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Entretien avec Pierre Baldy-Moulinier

Il est originaire de Savoie, plus précisément d’Albertville. Une région qu’il va quitter pour rejoindre Lyon, qui sera le point de départ d’une belle route musicale qui se poursuit aujourd’hui.

 

Pierre Baldy-Moulinier

Création, interprétation, transmission….

 

 

Michel Martelli : Pierre, tes débuts oscillent entre musique et… ingénieur…

Pierre Baldy-Moulinier : Oui ce sont deux routes que j’ai menées de front… En Savoie, je ne suis resté que jusqu’à mes cinq ans. Et puis, une mutation de mon père nous fait arriver à Lyon, où j’ai suivi des études normales jusqu’à une Terminale « C », l’obtention d’un Bac scientifique, puis le parcours Maths Sup, Maths Spé et une école d’ingénieurs en spécialisation électronique.

Mes parents n’étaient pas musiciens. En revanche, la flûte a très tôt capté mon attention. Pourquoi ? Parce que mes sœurs écoutaient beaucoup de « musiques des Andes », ce qui a fait naître en moi une envie très forte pour cet instrument. J’en ai donc commencé l’étude, dès mes six ans, à Lyon. Pas en école, mais par le biais de l’association « L’ensemble des flûtes à bec » de Lyon, dirigée par Madeleine Mirocourt. Et très vite, Madeleine va me faire intégrer le Conservatoire, où elle était professeure. Je vais y entrer par le biais des classes à horaires aménagés dès le CE1, à sept ans. Alors oui, cela va être la flûte à fond, mais je dois dire aussi que je suis un passionné de percussions. J’en ai fait un peu, de même que le piano aussi, mais ça finissait par faire beaucoup. Et puis les percussions… dans notre habitation, c’était compliqué. Alors j’ai axé sur la flûte.

 

M.M. : La musique avait mis le grappin sur toi…

P. B-M : Sans doute… je vais rester longtemps au Conservatoire. Je vais y obtenir ma première « médaille d’or » assez jeune, à quinze ans après huit années d’études. Des années où j’ai un peu approché le clavecin, aussi – pendant trois ou quatre ans – car esthétiquement je trouvais ça en accord avec la flûte. Et puis, je me suis rendu compte qu’il n’existait pas encore de vraie structure pour la musique baroque. Aller au-delà de la médaille d’or, il fallait le faire à l’étranger. Et mon ambition n’allait pas jusque là. Du coup, toujours au Conservatoire, je vais me rabattre sur la musique de chambre.

Alors que je suis dans mes années Maths Sup – j’ai dix-huit ans – je vais entrer dans la classe de trombone qui était dirigée par Yvelise Girard. Je me dois de te dire que les débuts étaient loin d’être évidents, mais surtout dû au fait que j’avais beaucoup de travail à côté. La musique, je faisais ça pour me détendre. Bref, c’était un créneau d’une heure par semaine, et à la course encore. Mais j’aimais ça, je me suis accroché… j’ai véritablement découvert cet instrument qui permet une belle dynamique. J’ai d’ailleurs terminé ce cursus assez rapidement, en « grillant » peut-être quelques étapes. Et ça n’a pas été évident de passer de la flûte au trombone, mais ça s’est fait.

Et puis, je dois te dire aussi que, pendant mon école d’ingénieurs, j’ai tâté du café-théâtre, de la scène pour laquelle j’écrivais. Rien de musical là-dedans, mais un goût pour l’écriture naissait.

A cette période, musicalement, je réunis quelques collègues pour déjà faire quelques scènes, au cours de galas étudiants…

 

M.M. : C’est là que va naître ton premier groupe ?

P B-M. : Un groupe qui va s’appeler « Blues de vache » ! Le style ? Rythm n’ Blues, funk… On a quand même gagné un petit tremplin avec cet ensemble. Un ensemble où nous étions dix, avec une section « cuivres », une section rythmique…. J’ai eu très vite l’envie d’écrire pour cet ensemble. Dans « Blues de vache », je chantais, je jouais un peu de la flûte à bec mais… j’avais engagé un trombone ! Notre premier album va sortir alors que je suis en pleines études.

