Chronique où l’on reparle de la batterie au féminin en compagnie d’une amoureuse de ce merveilleux courant de La Nouvelle-Orléans, qui aura tant apporté au jazz. Son parcours est rempli de beaux voyages, au cours desquels elle aura su faire s’exprimer son instrument.
Entretien avec Ophélie Luminati
La batterie ? Une pourvoyeuse d’émotions terrible !
Michel Martelli : Ophélie, apparemment, la musique s’est invitée très tôt dans ton univers ?
Ophélie Luminati : Déjà, je suis née à Montauban, ville de jazz s’il en est – à l’époque – puisque Hughes Panassié y habitait, et que le Festival de cette ville faisait venir les plus grands noms du jazz, y compris américains. De plus, mon père est musicien : il joue du tuba, et du trombone. Et même s’il est musicien classique, il aime aussi beaucoup le jazz. Il est aujourd’hui retraité mais il a été longtemps professeur au Conservatoire de Montauban.
Toujours est-il que mon père et ma mère ont très vite voulu que je fasse de la musique. Que je vais aborder, alors que j’ai quoi ?… Quatre/cinq ans ? dans une classe d’éveil, au Conservatoire. Côté instrument, c’est par la clarinette que je commencerai, mais c’est un instrument que j’abandonnerai très vite, à cause du solfège. Puis, jusqu’à mes huit ans, je continuera par le piano, avec, cette fois, des cours privés.
Et puis, peu après, j’arrête tout ! Vraiment. A ce moment-là, j’étais à fond dans le sport. Et il se passera six ans comme ça, sans musique. A quatorze ans, alors que je suis au collège, je vais avoir Madame Saint-Roma comme professeure de musique. Elle avait eu la très bonne idée d’installer une batterie dans sa classe, pour nous faire travailler le rythme ; ce que nous avons fait, souvent sur des musiques de Jean-Jacques Goldman qu’elle devait adorer.
Mes premières armes se feront donc sur du Goldman mais, au-delà de ça, je peux dire que cette première prise de contact avec l’instrument en lui-même aura été un coup de foudre absolu.
M.M. : Un voile se déchirait ?
O.L. : En un sens. Tu vois, je crois que j’ai toujours été, au fond de moi, passionnée par la musique, qui m’a toujours propulsée dans des émotions folles. Avec la batterie, ce sentiment s’exacerbait : j’avais maintenant la possibilité de me greffer sur ces musiques, et de leur imprimer du rythme. C’était génial ! En vérité, je crois que la batterie a toujours été présente en moi, mais j’ai mis longtemps pour lui accorder la place qu’elle a maintenant. Je n’osais pas franchir ce pas.
Après Madame Saint-Roma, mon premier professeur de batterie sera Arnaud Vila. Via des cours particuliers que je prenais sur Montauban, toujours. Et ça se passait bien, très bien même. Entre l’instrument et moi, ça devenait obsessionnel. Après seulement trois mois d’enseignement, je faisais mon “premier concert”, avec des potes du collège – nous avions quatorze ans – et nous jouions du rock ! A partir de ce moment-là, je me suis rarement arrêtée de jouer. J’invitais beaucoup de monde à la maison, pour des jams. Et Arnaud restera mon professeur jusqu’à mes dix-huit ans.
M.M. : Et là ? Nouvelle expérience de groupe…
O.L. : Oui. En fin de collège, je vais monter un groupe avec Sandrine Hubert, qui est guitariste. Ce sera un duo guitare-voix, dans lequel je chantais mais aussi je jouais de la guitare folk. J’écrivais mes textes, à ce moment-là et aussi, bien sûr, j’ai eu envie d’évoluer à la batterie, avec ce groupe-là. Du coup, nous l’avons fait grandir, il a pris de l’ampleur et il est devenu “The Ashbury Girls”, un quartet, donc, qui, en plus de Sandrine et moi, réunissait Mathilde Craissac à la basse et Lisa Piazzoli à la voix. Ce groupe a gagné quelques tremplins, fait pas mal de concerts dans des clubs de notre région, je dirais une bonne quarantaine. Je trouvais ça génial comme première expérience de scène, de sonorisation, de studio. Le quartet a duré deux ans et demi.
Après cette belle expérience, j’ai beaucoup joué avec le contrebassiste Georges Storey, et le pianiste Pierre Fabien. Ensemble, on “jammait” beaucoup : jazz, musiques improvisées, drum and bass… C’est aussi avec eux que je découvrirai Marciac, où nous sommes allés souvent.
M.M. : Que se passe t-il, à tes dix-huit ans ?
O.L. : A dix-huit ans, j’ai passé mon Bac option musique au lycée Michelet de Montauban et je vais mettre le cap sur Toulouse, pour entrer en Fac de musicologie, celle de Toulouse-Le Mirail. En option “jazz” bien sûr. Là-bas, il y avait de super profs, j’y ai beaucoup appris. Pourtant, je m’arrêterai en deuxième année. Pourquoi ? Parce qu’en parallèle, je m’étais inscrite au Conservatoire de Toulouse, en classe de batterie, sous la direction de José Fillatreau – lui-même super batteur. José dirigeait aussi la classe de jazz dans laquelle je m’étais inscrite. Il aura vraiment été un maître, pour moi, et il m’apportera beaucoup, pendant les cinq années qu’aura duré notre “collaboration”.
