Nouvelle rencontre pour Jazz Rhône-Alpes. Rencontre avec un nom… un nom qui a su monter au firmament du jazz, et que peu ignorent. Mais si Michel en est le flambeau principal, on n’oublie pas Tony, Philippe et Louis. une belle famille d’artistes qui continuent à nous régaler avec leurs compositions….
Entretien avec Philippe Petrucciani
…. La lumière brille toujours……
Michel Martelli : Philippe, avec toi on entre dans une “grande” famille jazz. Comment tout cela a-t-il commencé pour toi ?
Philippe Petrucciani : Lorsque je viens au monde, mes parents habitent à Toulon, où mon père, Tony, travaillait – comme civil – à l’Arsenal. Déjà à ce moment-là, mon père était très investi dans les orchestres de la ville, où il intervenait comme guitariste – il l’est d’ailleurs toujours – et il jouait notamment pour l’orchestre de Mario Porès. dans cette formation, tu pouvais trouver l’accordéoniste et vibraphoniste Yves Grandoni. C’est Yves qui va faire “émigrer” ma famille sur la ville d’Orange, dans le Vaucluse, où nous arrivons alors que je suis en maternelle. Inutile de te préciser qu’à ce moment-là, la musique est loin de mes préoccupations.
Mais, vers l’âge de sept ou huit ans, et alors que je vois l’instrument de mon père accroché au mur, ça commence à “me travailler”, j’ai de plus en plus envie de prendre cet instrument en mains. Mais j’ai un problème : je suis gaucher. Et, les premières fois, bien sûr, mon père me dira : “ce n’est pas comme ça qu’on tient une guitare…”. J’ai donc pris sur moi, et j’ai appris la guitare comme un droitier. Et même si ce n’était pas facile, j’ai très vite cherché les accords. En parfait autodidacte, enfin, pas tout à fait parce que mon père était là pour me donner des conseils et quelques petits enseignements. mais le gros de ma formation se passera entre la guitare et moi. Pas dans une école.
M.M. : Et puis, la famille arrive à Montélimar…
P.P. : Oui. Lorsque j’entre en classe de sixième. Un peu plus tard, et alors que je commence à me débrouiller un peu à la guitare, je vais commencer à intégrer les orchestres. Je me souviens notamment du tout premier, qui était l’orchestre de Jo Gotta, dans lequel j’entre vers quinze ans, nous avait fait jouer une bonne partie de la nuit pour une Saint Sylvestre.
Par la suite, je vais intégrer l’orchestre des “Tigers” de Joël Ramin, un orchestre, pour le coup, purement montilien, un orchestre de bal, bien sûr. Tu sais, les orchestres de bal sont une très bonne école.
A côté de ça, mes parents tenaient, dans la rue Pierre-Julien, un magasin de musique. Et ça m’a bien aidé dans l’envie d’aller voir d’autres univers musicaux que le jazz , que je connaissais par mon père. Comme on trouvait plein d’albums au magasin, je me nourrissais de musique pop, de musique américaine, et j’adorais ça.
lorsque je te dis que les orchestres de bal sont de bonnes écoles, c’est parce que, sur le tas, ton oreille se professionnalise vite. je crois pouvoir dire que j’ai quasiment tout appris d’oreille. Les cadences, notamment. Et crois-moi, ça vient vite.
M.M. : Tu avais intégré des groupes, à ce moment-là ?
P.P. : Quelque temps après, oui. Je vais rencontrer le guitariste Alain Richou, et le batteur Olivier Chambonnière. On était bien jeunes.. Ils avaient déjà un groupe de rock, et je vais les y rejoindre. Il y avait François Pons à la basse – qui tiendra aussi un magasin de musique par la suite, je me souviens aussi de Marco – dont j’ai oublié le nom – qui était le chanteur. Avec ce groupe, nous avons fait un concours, organisé par le Golf-Drouot, à Paris. Imagine toi qu’on l’avait gagné. Mais bon, nous n’avons pas pu bien tourner à la suite de ça, parce que notre chanteur a quitté le bateau peu de temps après. Du coup, comme le “jazz-rock” commençait à pointer le bout de son nez, le groupe a commencé à s’intéresser à ce courant musical-là. ce qui ne m’empêchait pas de continuer ma route avec les orchestres et notamment celui de Joël.
Nous nous étions installés à l’extérieur de la ville, dans une villa où notre père avait installé une véritable “salle de musique” et comme nous avions une certaine liberté, on mettait à profit cette salle pour inviter pas mal de copains musiciens. Quand je dis “on”, ce sont mes frères Michel, Louis et moi. Pour mémoire, si Michel avait opté pour le piano, Louis avait choisi la contrebasse. On a commencé à faire des petits “bœufs” par-ci, par-là, à jouer dans quelques petites caves des environs aussi. Et cette vie là a perduré jusqu’à ce que ma mère nous annonce qu’elle aimerait bien repartir à Toulon.
