Elle est née à Nogent-sur-Marne, ville où elle a fait toute sa scolarité. Après les pérégrinations d’usage, communes à beaucoup d’entre nous, elle est revenue s’installer à Fontenay-sous-Bois. Elle a grandi à Joinville-le-Pont, une ville souvent chantée, et connue pour ses guinguettes, et notamment « chez Gégène ». Assez pour lui donner de beaux gènes musicaux….
Entretien avec Sabrina Cheref
Quel que soit notre chemin, la musique nous reste fidèle…
Michel Martelli : Sabrina, tu grandis à Joinville… tu étais prédestinée, non ?
Sabrina Cheref : Artistiquement, tu veux dire ? Non, je ne crois pas… Au contraire, mes parents souhaitaient pour moi une éducation solide, qui est passée par une école privée sérieuse, avec, en points de mire, le Bac et des études supérieures ensuite.
J’ai eu une famille très.. mélomane, mais pas du tout artistique. Pourtant, ce sera vers l’âge de cinq ans que je vais commencer le solfège. A la maison, mon père avait ramené un petit clavier et ils se sont très vite rendu compte que j’étais assez à l’aise dessus. Tout naturellement, on m’a proposé de faire du piano.
Le solfège, c’est à l’École de L’Île Fanac que je vais le commencer. A cinq ans, donc. Et, un an plus tard, je vais attaquer le piano, en apprentissage classique et avec une lecture très « horizontale », via des cours particuliers qui me seront donnés par Claire Miniussi, une professeure que j’ai beaucoup aimée et avec qui je resterai huit ans. Je ferai aussi huit ans de solfège. Je me sentais très à l’aise dans cette école qui, sur certains côtés, ressemblait beaucoup à un Conservatoire, avec ses cours, ses examens.
M.M. : En parallèle de ton apprentissage musical, tu as aussi poussé la porte d’autres formes d’expression…
S.C. : Oui, c’est vrai. Et dès l’âge de huit ans. J’ai commencé des cours de théâtre et je dois dire que, dans cette discipline-là aussi, je me suis sentie très vite à l’aise, « dans mon élément » comme on dit. Mais tu sais, je crois que j’ai toujours eu l’art et le spectacle dans le sang. En tout cas, pour moi, ça a toujours été évident. Côté théâtre, j’ai intégré la troupe « Les Baladins de Joinville », une troupe qui était dirigée par Patrick Laurent Martel, malheureusement aujourd’hui disparu… Cette « page de vie » a été très vivante, très gaie pour moi. J’étais la plus jeune de la troupe… on a tout joué, du Racine, du Molière, même Cyrano de Bergerac. Mais le dernier spectacle que nous avons joué fut une comédie musicale, « Mayflower ». Ça aurait dû être, pour moi, une révélation, me suis-je dit plus tard avec le recul. Mais sur le moment… non, je n’ai pas rebondi plus que ça. Au contraire je dirais même, car, à quatorze ans, je vais arrêter les cours de solfège et les cours particuliers de piano. En revanche, ce sera la période où je vais vraiment me mettre à composer, décidant ainsi, si tu veux, que j’allais poursuivre ma route en autodidacte.
M.M. : Mais tu étais toute jeune !…
S.C. : C’est à seize ans que je vais mettre au point mes premières maquettes, grâce aussi à des amis de Nogent-sur-Marne qui possédaient un studio, et qui m’ont pris sous leurs ailes. C’était un couple d’arrangeurs qui avaient flashé sur mes compositions. Mais, pour ce premier jet, on était plus sur de la variété, avec quand même un titre soul et folk. Le plus intéressant est que cette première maquette en a entraîné d’autres, que j’ai fait très volontiers même si, je dois le dire, je prenais ça comme un amusement. Je sentais bien que ma voix était encore un peu jeune.
