Il est Lyonnais. Et fidèle à sa ville. Mais au début des années 2010, il a eu une merveilleuse idée. Qui, encore aujourd’hui, continue à vivre et bien vivre. L’idée ? La création du Poët-Laval Jazz/s Festival
Parole de programmateur : Roland Corbelin pour le Poët-Laval Jazz/s Festival
Michel Martelli : Roland, ton lien « historique » avec la musique, tu peux nous en parler ?
Roland Corbelin : Mon histoire musicale ? Je crois que j’ai toujours eu un attrait pour la musique. Sans doute aussi grâce à notre mère, qui avait fait des études dans le Bel Canto et qui nous a transmis son goût pour la musique classique…
Mes premières amours avec la musique vont commencer aussi avec la chanson française, et la musique baroque. Et quand je commencerai à « gratter » un peu de guitare – uniquement pour moi, je te précise – ce sera de la guitare « classique ».
Le jazz est arrivé dans ma vie beaucoup plus tard, et je crois que ce qui a joué surtout, c’était une certaine attirance pour une musique qui était à une époque peu connue, presque taboue. Alors que j’ai entre vingt et trente ans, je vais acheter un vinyle de jazz. Un disque d’Oscar Peterson pour être précis. Cet album, bien sûr, je vais l’écouter. Et… il ne va pas me « parler ». Problématique, non ? Plus tard, bien plus tard, je ne vais pas me décourager, et je vais recommencer l’expérience. Cette fois, ce sera un « double album » (vinyle, toujours) de Duke Ellington… et là… ça va être le coup de foudre. C’est finalement grâce à cet album que je vais entrer de plain pied dans le jazz et certaines de ses origines. « Satchmo », Duke… ont commencé à peupler mon univers.
Ce qui a entraîné aussi de ma part une participation accrue à certains concerts. J’ai commencé à aller en voir, et de plus en plus. La guitare ? Elle m’accompagnait toujours mais jamais hors de mes murs, c’est aussi bien parce que, de ce côté-là, je ne prétends pas être très doué.. Et, du reste, la guitare ne m’attire pas particulièrement en tant qu’instrument de musique de jazz.
M.M. : Comment va se faire le lien avec la mise en place d’un Festival ?
R.C. : Je suis professeur d’histoire-géographie. Et à ce titre, j’ai eu un poste en Alsace. C’est pendant ce séjour que je vais faire la connaissance, et garder en ami, Philippe Audebert. Le contact restera très bon, pendant l’année que je passerai dans cette région, avant de revenir sur Lyon. Quelques années plus tard, la vie va faire que nous allons nous retrouver (l’amitié n’avait jamais disparu..). Suite à nos retrouvailles, il va, un jour, m’appeler, pour me dire que l’un de ses copains a pour idée de monter un festival. Le festival en question, c’était « Au gré du Jazz » qui se déroule dans la commune alsacienne de La Petite Pierre. Et le copain en question, c’était Guy Hergott. Guy assurait, en plus, la programmation du « Cheval Blanc » à Schiltigheim.
D’entrée, la nouvelle de cette création va me booster, et je vais les rejoindre, dès la première année de mise en place. Nous sommes là en 1995. J’ai dû ensuite participer à une dizaine d’éditions. En tant que bénévole, bien sûr. Je suis passé par tous les postes, même les « moins glorieux » mais cela m’a permis, au moins, de voir comment cela devait fonctionner. J’avais vraiment disséqué l’activité sous toutes ses coutures… Mais cela m’a permis aussi de bons moments, lorsque le travail était « fini », c’est à dire aux « after ». Je me souviens d’une fois, avec Bojan Z.
M.M. : Mais comment passes-tu de l’Alsace à la Drôme ?
R.C. : Déjà, tu peux te douter que traverser la France était usant. Et puis mon ami Philippe s’était sorti de cette organisation. Du coup, l’idée a commencé à faire son chemin, et j’en suis venu à penser au village du Poët-Laval, dans la Drôme, à dix minutes de Dieulefit. Je me disais : « ce village est magnifique, pourquoi ne pas essayer d’y faire quelque chose ? ». Paul Brun est mon ami depuis le lycée, et nous avons fait des études ensemble, notamment dans le Droit. Paul réside à Poët-Laval, et lui et moi ne nous étions jamais perdus de vue. Lorsque j’ai réfléchi à une probabilité de monter un tel projet sur cette commune, Paul était Premier Adjoint au Maire de l’époque, Maya Cavet, qui est aujourd’hui dans le bureau de l’association qui gère le Festival.
Afin de finaliser mon idée, et de prendre aussi des avis précieux, j’ai envoyé deux mails, au sujet de mon idée de formation d’un Festival dans la Drôme. Le premier à Paul, le second à Guy Hergott. J’avais jugé ces deux personnes déterminantes dans la décision, ou pas, de créer un Festival. Et ils m’ont répondu tous les deux. Et même si leur réponse était entourée de prudence, elle était positive des deux côtés. Sans eux, je le répète, je n’aurais rien fait. Nous allons nous donner l’année 2012 pour commencer une étude « sérieuse » du projet. Il nous fallait une association. Ce sera, dès l’année suivante, la création de « Nuée de Jazz »
M.M. : La machine était lancée ?
R.C. : Disons que nous avions d’entrée un bel atout : le village en lui-même, qui pourrait concourir dans l’émission télévisée. Le site est merveilleux, et la « Cour des Commandeurs », au pied du Château est un lieu idéal pour des concerts. Notre équipe s’est peu à peu constituée, grâce à des bénévoles volontaires, très impliqués, du village du Poët-Laval ou de Dieulefit. Il y a une école de musique très active, à Dieulefit, et nous collaborons ensemble, aussi.