M.M. : Et là, que fais-tu ?
P.P. : Eh bien, moi… j’avais dix-neuf ans, j’avais fait mon service militaire, et je n’avais pas envie de repartir à Toulon. D’ailleurs, je resterai sur Montélimar – pas longtemps, c’est vrai – mais j’y bossais comme garagiste alors que j’avais surtout envie de devenir musicien professionnel. J’ai alors passé une audition pour intégrer l’orchestre Emile Garry, dont le siège était à Saint-Jean-de Védas, dans l’Hérault. J’ai réussi cette audition, et je suis entré dans cette équipe. Au début, je faisais les allers et retours Montélimar-Montpellier, mais par la suite, Gaby Reille – dont le père était batteur de jazz – et qui jouait dans l’orchestre, m’a hébergé un temps. Mon frère Louis avait, lui, trouvé une maison à La Roque-sur-Cèze.
Je voudrais te parler de Tox Drohar. C’est un batteur californien. Un jour, il est venu à Montélimar, peut-être parce que notre famille commençait à prendre une petite renommée et bien sûr il nous est arrivé de jouer tous ensemble – grâce parfois à notre père qui savait organiser les spectacles, et notamment à (l’ancien) théâtre de la ville. Tox était très “baba cool”, son grand pote à l’époque était le batteur Gilles Avinzac. Gilles avait été scotché par le jeu de Michel, au piano, Michel qui avait juste quinze ans. Avec eux, on a fait des fêtes extraordinaires, des soirées inoubliables. Tox et Gilles nous ont ouvert des horizons que nous ne pensions pas intégrer. C’est Tox qui favorisera l’arrivée de Michel, la première fois, aux Etats-Unis. Tox avait en charge, en Californie, l’entretien d’une maison. C’était la maison de Charles Lloyd. c’est par ce biais que Michel fera la connaissance de Charles.
A côté de ça, toujours à Montélimar, il y avait le docteur Clauzel. Docteur et trompettiste de jazz. Un homme extraordinaire, qui relevait chez lui tous les standards de jazz, qui possédait en outre un piano à queue. Il connaissait tout du jazz. Mon père allait souvent jouer chez lui et nous y sommes allés aussi. Michel a joué sur ce piano. Plus tard, Olivier et Alain viendront y jouer aussi.
Cette anecdote me fait dire qu’au final, mon père a eu une influence certaine sur le parcours du jazz à Montélimar, à cette époque-là
M.M. : Et puis, tu vas commencer à bouger..
P.P. : Mes parents revenus à Toulon, j’ai continué ma route. Chez mon frère Louis, je vais faire la connaissance d’Edouard Detmer, qui produira par la suite mes albums et ceux de Louis. Je m’étais installé à Nîmes, l’orchestre me faisait souvent jouer trente jours par mois. Tout allait bien. Michel avait commencé à jouer avec le batteur Aldo Romano, de mon côté je commençais à monter de petits groupes aussi, comme avec Manhu Roche – que tu connais.
Et puis, à l’invitation de Michel, je suis parti en Californie. Michel partageait la scène avec Furio di Castri, le contrebassiste italien à ce moment-là. Et même si, pour ce voyage-là, mon frère Michel n’avait pas encore vraiment percé sur le sol américain, ça ne nous a pas empêchés de faire une super prestation, en duo, à Philadelphie Et puis j’ai eu aussi l’opportunité d’aller jouer du rock dans un club de New-York. Cette page américaine a duré un mois et demi et je peux dire qu’on en a bien profité. J’ai même trouvé là-bas une méthode de guitare, dans un magasin de musique, un bouquin qui m’a apporté tout ce qui me manquait, ou plutôt que je n’avais pas appris.
Mais, de retour en France, la période que j’ai traversé a d’abord été compliquée. Je me suis retrouvé hébergé, sans trop de ressources. C’est alors qu’on m’a proposé d’intégrer l’orchestre, à Marseille, d’André Holzer. André était le chef d’orchestre, mais il était le batteur de l’orchestre aussi. J’ai passé une audition, et j’ai été pris. André possédait une maison dont il louait une partie au trompettiste de l’orchestre. Comme il est parti, j’ai pu bénéficier de ce logement, à Saint-Chamas.
Et puis, je me suis dit : mais pourquoi ne pas enseigner ?
M.M. : Et ça s’est fait ?
P.P. : Oui. Sur Martigues, il se trouve que le centre socio-culturel “Clair Soleil” cherchait un professeur. Et c’est là que je commencerai à enseigner la guitare, toujours en autodidacte. une fonction qui a bien évolué ensuite.