Par la suite, j’ai commencé une collaboration avec le guitariste David Thilloy, qui ne se produit plus aujourd’hui. Ensemble, nous avons fait plusieurs titres et c’était chaque fois pour moi un véritable exercice de style. David produisait, et programmait. Et jouait de la guitare, bien sûr. Et moi, j’étais là en tant qu’auteure, en tant que co-compositrice, et comme chanteuse bien sûr. Avec nos titres, nous avons démarché les maisons de production et, comme je n’avais pas eu personnellement de nouvelles, je pensais que ça n’avait rien donné. J’ai su par la suite que Sony en voulait plus… bref, ça m’aura donné quand même l’opportunité de faire quelques festivals. J’avais conscience que j’étais dans une phase « apprentissage ». « Step by step » comme disent les anglo-saxons. Et en plus, tout ça va prendre fin avec mes débuts en classe de Prépa H.E.C. A compter de ce moment-là, la musique va rester, bien sûr, mais pour le plaisir uniquement. Car ensuite, je vais mettre le cap sur Lille, pour y faire une École de Commerce qui va me prendre trois ans. Pourtant, même là-haut, la musique va très vite me rattraper. Dès la première année, on va me parler d’un projet de comédie musicale que, tu imagines bien, je vais rejoindre tout de suite. Ce spectacle, nous le jouerons deux années de suite. C’était une création de plusieurs élèves de l’École, et le fait de la jouer, comme ça, pendant deux ans, a gardé intact mon lien avec la musique…
M.M. : Et les groupes, dans tout ça ?
S.C. : Pendant ma dernière année à Lille, je vais rejoindre – et ce sera ma première expérience de chanteuse « lead » – le groupe « Mad Docs », un groupe régional, baptisé ainsi parce que tu pouvais trouver quelques médecins parmi les musiciens, et un groupe très motown/soul. Avec ce groupe, je vais entrer de plain-pied dans le monde de l’événementiel. Chaque fois que l’on se produisait, en effet, c’était dans des endroits chics, avec pas mal de public. Scéniquement, je m’exprimais en plein, et cette belle histoire durera deux ans.
Il y a eu arrêt parce que la vie active m’a rattrapée. J’ai en effet été recrutée par le groupe Orange en tant que Chef de Projet Promotions. Sur Paris. Au départ, via un stage… et puis ensuite via un premier C.D.D… et puis un second… et puis plus rien. J’en ai été très triste. On était là en septembre 2007, et je me demandais ce que j’allais devenir.
J’avais fait un mémoire, en fin d’études, sur le thème : « La musique dans l’optique de l’autoproduction ». Autant te dire que j’avais choisi ce thème dans l’optique de monter un jour mon propre label… Mais, comme ça n’était pas pour tout de suite, je me suis alors décidée à pousser en grand les portes du jazz. Le Jazz, avec un grand « J », qui m’attirait en fait depuis longtemps. J’ai donc intégré l’I.M.E.P – l’American School of Modern Music, en fait – sur la période 2008-2010, et je m’étais inscrite en piano car je voulais apprendre à lire les grilles, et surtout je voulais être capable de m’accompagner. Pourtant, ce chemin n’a pas été simple car d’abord je ressentais un blocage dû à mon apprentissage classique, ensuite parce que j’avais toujours des projets en cours à mener, et puis parce que j’avais des petits boulots à côté. Mais j’ai quand même suivi nombre de cours passionnants avec Peter Giron et Phil Hilfiker, notamment en profs, pendant mes deux années de présence. Deux années qui m’ont permis de rencontrer le guitariste qui m’accompagne encore parfois, Ivan Quintero.
M.M. : Et on en revient aux groupes…
S.C. : C’est vrai ! Avec Ivan, et Fabian Suarez aux percussions, nous avons formé le trio « Sans elle pop project » – un trio très « pop latino ». Et puis il y a eu aussi le quartet « Sans elle Jazz and Soul » où, comme le nom l’indique, nous touchions plus au jazz. Je dois dire aussi que, autant dans le trio que dans le quartet, j’étais aux claviers. Mais c’est une habitude que j’ai perdue aujourd’hui.
Une anecdote, encore : en 2008, l’Agence Havas me contacte pour un de mes titres, afin qu’il paraisse sur une compilation demandée par la S.N.C.F qui s’appelait « Le son du Transilien ». Cette compilation réunissait quelques artistes de l’Île-de-France, et je représentais le département du Val-de-Marne. Une chouette expérience… qui m’aura bien aidée à payer ma deuxième année d’études !
Mais après ça, j’ai encore connu une période plus technique, enchaînant les missions dans le secteur des nouvelles technologies. Mais ce temps m’a confirmé ce que je savais déjà, du reste, c’est-à-dire que je suis quelqu’un qui se plaît dans le partage, et dans le contact humain. Dans la musique, c’est exactement pareil. Je n’aimerais pas être seule en scène. La scène, ça se partage.