Et puis, à la suite de ça,  deux copains, Frédéric Roudet – trompettiste – et Ludovic Murat – saxophoniste – vont véritablement me « brancher » jazz. Un monde que je ne connais pas du tout à ce moment-là. Ils vont m’encourager à m’inscrire au Conservatoire – toujours à Lyon – pour le découvrir vraiment. Et dis-toi qu’à une période, pas si lointaine, je te parle là des années quatre-vingts, le jazz n’était pas si bien vu que ça dans les Conservatoires. Certains pianistes doivent s’en souvenir, quand les notes jazz sorties de leurs instruments leur attiraient les foudres…

Dans le même temps, Ludo va m’inviter à rejoindre le groupe « Lex Leo », un groupe de rap instrumental, avec lequel on a décroché  le  « Prix découverte » au Printemps de Bourges 1995.

Et puis il y a eu aussi la période du service militaire, qui était encore obligatoire à ce moment-là. Il était prévu que je le fasse comme scientifique du contingent, en Terre Adélie, mais, du coup, je vais faire cette année là au 22e RI, la Musique de Lyon, où, pour le coup, je vais découvrir à fond le jazz, et croiser la route de David Sauzay, Jérôme Regard ou encore Hervé Salamone.

 

M.M. : Et tu vas suivre leur conseil, pour le jazz ?

P. B-M. : Je vais quand même me donner une année pour y penser sereinement. Une année pendant laquelle je vais donner des cours de flûte, et des cours de solfège également. Tu vois à quel point mon diplôme d’ingénieur me sert !… Et puis je vais m’inscrire – enfin – au Conservatoire, en section « jazz », alors que j’ai vingt-cinq ans. Je vais quand même y suivre un cursus accéléré – j’obtiendrai ma seconde médaille d’or au bout de trois ans… Et, parallèlement, on va me diriger vers Pierre Drevet, que je vais rejoindre sur Chambéry. Pourquoi Chambéry ? Parce qu’à l’époque, il y avait à Chambéry une classe d’écriture et d’arrangements qui n’existait pas encore sur Lyon. Là-bas, je vais croiser la route de l’excellent pianiste Guillaume de Chassy, mais surtout celle de musiciens qui jouent encore avec moi aujourd’hui, en 2020.

« Blues de vache » nous a donné, dans l’intervalle, quatre albums. Pour le second, Pierre Drevet et Mario Santcheev sont gentiment venus et, pour le troisième, nous ont rejoints Phil Abraham – le tromboniste belge – , Barbara Dennerlein – organiste allemande – et Claude Egéa,trompettiste.

A côté de ça, j’ai appartenu à divers groupes – dans ma période étudiante – mais pas véritablement marquants, à part, peut-être, le Big Band de Lyon, devenu ensuite le Big Band 433, avec entre autres Pascal Berne, Patrice Foudon….

 

M.M. : Et puis tu vas quitter Lyon…

P.B-M. : Oui. En 2000, pour le travail de mon épouse, nous allons nous expatrier à Boulogne-sur-Mer. Une année, musicalement pour moi, assez pauvre. Et puis, un an plus tard, nous émigrons dans la Nièvre. Là, par contre, je vais reprendre « les groupes », notamment « Tempo Forte », un groupe de musique cubaine, et aussi les « Swing Gônes », avec Ludovic Murat et le trompettiste Christophe Metra. Une année plus tard encore, nous atterrissons dans le Beaujolais, où nous sommes toujours.

Là, enfin, je vais créer mon propre Big Band. Ce sera le « Big Band de l’O.E.U.F. » (traduction littérale – pour la petite histoire : Orchestre Énergique à Usage Fréquent)…

Dans ce concept, je souhaite réunir tous ceux qui ont compté sur ma route musicale. Et je peux te dire que, quand tu regardes l’orchestre aujourd’hui, il y a très peu de différences entre la troupe de 2020 et celle de 2003… Nous jouons uniquement des compositions personnelles, quatre répertoires ont déjà été écrits.

Notre premier album, « Éclosion », date de 2009, le deuxième, « Cascade » – avec Robinson Khoury au trombone – de 2012 et en 2016, nous sortons « Petits plats pour grand ensemble », un clin d’œil à un album du trompettiste canadien Kenny Wheeler (disparu en 2014). Et ce dernier projet mérite que l’on s’y arrête un peu. 

