Interviews

Entretien avec Paco Medina

Il est originaire du Lot-et-Garonne, et plus précisément de Villeneuve-sur-Lot. Musicien avant tout autodidacte, il a su créer SON groupe dont il a changé parfois les couleurs, au fil du temps ou en fonction de « mouvements de troupes ». Il est un guitariste éminent du paysage du jazz français…

 

 

Paco Medina

 

Django, Duke, Count…. et les autres…

 

 

Michel Martelli : Paco, très vite, ton univers va être marqué « guitare »…

Paco Medina : Oui, c’est vrai, puisque tu peux remonter jusqu’à mon arrière-grand-père, du côté paternel, qui animait des bals, à la guitare ou à la mandoline… Après lui, mon grand-père chantait. C’était déjà une famille qui déménageait beaucoup, et qui souvent gagnait sa vie en faisant de la musique. La guitare de mon arrière-grand-père ? Mon père a appris à jouer dessus… Un mot sur mon père, si tu veux bien. Il était agriculteur dans le Lot-et-Garonne. De là, nous sommes arrivés en Ardèche, où mon père a commencé sa reconversion en tant que.. professeur de musique. C’est bien pour ça qu’à l’âge de cinq ans, je vais lui demander de m’apprendre. Mon père m’a très vite guidé.

Côté « frère et sœur »… je vais te reparler de mon frère Géraud très vite, mais ma sœur, Ameline Pfister, mène une chorale gospel et est très active dans le « Rural Gospel Festival » qui se déroule dans le village de Les Ollières sur Eyrieux, en Ardèche, donc.

J’ai toujours ma première guitare. En « technique nylon ». On peut encore y voir dessus les traces de sel qui marquent l’emplacement de mes larmes. Combien de fois, gamin, j’ai pleuré à cause de la douleur dans mes doigts.

 

M.M. : Ton père a donc été ton premier professeur… mais ensuite ?

P.M. : Ensuite ? Eh bien la famille va arriver sur Lyon. Et là – j’ai huit/neuf ans – mon père, m’ayant donné tout ce qu’il estimait pouvoir me donner, va m’inscrire à l’ENM de Villeurbanne. Mais… dans un parcours guitare classique « flamenco ». Mon père ne jurait que par ça. Et moi, lorsque j’écoutais les Pink Floyd, Jimi Hendrix, ou tout autre musique de jazz… c’était dans son dos. En jazz, j’adorais la trompette, par exemple.

Mon professeur, c’était François Martin. Pendant trois années, il va m’apporter beaucoup, au moins en méthodologie de travail. Pourtant, à l’âge de douze ans, force est de reconnaître que la musique que l’on me faisait jouer ne me plaisait pas. J’en avais presque honte d’en parler à mes copains… Et, à cause de cette barrière, je vais carrément « arrêter » la musique, et en profiter pour me tourner vers ma seconde passion, à savoir l’électronique. J’aurai mon premier ordinateur à treize ans. Je vais évoluer là-dedans quelques années tout en gardant un certain lien avec la musique, au travers des sonos, des amplis… Mais de treize à vingt ans, je ne travaillerai plus « musicalement ».

Et puis, à vingt ans,,je vais retrouver, par hasard, un ancien pote de guitare. Qui va, pour l’occasion, ressortir son instrument et me redonner ce goût à la gratte, exacerbé par le fait que, à ce même moment, j’allais être papa pour la première fois – ma compagne attendant notre fils Bastian… pour qui j’avais bien envie de jouer !

Je vais donc raccrocher les wagons de la musique, mais mes goûts avaient un peu évolué. Plus de classique, plus de flamenco… Autant pendant six grosses années, je n’avais plus joué, autant j’avais, dans la même période, écouté énormément de musique. Et en particulier, mon oreille avait vibré aux sons de Django Reinhardt. Et puis non seulement aux sons, mais à toute son histoire. Face à ça, je vais me racheter une guitare, mais cette fois, dans sa version « cordes acier et médiator ».  Je vais tout reprendre à zéro, repartir sur un nouvel apprentissage. Sauf la méthodologie qui, entre les conseils de mon père et de François Martin, aura été chez moi bien assimilée. Mais je vais aussi découvrir la difficulté, surtout en « harmonie jazz ». Le « langage jazz », je l’apprendrai progressivement… à l’oreille.