Donc, deux années se sont passées sans trop que je bouge « musicalement », mais ensuite j’ai commencé à m’intéresser à certains groupes, en tant que manager artistique et bookeuse. Tu vois, sur ce coup-là, je préférais m’occuper des autres que de moi-même.
Je gérais principalement deux groupes : le premier était un groupe jazz/latino, « Free Tango », emmené par le pianiste Sergio Gruz, et l’autre c’était plutôt du ska/jazz et il s’appelait « Moonlight Ska Band ».
Et j’ai fait ça jusqu’au jour où quelqu’un est venu me dire : « occupe-toi de toi au lieu de t’occuper des autres… ». J’ai pris cette personne au mot.
M.M. : Et, du coup … ?
S.C. : Du coup, j’ai réuni toutes mes compos soul et jazz qui dormaient dans mes tiroirs, et je les ai amenées à Sergio qui les a toutes arrangées. Et cette collaboration a abouti à la naissance de « Beyond », mon premier album, sorti le 20 septembre 2014. Une très belle aventure, parce que j’ai voulu tout assurer moi-même, contenu comme contenant. J’avais réuni sur cet album treize musiciens, venus de tous les continents, et le résultat a été un vrai plaisir. Ça m’a bien payée de mon investissement personnel et financier car rien n’a été fait « au black ». J’avais même créé mon label associatif « Say yay » et j’ai pressé mille exemplaires de cet album. Nous sommes restés en écoute, au rayon jazz de la Fnac aux Halles à Paris pendant deux mois. Et puis aussi sur la chaîne radio « Polynésie Première » qui appartient au groupe France Télévisions. Et puis se sont enchaînés les tremplins, les festivals…
2015 restera pour moi une année fantastique. Cette année-là, en effet je serai lauréate du tremplin de « Jazz en Baie », je serai demi-finaliste du « Golden Jazz Trophy » présidé par Archie Shepp, j’obtiendrai le troisième prix du tremplin de Saint-Rémy-de-Provence, et je serai dans les demi-finalistes à Montreux – avec un jury présidé par Al Jarreau…
Je te passe nos passages dans nombre de clubs de jazz parisiens, ainsi qu’au Hot Club de Lyon…
En 2016, je fais un petit break pour la naissance de mon fils…
Mais très vite, avec Ivan toujours, je vais monter un projet hommage à Michael Jackson : on va carrément déshabiller sa musique pour lui donner une couleur acoustique-jazz. Un projet uniquement scénique, mais on a quand même rempli le Sunset avec lui…
Matériellement, c’était assez compliqué car je me suis retrouvée seule avec mon petit garçon assez vite. Réellement esseulée. Mais je ne me suis pas résignée pour autant. J’ai signé, en 2017, un contrat avec « Le Crillon », un palace de la Place de la Concorde dans lequel je chantais. Je faisais ça pour obtenir mon statut d’intermittente, mais ça m’a été, au final, refusé !
Je me suis consolée en répondant à l’appel du pianiste de jazz Anthony Strong – on se connaissait déjà – qui me demandait de le rejoindre à Londres pour faire ensemble un EP. Cette collaboration débouchera sur la naissance de « Tears and Laughter », un album dans lequel tu trouves beaucoup de ballades piano/voix.
Le jour de sa sortie, nous le présentions, en soirée, aux Ducs des Lombards…
M.M. : Et ton actu plus proche ?
S.C. : Ma dernière aventure musicale s’est faite à l’invitation d’Armel Dupas, encore une belle rencontre, qui nous a permis de sortir un bel album live. Un album qui m’a permis de chanter comme j’ai toujours eu envie de chanter.
Je dois dire que cette période Covid me plombe un peu pour le moment, mais j’ai encore plein de projets, et je n’ai certes pas dit mon dernier mot…
Propos recueillis le jeudi 05 août 2021
Une belle rencontre, une de plus, mais qui s’est réalisée, pour une fois, via ce bel espace qu’est Facebook. Comme quoi, il permet aussi de belles choses, parfois. Un entretien super agréable, un très grand plaisir de te découvrir, musicalement comme humainement. Tu es une personne riche, et ce sera une joie de te croiser « en vrai ».