La première édition de notre Festival aura lieu en 2014. Mais tu dois bien imaginer que mon carnet d’adresses n’était pas encore, à l’époque, très étoffé. Même si, depuis mes séjours à La Petite Pierre, je connaissais pas mal de musiciens, y compris de « grands noms » comme Ahmad Jamal par exemple… Les appels téléphoniques vers Guy ont été fréquents, et longs, au début.
Une chose était primordiale, également : la technique. Le son, la lumière… Nous avons cherché… et nous avons trouvé. Une entreprise de l’Ardèche, de Peaugres, Solu’Son, une société dirigée par Émilien Buffat. Sur notre demande, Émilien est venu se rendre compte sur place. Nous nous sommes très vite entendus pour l’organisation des Festivals. Émilien est un très bon ingé-son, tous les musiciens qui sont passés chez nous depuis peuvent en témoigner. De plus, c’est quelqu’un qui est toujours d’humeur égale. Et ça c’est très appréciable.
Je vais te raconter une anecdote, à ce sujet : dans notre programmation de la première année du Festival, en 2014 donc, nous avions prévu, le dimanche, outre le duo Terrasson/Belmondo, le quartet de Lars Danielsson en soirée. Il se trouve que ce dimanche-là, il pleuvait des trombes. Un orage épouvantable. En salle de repli, nous avions prévu la salle de La Halle, une très belle salle de Dieulefit… Les musiciens arrivaient de Paris et, comme ils avaient subi les orages pendant toute leur route, ils étaient arrivés exténués. Quand ils sont arrivés à Dieulefit, le batteur de l’époque du quartet, Xavier Navarre, a regardé « bizarrement » la batterie… il a commencé par dire « c’est un jouet pour les enfants ? »… et nous, nous ne savions plus où nous mettre. Mais Emilien, sur ce coup-là, a été exceptionnel. Il ne s’est pas démonté, au contraire il a contribué à tout mettre en place dans un calme olympien. Le concert a eu lieu, et il a été magnifique. Navarre, à la fin, avait « la banane ». Je crois que ça fait partie des concerts qui ont le plus marqué…
Depuis sept ans maintenant, Émilien (et Mathieu) sont fidèles à notre Festival. Et on se repose complètement sur son efficacité et son savoir-faire. De plus, il gère aussi la régie plateau, et ça également pour nous, c’est une belle épine retirée du pied…
M.M. : Alors, quid , de la programmation ?
R.C. : Je t’ai dit, tout à l’heure, que la première année, Guy Hergott a été très important. Avec notre programmation 2014, on frappait d’entrée très fort. Mais Guy avait énormément de contacts. Et toujours très optimiste…
Malgré notre affiche somptueuse, l’édition 2014 s’est soldée par une perte, au plan financier. Pour deux raisons principales, à mon sens : d’abord le jazz est une musique qui ne « parle » pas forcément à tout le monde, et puis parce que nous accusions un gros déficit dans notre communication. La naissance d’un Festival dans un petit village drômois, il faut le temps que l’idée fasse son chemin dans les têtes…
Dès le début, un autre ami alsacien, Claude Bastian, a pris en charge la création du site du Poët-Laval Jazz/s Festival (il s’occupait déjà de celui de La Petite Pierre). Depuis, nous lui faisons une confiance aveugle, et ça marche très bien comme ça.
Nous grandissons ainsi : viennent nous rejoindre des gens compétents et volontaires, avec qui nous créons des liens. On a plaisir à travailler ensemble. Les situations conflictuelles, ce n’est certainement pas pour nous.
Après la mise du pied à l’étrier avec Guy, j’ai depuis pris les choses en mains. J’apprends le boulot sur le tas. Notre programmation, aujourd’hui, se fait selon trois axes : d’abord par moi, sur Lyon où j’habite, lorsque je repère des musiciens que j’aime, et que je verrais bien à Poët-Laval. J’ai pu faire venir Louis Sclavis, Michel Portal.
Il y a ensuite ceux que je découvre en concert, qui me suscitent l’envie…
Et puis, il y a ceux qui me sollicitent via notre adresse mail (nueedejazz@free.fr), par laquelle nous recevons plein de vidéos, de concerts…
M.M. : En clair, tu es un Président satisfait ?
R.C. : Disons que, dans ce joli coin de la Drôme Provençale, nous avons réussi à mettre sur pied une très belle manifestation dans laquelle sont venus se produire de très grands artistes. Nous avons essayé de créer une structure des plus solides, car si nous ne voulons pas gagner d’argent, nous ne voulons pas en perdre non plus. Les pertes, ce sont nos propres poches qui les comblent. Nos cinq éditions ultérieures ont connu des hauts et des bas mais qui, malgré tout nous ont permis d’arriver à un certain équilibre financier. Ce qui est très bien.
Notre édition 2020 a été malheureusement annulée. La totalité des concerts sera reportée, normalement, sur l’édition 2021
Et puis, dernière info : en « remplacement » du Festival, si on peut dire… Le Poët-Laval proposera un concert, le 13 août prochain, sur la place du village. Avec en invité le quartet de jazz manouche « Minor Sing ». A bon entendeur…
Propos recueillis le vendredi 26 juin 2020.
Quel plaisir de présenter ici « mon » président, puisque j’ai la chance d’être dans l’équipe de Roland, une équipe adorable et qui ne recule devant rien pour que les soirées proposées soient au top…
On languit bien sûr de se retrouver pour de nouvelles éditions, aussi captivantes et riches que les précédentes….