 

M.M. : Et puis cela va être, déjà, la naissance de ton bébé – musical celui-là…

P.M. : C’est vrai qu’il est arrivé assez tôt, mon premier groupe de jazz manouche… Je l’ai monté avec mon frère, Géraud Barralon – qui y était au chant et à la guitare – et, avant de le lancer, nous avions répété lui et moi pendant toute une année. Le 26 juin 2008 verra officiellement la naissance de « Djoukil ». « Djoukil », en manouche, veut dire « chien » mais de façon vulgaire, un peu comme « cabot » en français… A la création, outre Géraud et moi, Baptiste Lainé était à la batterie. Baptiste était guitariste, mais entre nous trois, ça commençait à faire beaucoup de guitares.

Tu auras noté que nous allons fêter nos douze ans d’existence.

A partir de là, vont s’enchaîner beaucoup de réunions « musicales » à la maison, beaucoup de jams et donc beaucoup de rencontres avec d’autres musiciens. Assez vite, nous avons décidé de démarcher les cafés pour nous trouver un point de chute. Le café, ce sera « La Migraine », place Saint-Paul, à Lyon. Déjà là, d’autres amis musiciens commençaient à nous rejoindre. Ce groupe a commencé à grandir dès lors que nous avons fait des jams extérieures, comme au Parc de la Tête-d’Or, par exemple. Ainsi sont arrivés Guillaume Dubois, à la clarinette, et Loïc Vacheron à la contrebasse. Tu as là la formation de base de « Djoukil ».

 

M.M. : Et cette formation a rapidement pris une certaine renommée…

P.M. : En grande partie grâce au patron de « La Migraine » qui nous a permis de nous produire une fois par semaine (les jeudis) dans son établissement. Non seulement nous y avons croisé plein de musiciens, mais également plein d’organisateurs de festivités. Les demandes ont commencé, c’est ainsi que nous avons fait nos premiers cachets. Mais, juste avec le bouche-à-oreille, et notre site Internet, nous avons de plus en plus joué jusqu’à une moyenne annuelle de dates oscillant entre trente-cinq et soixante-dix. Un certain roulement s’était instauré avec, notamment, beaucoup de concerts privés. De nouvelles rencontres, qui s’avéreront déterminantes vont se produire, comme celle avec le pianiste Élie Dufour, Élie qui va m’être présenté par Nicolas Thé, qui lui-même remplaçait Baptiste à la batterie.

Tu vas peut-être me demander : pourquoi le piano ? Tu vas comprendre. En 2011, mon frère va quitter le groupe, pour aller s’installer aux États-Unis, en Caroline du Nord. « Djoukil » n’avait donc plus de guitare rythmique. Or je ne voulais pas remplacer « mon frère » par une autre guitare rythmique. D’où ce choix du piano. Sur ce coup-là, je me suis inspiré du cheminement de Django, du développement qu’il a su donner aux musiciens qui l’entouraient, et surtout dans sa partie « seconde guerre mondiale », à partir de 1940, où le piano devient très présent à côté de lui. Voilà pourquoi ce choix s’est opéré. Ça me permettait aussi d’explorer une autre direction… Tu sais, chez nous, nous sommes très « famille », ç’aurait été trop douloureux de remplacer purement et simplement mon frère. Cette action a aussi permis au groupe de grandir.

 

M.M. : Parce que les musiciens de « Djoukil » vont changer, en effet…

P.M. : En 2015, quand Guillaume Dubois a éprouvé le besoin de faire autre chose, et donc de quitter « Djoukil », ça a été la même chose qu’avec mon frère. Guillaume représentait sept années de travail en commun, à se voir chaque semaine, et je ne voulais pas le remplacer par un autre clarinettiste. Pour lui succéder, je vais faire appel au sax soprano Thibault Galloy. Thibault, qui est devenu un « frère du quotidien » va tout de suite embrayer avec notre première tournée aux États-Unis, grâce à mon frère qui avait tout orchestré depuis la Caroline du Nord. Cette première tournée de 2015 nous emmènera jusqu’à La Nouvelle-Orleans. Nous ferons dix-neuf dates sur trois semaines.

Pour info, « Djoukil » refera deux autres tournées aux USA, l’une en 2017, qui nous mènera jusqu’à Washington, et l’autre l’année dernière, en 2019, avec à nouveau la descente sur La Nouvelle-Orleans.