Tout en continuant l’orchestre, avec André, nous avons monté un trio de jazz, le “Trio Symposium”: Louis était à la contrebasse, André à la batterie et moi à la guitare. A ce moment-là, je relevais pas mal de morceaux de John Abercrombie, et on jouait pas mal de standards aussi. Ensemble, on a couru les clubs, on a joué au restaurant “La Digue” qui était juste en face de l’endroit où nous habitions, un restaurant dans lequel, un jour, j’ai fait descendre Michel pour y jouer. Cette fois-là, les gens s’étaient même arrêtés de manger.
Pour moi, le jazz, c’était parti en plein. Je n’avais plus du tout envie des orchestres. En tant qu’enseignant, je suis parti au Thor, à l’Ecole de Musique et côté groupe, comme j’avais rencontré pas mal de musiciens, notamment sur Avignon, j’ai monté un nouveau trio avec le bassiste Bernard Santacruz et le batteur Marc Mazillo. On jouait du Scofield, et nos compos personnelles. Comme mon autre trio commençait à stagner un peu, je me suis investi à fond dans celui-ci, qui nous a fait tourner dans des clubs intéressants sur Avignon, et aussi au Festival de La Seyne-sur-Mer. C’est seulement à cette période que j’apprendrais l’existence du statut d’intermittent du spectacle !
M.M. : Tu as fait évoluer ton groupe, bien sûr…
P.P. : Bernard et Marc jouaient, par ailleurs, dans un autre trio avec Jean-Sébastien Simonoviez, qui est pianiste. J’ai rencontré Jean-Sébastien, et puis je l’ai intégré dans ce qui, du coup, est devenu mon quartet. Le groupe a continué à bien tourner. J’enseignais toujours au Thor mais, comme mon amie de l’époque allait entrer à l’IMFP de Salon de Provence, elle me dit – l’année suivante – qu’il y manquait un professeur de guitare. J’ai postulé, et j’ai été retenu. Ça me faisait travailler au Thor, à Salon, mais aussi à Nîmes – structure originelle de l’IMFP. Ça m’a fait rencontrer plein de profs qui étaient aussi de super musiciens de jazz. Avec eux, ce sera de nombreux bœufs entre copains.
Dans le groupe, François Quillet avait remplacé Jean-Sébastien au piano, et les concerts ont continué à s’enchaîner. C’est à ce moment que je croiserai la route de Seydou Barry qui voulait apprendre la basse. Je t’en reparlerai plus tard.
Edouard Detmer va réapparaître – on est en 1991 – lorsque je vais parler de sortir un album. Mais pour celui-ci, mon frère Michel m’a fait changer toute la rythmique de mon groupe. Exit Bernard et Marc. A leur place, Michel va me proposer Victor Jones et Dominique di Piazza. François Quillet restant au piano. L’album est donc sorti sous cette formule, et je dois dire que j’ai bien été “porté” par ces deux super musiciens qui se sont très investis dans ce projet. Y compris mon frère Michel qui y avait glissé une de ses compositions : Two brothers under St Chamas’s moon. L’album a connu un grand succès.
Le groupe a ensuite encore évolué, la batterie se partageant entre Daniel Solia et Michel Bachevalier, et le bassiste était Fred Monino.
Michel était reparti aux Etats-Unis et un jour il m’y ré-invite, pour m’annoncer qu’il va signer avec Blue Note. J’ai pu assister à quelques-uns de ses enregistrements là-bas, notamment son album “Michel plays Petrucciani” – un des plus beaux, à mon sens, quant à ses compositions. Et il avait invité aussi… John Abercrombie. Voilà comment j’ai pu rencontrer ce super musicien, et même prendre un cours avec lui. Ce fut une période vraiment riche, où j’allais beaucoup aux Etats-Unis.
M.M. : Tu as aussi dépanné ton frère, sur son album suivant…
P.P. : Quand l’album “Marvellous” de Michel, sort, il est en fin de contrat avec Blue Note. Il va les quitter pour signer avec Francis Dreyfus. Et comme dans “Marvellous”, il y a une grosse partie “cordes”, Michel va me demander son aide pour tous les arrangements de cette partie-là, ce que j’ai fait bien sûr. Sur cet album, tu peux écouter des pointures comme Dave Holland, ou Tony Williams.
Lorsque je reviens en France, à l’IMFP, je vais rencontrer la pianiste Nathalie Blanc. Qui va, dans un premier temps, me demander de jouer avec elle au club “La Crêperie” entre autres. Et puis cela va se reproduire, souvent même, au point que nous nous sommes mariés et ça fait trente ans que ça dure. On fera beaucoup d’albums ensemble.