Le concept est d’associer la gastronomie et la musique, dans un seul et même spectacle. C’est un projet « de territoire » qui va associer chaque fois un « chef » local. Une façon aussi de « démocratiser » le jazz, de le rendre encore plus accessible. Et la gastronomie est un excellent levier pour cela. Déjà, nous avons testé le principe : il déplace du monde, du monde qui ne connaît pas forcément la musique, mais en tout cas le côté « rassembleur » n’est plus à démontrer. Bon, bien sûr, la crise actuelle a différé quelques dates, mais cela devrait repartir au plus vite.

Le spectacle peut se décliner sous deux formes, c’est à dire « avec » ou « sans » dégustation préalable (de « bouchées », concoctées par le chef du moment). Ensuite, pour le côté musique, un « menu » est présenté aux spectateurs et, sur la scène, le chef va élaborer ses plats, en concordance avec la musique, des plats que viendront déguster quatre personnes, tirées au sort.

Un concept que, bien sûr, on veut exporter – peut-être sans la partie « dégustation », car ce sera plus facile à mettre en place, et peut-être aussi dans une version « jeune public », pourquoi pas ?…

Nous avons aussi créé, en 2016, un répertoire symphonique, avec l’Orchestre National de Lyon, et le pianiste italien Stefano Bollani, dans un projet baptisé « Rhapsodie pour la Terre ». Projet que nous avons remonté en 2017, mais avec l’Orchestre Symphonique de Mâcon.

Comme tu le vois, le Big Band de l’O.E.U.F. est une belle aventure musicale… et humaine.

 

M.M. : Que dire de ton actualité ?

P.B-M. : Elle est, et c’est tant mieux, assez riche. D’abord, je peux te parler du trio « Amphitryo ». Après avoir écrit pour de grandes formations, je souhaitais écrire aussi pour de plus petites. On joue donc des compositions personnelles, avec Sylvain Félix, qui joue de tous les saxos et de la clarinette, et Nicolas Frache, à la basse et à la guitare. Notre inspiration ? Tout ce qui touche à la mythologie plutôt grecque ou méditerranéenne… Notre premier album, « Cheval de Troie » est sorti, dans la discrétion la plus absolue, le 10 avril dernier… (voir la chronique de Christian Ferreboeuf) Nous sommes tous les trois poly-instrumentistes, et nous alternons le rôle de rythmicien. Moi, j’y assure tous les cuivres, y compris la trompette ou le tuba.

Et puis, il y a le « Novo Quartet », sous la direction de Pascal Berne qui écrit la musique, Pascal qui joue de la contrebasse… Je suis là au trombone, bien sûr, et, avec nous, Yves Gerbelot aux saxophones et Michel Mandel aux clarinettes. Ce quartet fait partie du collectif « La Forge » de Grenoble…

Le « Liberian Sextet » est un peu en sommeil, pour le moment. Il s’agit là d’un ensemble plutôt « jazz moderne » où je joue avec Eric Prost (sax ténor), Boris Pokora (sax alto), Romain Nassini (piano), Benjamin Guyot (contrebasse) et Charles Clayette (batterie).

Et puis, je te cite encore deux actus : d’abord, le « Trinkle Nonet, dont Pierre Fargeton écrit tous les arrangements. Un album est prévu pour bientôt… et ensuite le « Skokiaan Brass Band » dirigé par François Rigaldiès – où je retrouve Félicien Bouchot  de Bigre!– dont l’album « French Touch » est sorti récemment.

J’avais envisagé 2020 comme une année de pause, tout au moins dans mon activité de professeur, que je dispense à l’ENM de Villeurbanne ou au Conservatoire de Saint-Etienne. Je donne des cours de cuivres, d’harmonie, d’arrangements, de direction de big bands, d’analyses musicales (étude de tel courant musical, étude de tel instrument dans le jazz)… Cette activité, je la reprends à la rentrée 2020…

 

 

Propos recueillis le lundi 20 avril 2020

 

Un grand merci à Pierre Baldy-Moulinier pour sa disponibilité, son entrain, qui ont permis un entretien très agréable. Sa carte de visite donne un grand choix de formations de qualité qu’il est bon de (re)découvrir…

 

Et merci à mon (autre) complice Franck Benedetto pour les photos qui embellissent cet article.

Ont collaboré à cette chronique :