Sur la période 2015/2019, l’effectif du groupe sera : Élie Dufour ou Camille Thouvenot au piano, Thibault Galloy au saxo, Pierrot Brondel à la contrebasse, Nicolas Thé ou Josselin Perrier à la batterie… et moi à la guitare.

En 2018, nous caressons le projet d’emmener l’orchestre vers un « orchestre de bal ». Les musiques de Duke Ellington, de Count Basie me fascinaient toujours autant, et les rencontres que nous avions pu faire, en 2015, à La Nouvelle-Orleans, m’avaient ouvert sur le swing américain. Dès 2016 aussi, nous allons intégrer des danseurs et le résultat, tu peux le découvrir dans la vidéo que nous avons baptisée « Rendez-vous au bal ».

Un projet qui a d’ailleurs trouvé sa source aussi à « La Migraine », où beaucoup de couples trouvaient que l’on pouvait très bien danser sur notre jazz manouche. Celui du Django des années quarante, que l’on reproduisait, avec son tempo plus lent, ses sonorités prévues pour la danse. Nos premiers pas dans le monde du lindy hop, ou du charleston.

« Rendez-vous au bal », c’est un peu un aboutissement. L’orchestre, là, se met au service de la danse et crois-moi, c’est une toute autre façon de travailler, un autre dynamique. Peu d’orchestres, en fait, sont spécialisés dans la danse, parce qu’il est assez compliqué de trouver des musiciens qui respectent ce style et engendrent des mélodies accessibles aux danseurs. Dans ce genre-là, tu « ne t’exprimes pas forcément librement ».

 

M.M. : 2019… une autre page va se tourner…

P.M. : Ainsi va la vie des groupes… En 2019, Pierrot, Camille, Thibault et Josselin vont partir vers d’autres horizons. Et du coup, pour moi, constitution d’une nouvelle équipe, avec de nouveaux instruments.. Là non plus, je n’ai pas voulu remplacer Thibault par un autre sax, j’ai donc fait appel au trompettiste Thomas Le Roux. Au sax ténor, et à la clarinette, tu vas retrouver Pierre Desassis, Maxime Prebet au sax baryton et au vibraphone, Cyril Billot à la contrebasse, Francis Decroix à la batterie et Pierre-Antoine Chaffangeon au piano. Et je suis toujours à la guitare, évidemment… mais, avec une petite évolution, quand même : de notre tournée 2017, j’avais ramené des USA un banjo. Un banjo qui m’a permis de développer encore un peu plus ma technique.

Avec cette équipe, nous présentons un vrai visage à la Ellington, à la Basie. Nous sommes une vraie réduction de leurs Big Bands. De nombreuses vidéos sont visibles sur YouTube et, pendant ce dernier confinement, nous avons fait un « enregistrement à distance » que tu peux trouver aussi.

Fin mai – enfin – nous avons pu faire un « live » au Bémol 5. Une sacrée joie de se retrouver. (voir ici)

 

M.M. : On finit sur ton dernier projet ?

P.M. : Un projet qui se veut… ambitieux et fidèle à notre esprit de 2015. Je souhaite monter un spectacle – qui est baptisé « Swing et Idéal » – qui va réunir sur la même scène six musiciens, six danseurs et une comédienne, Cécile Marroco.

Avec cet ensemble, nous espérons bien emmener notre public dans notre univers jazz, swing, très « club de jazz ». Nous allons le produire dès l’année prochaine.

A la base, ce devait être un projet musiciens/danseurs uniquement. Très vite, nous avons cherché un metteur en scène. Ce sera Cécile. Et puis, nous y avons rajouté cette dimension « comédie », avec le réseau que nous a apporté Cécile.

 

 

Allez, je termine avec une note heureuse… Cécile et moi allons nous marier très prochainement…

 

 

Propos recueillis le mercredi 24 juin 2020

 

 

 

Un musicien « Jazz Manouche », ça ne peut que me parler. Paco, nous en avons parlé. Composer cet article avec en fond sonore le jeu de « Djoukil » a été un grand plaisir.

Je croise les doigts pour « Swing et Idéal », mais je ne me fais pas trop de soucis…

Ont collaboré à cette chronique :