Du côté des groupes, je vais remonter une structure incluant Francesco Castellani au trombone, Nathalie au piano, Alain Couffignal à la batterie – en alternance avec Daniel Solia, Dédé Franco et Jean-Pierre Barreda étant à la basse. Avec ce groupe, beaucoup de concerts, et un disque “One for Marie” – un clin d’œil à ma fille. On y trouve Why, la compo perso que j’avais pu glisser dans l’album “Marvellous” de mon frère, et on a pu le jouer au New Morning à Paris.
J’ai fait ensuite un autre groupe, avec Mario Stanchev. Et Francesco, toujours au trombone. Ensemble aussi, on a tourné pas mal d’années, souvent sur Lyon, dans une super ambiance. On a même fait un album qui n’est jamais sorti ! Mais, promis, je vais réparer ça.
D’autres rencontres se sont produites, ensuite. Avec le groupe propre de Mario, avec celui de Philippe Festou aussi, et le mien, nous nous sommes tous réunis pour faire un hommage à Michel. Nous étions treize musiciens sur scène. Outre la France, nous sommes allés jouer en Allemagne, et ça reste de très beaux souvenirs. Mais treize musiciens à déplacer, c’était lourd.
M.M. : Tu reprends aussi contact avec les “vieux potes”…
P.P. : Oui, avec Philippe Roche [NdlR : guitariste et prof à l’ENM de Villeurbanne], notamment. Philippe qui me fait jouer avec son frère Manhu, qui regrettait qu’on ne se voit pas plus souvent. Du coup, on a monté un groupe, incluant Manhu, Nathalie, Dominique (di Piazza) et moi. Ce quartet va beaucoup marcher. Et avons pondu un album : “Este Mundo”.
Ce sera aussi une période dans laquelle je vais rencontrer les musiciens italiens. Dont le pianiste Alessandro Colina qui m’a carrément ouvert les portes de l’Italie, et de son merveilleux public. On a commencé à tourner dans toute la Botte. Alessandro voulait aussi faire un hommage à Michel et c’est ce qu’on a fait, avec mon frère Louis et Nathalie bien sûr. Là encore nous avons écumé dans toute la péninsule, où je reviendrai encore avec mon quartet et où, grâce à Manhu Roche qui connaissait l’Italie comme sa poche, je rencontrerai le saxophoniste Stefano Cantini.
Ensuite, nous jouerons avec des musiciens comme Rodolfo Cervetto, ou Marc Peillon, Alessandro et Dominique étant toujours là, bien sûr. C’est la Covid qui arrêtera cette collaboration…
M.M. : Tu poursuivais les hommages à ton frère ?
P.P. : Bien sûr. Avec Nathalie, nous avons sorti “Remember Petrucciani” avec Dominique, Manhu, Stefano, Francesco ainsi que le trompettiste Fabrizio Bosso et le contrebassiste Michel Zenino, que j’ai connu a L’IMFP et qui m’a beaucoup apporté musicalement. Je n’ai pas voulu de pianiste sur ce projet. On me l’a peut-être reproché mais je voulais avant tout privilégier sa musique, sa mélodie, “sa chanson” comme il aimait à dire. Nathalie a écrit un texte pour chacun des titres. Un hommage dont je suis fier.
Sinon, avec Louis, et avec notre père qui joue toujours, à quatre-vingt-six ans, nous avons sorti l’album “Sarah”, en 2007, en “trio familial”. Je te reparle de Seydou Barry, qui a produit Ahmad Jamal, James Brown et Lucky Peterson. J’ai pu jouer avec Lucky. Il était organiste à la base, et il avait fait un disque hommage à Jimmy Smith, “Tribute to Jimmy Smith”. De mon côté, j’avais écrit une compo qui a été enregistrée sur cet album, Blues for Wes. Ça restera aussi une très belle expérience.
Sur le projet “Remember Petrucciani”, j’ai pu inviter de super musiciens. Comme Archie Shepp, André Ceccarelli ou Didier Lockwood.
On termine ? Avec un projet, qui verra le jour le 9 juin prochain : un album en duo, avec Nathalie, que nous avons appelé “Let’s have a walk”. Un duo voix-guitare, un super challenge aussi. Un album qui nous comble puisqu’il couronne nos trente ans de complicité. Que l’on fait transpirer dans cet album qui, tu verras, ouvre plein de portes musicales que j’ai eu le plaisir de franchir, dans ma vie.
Propos recueillis le vendredi 7 avril 2023
Immense plaisir de m’entretenir avec toi, Philippe. A très vite, pour écouter ta dernière merveille… ou pour un pot entre potes. So long…