée aujourd’hui – qui, outre sa performance dans le gospel, jouait aussi divinement du piano….

Durant cette période, je jouais, en plus, de l’orgue Hammond…

M.M. : Ton actualité, aujourd’hui, Olivier ?

O.T. : Plusieurs projets sont actuellement en cours. D’abord, je suis le pianiste du groupe « Bigre! », un groupe qui existe depuis une douzaine d’années dans lequel j’entame, moi, ma troisième année. « Bigre! » est emmené par Félicien Bouchot.

Je joue aussi dans le « We-5 », un quintet, donc, avec Michael Cheret, au sax ténor, Andréa Michelutti, à la batterie, et Brice Berrerd à la contrebasse. Le cinquième ? C’est un invité, parce que le groupe fonctionne ainsi, en l’occurrence Jim Rotondi, le trompettiste new-yorkais qui a fait partie de « la bande » à Ray Charles… On accompagne aussi le sax-ténor Scott Hamilton. On avait démarré une tournée mais….. vu les circonstances.

Je joue également dans le quartet – purement américain celui-là –  de Steve Carrington, avec le contrebassiste Ameen Saleem, et le batteur Montes Coleman. C’est tout récent et là aussi, les dates prévues se sont annulées avec le Covid 19.

Les tournées reprendront en début 2021.

Quant aux groupes dans lesquels je suis « leader », je peux te citer le trio « Strings on T.O.P. » où je suis accompagné par Thibaut François à la guitare et Patrick Maradan à la contrebasse. Le trio invite la chanteuse australienne Hetty Kate et on enregistre un album en ce moment…

Et puis, on a parlé de rencontres importantes, je ne peux passer sur celle avec Zaza Desiderio. Qui me permet de garder un pied dans « le jazz aux origines mélangées ». Le jeu de Zaza me permet de jouer un tel jazz. Nous sommes résidents à la jam du « Sirius ». Le groupe s’appelle « Garrafa Jazz », et nous accompagnent : Jon Bouteiller, au sax, Ruben Antunez à la trompette et Damien Varaillon à la contrebasse. Nous avons fait un album « live » ensemble.

Comme tu le vois, la belle aventure continue…

Propos recueillis le jeudi 09 avril 2020

 

Olivier Truchot est membre du Conseil d’Administration du Hot Club de Lyon, qui est son club de jazz de cœur. Afin qu’il perdure, et que les « bœufs » puissent continuer à s’y créer. Une porte ouverte à TOUS les artistes de jazz.

Il est aussi le parrain, depuis quinze ans, du Festival de Jazz de Fareins, dans l’Ain (en face de Villefranche-sur-Saône).

Rien d’étonnant à ces deux dernières appartenances et l’esprit qui y préside : Olivier Truchot a un cœur « grand comme ça »…

 

* NdlR: Orgue est masculin au singulier et féminin au pluriel !

 

Discographie :

  • Olivier Truchot Organ Trio
    • 2011
  • Olivier Truchot Organ Trio & Rob Bonisolo 
    • Live – 2012
  • George Robert Jazz Orchestra & Ivan Lins
    • Abre Alas – 2012
    • George Robert Jazz
  • Strings on T.O.P.
    • Phineas – 2016
  • Garrafa Jazz 
    • Live in Lyon 2016
    • 2018 – Studio Session
  • We Five & Jim Rotondi
    • 2017 – Take One
  • Blaxtream
  • à Venir :
    • Strings on TOP & Hetty Kate, 
    • Bigre ! : Tumultes
    • Alan Jones 5tet
    • Olivier Truchot Piano solo

 

Olivier a collaboré avec les musiciens suivants : Walt Weiskopf, Scott Hamilton, Ralph Moore, Rob Bonisolo, François Théberge, Irving Acao, Georges Robert, Bob Mintzer, Eddie Daniels, Greg Abate, Géraldine Laurent, Daniel Huck, Jean Toussaint, Jim Rotondi, Flavio Boltro, Denis Leloup, Michael Felberbaum, Leonardo Amuedo, Tony Petrucciani, Ivan Lins, David Linx, Larry Brown, Marc Thomas, Lavelle, Sandy Patton, Nathalia M.King, Hetty Kate, André Ceccarelli, Lukmil Perez, Felipe Cabrera, Reggie Jonhson, Gene Perla, Daniel Mille, Jean Louis Trintignant, Keystone Big Band.

Voir le le site oliviertruchot.com

Ont collaboré à cette chronique :