Dès mon arrivée à Toulouse, aussi, je vais entrer dans le groupe “Le Bardi Manchot”, un groupe qui démarrait tout juste, et qui se cherchait encore un batteur. Un groupe très “jazz New-Orleans” qui se produisais dans les rues. C’est tout naturellement que je les ai rejoints, d’abord avec ma seule caisse claire. Dans cet ensemble, je jouais avec le saxophoniste Aurélien Tomasi ; les guitaristes Luc Allière et Joë Santoni ; Quentin Bardinet au banjo ; Nicolas Vezzoni à la trompette ; Rémi Souyris à la clarinette et Pierre-Jean Méric à la contrebasse. Ensemble, nous avons énormément joué, et j’ai pu développer cette passion que j’ai pour cette musique, pour ce jeu de La Nouvelle-Orléans – ville où j’aurais la chance d’aller, plus tard.
Je suis restée six ans, dans ce groupe. Je crois que c’est là que j’ai véritablement “appris le métier”. Il restera une rencontre des plus importantes, un vrai “socle”. Et il m’arrive encore souvent de partager la scène avec Joë, ou Pierre-Jean.
Bien sûr, j’étais, à cette époque, sur plein d’autres projets, mais aucun de l’importance de celui-là.
M.M. : A vingt-quatre ans, nouvel envol…
O.L. : A vingt-quatre ans, j’ai obtenu mon DEM Jazz et mon Prix de batterie. J’ai alors décidé de partir, pendant toute une année, au Canada. Ce n’était pas une découverte, puisque nous y avions joué, quelques temps auparavant, avec le Bardi Manchot. Pendant ce séjour, j’ai développé à fond le côté “sidewoman” du boulot. J’ai, encore, beaucoup joué, j’ai enregistré des albums avec les groupes que j’accompagnais, et puis je me suis spécialisée dans ce jazz traditionnel qui me plaisait tant. Et c’est comme ça, comme je te disais tout à l’heure, qu’avant de revenir sur la France, je me suis fait une petite escapade à La Nouvelle-Orléans, où je suis restée tout un mois. Un mois pendant lequel, tu penses bien, la musique a été présente vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Et puis, retour sur Toulouse. Enfin, dans les environs puisque je m’étais “posée” à la campagne, avec l’idée quand même de repartir sur Montréal. Mais ça n’a pas pu se concrétiser, par contre, ici, on commençait à m’appeler pour faire partie de tel ou tel projet. Ce que je vais accepter, bien sûr, mais du coup, ça me fermera la porte canadienne. C’est à cette période que le “Buddy Jazz Club” s’est monté – où je suis à la batterie, où je vais rejoindre “Lioness Shape” – que tu as évoqué avec Maya Cros, sans compter tout le “réseau” New-Orleans” qui va faire appel à moi pour aller jouer un peu partout en Europe, et ailleurs.
C’est via ce réseau – et surtout le “Bardi” – que je pourrai aller jouer au Portugal, en Espagne, en Irlande, en Belgique, en Grande-Bretagne, au Luxembourg, mais aussi en Turquie ou au Togo.
M.M. : Et puis, maintenant… Paris.
O.L. : Oui. Après la période “Covid”, j’ai pris la décision de m’installer à Paris. L’année dernière. Je suis tout de suite (tu t’en doutes) entrée dans le réseau parisien du jazz traditionnel, dans lequel j’ai très vite trouvé ma place et où je me produis régulièrement aujourd’hui.
A côté de ça, un trio a vu le jour. Un trio dans lequel je me suis entourée de musiciens de Montpellier. Auguste Caron est au piano, et Ezéquiel Celada au saxophone, et à la clarinette. Ce trio s’appelle “The Rag Messengers”. C’est chouette parce que nous avons tous les trois cette culture du jazz des années vingt, aux années cinquante. Tu remarques que c’est un trio sans basse, comme il s’en faisait souvent à cette époque-là. Nous reprenons le répertoire de ces années, mais nous composons aussi. Et nous venons d’enregistrer un album, sur lequel nous avons convié des chanteurs, un album qui compile des chansons françaises des années quarante à soixante, arrangées en version ragtime, swing, new-orleans. Nous avons aussi fait pas mal de scènes.
Parmi mes autres projets aussi, je voudrais te citer le septet “Joë Santoni and his rythm club” qui, là aussi, sublime la musique des années trente. Joë y est à la trompette ; Philippe Lambrechts à la clarinette et au saxophone ; tout comme Rémi Fahed ; Pablo Burchard est à la contrebasse ; Antoine Bonvoisin à la guitare et Jean-Baptiste Franc au piano. J’ai rejoint ce groupe il y a un an et demi.
Je joue aussi beaucoup, au sein d’un quintet, avec Prokhor Burlak et Lorenzo Cortès (et Pablo et Jean-Baptiste aussi), et puis je voudrais te citer aussi “The Old Fish Jazz Band”, un groupe créé à Berlin en 2009, que j’ai intégré il y a maintenant trois ans. Tous les musiciens viennent d’horizons très divers.
M.M. : Et côté album, que veux-tu citer ?
O.L. : Parmi les albums dans lesquels on peut me retrouver, je vais bien sûr te citer celui enregistré avec “Le Bardi Manchot”, et puis l’E.P. que nous avons sorti avec “The Rag Messengers”, que nous avons appelé “Supraton in Marrakouch”. Il est sorti il y a un peu moins d’un mois.
“The Rag” qui m’aura aussi permis de me remettre le pied à l’étrier quant à la composition. Et il y a déjà des projets dans le tiroir, dont nous reparlerons peut-être un jour prochain…
Je termine, avec une nouvelle corde à mon arc, que j’avais très envie de développer : depuis huit mois, j’ai entamé une formation de musicothérapeuthe. J’ai ressenti le besoin de me nourrir d’autre chose. Et puis, allier soin et musique, c’est top !
Propos recueillis le mercredi 22 mars 2023
Une belle rencontre encore, avec une musicienne aussi avenante que talentueuse. J’espère vraiment que tu viendras te produire un jour prochain dans la Drôme Provençale. A t’y voir vite.