Une très belle « voix » de plus dans cette modeste galerie de portraits qui compte nombre de personnalités d’exception parmi lesquelles elle a tout à fait sa place. Elle a eu la gentillesse de nous ouvrir ses portes musicales, de son univers dans lequel elle s’engage toujours à fond…

 

Entretien avec Sarah Lenka

Mes instruments ? Ma voix.. sûrement, le piano… peut-être un jour…

 

Michel Martelli : Sarah, tes premiers pas musicaux se feront à Paris…
Sarah Lenka : Oui et non… Paris, j’y suis née, déjà. Mais c’est une ville que je vais plusieurs fois quitter, pour diverses écoles, pour atterrir à Briançon, ou encore à Londres. Je vais y revenir. Je ne suis pas issue d’une famille musicienne, ni même artiste, mais malgré ça, et dès l’âge de huit ans, je vais apprendre le piano « classique » dans la capitale. Et j’en ferai pendant neuf ans. Mais il n’était pas encore question de travailler ma voix, à ce moment-là. Comment s’est fait le déclic ? J’avoue que ce n’est pas très précis dans mes souvenirs. J’écoutais beaucoup de musique, ça oui… et puis, à l’âge de dix-sept ans, j’ai commencé à chantonner peut-être un peu plus que d’autres… Je crois que c’est en arrivant en Angleterre que ça va vraiment se révéler. L’Angleterre où je n’aurais pas dû arriver si vite, car je m’étais inscrite pour entrer aux Beaux-Arts à Paris. Après un premier échec, j’y avais été acceptée mais… au final, je n’ai pas intégré cette école, préférant partir outre Manche, pour rejoindre ma sœur, qui habitait Cambridge. Une fois arrivée là-bas, je me suis mise à chercher les écoles de musique, et mon choix va alors se porter sur la « London Music School » que je vais intégrer, et où je vais passer une année et demie. Aujourd’hui, je reconnais qu’à ce moment-là, j’aurais pu réfléchir un peu plus, et entrer dans une école qui m’aurait proposé des cursus plus élaborés. Mais, bon, j’étais engagée là et j’ai suivi mon cursus « chant », avec bien sûr d’autres cours à côté, de solfège, d’écoute, d’arrangements.
Je vais rester trois ans et demi en Angleterre, alternant entre les petits boulots et des participations à quelques groupes amateurs…

 

M.M. : Quand vas-tu « matérialiser » ton intérêt pour le jazz ?
S.L. : Lorsque je suis rentrée en France, à Paris, j’avais le contact de Jean-Michel Proust, de TSF Jazz. C’est lui qui va me donner des tuyaux pour entrer dans des ateliers-jazz, mais pas très formels si tu veux… plutôt destinés aux « amateurs dont le jazz était un hobby ». Pourtant, c’est un atelier de ce genre qui va me permettre de rencontrer la toute première équipe de musiciens qui m’entourera à mes débuts. Eux étaient dans ces ateliers pour les animer. J’ai ainsi rencontré le pianiste Florent Gac, le batteur David Grébil et le contrebassiste Cédric Caillaud. Avec eux, je vais constituer une première maquette que je vais envoyer à Jean-Michel Proust. Et là, coup de cœur de son côté, puisque je me souviens avoir eu droit à un petit article dans « Le Nouvel Observateur ». Forte de ça, je suis allée taper à la porte de ce qui était, à cette époque, « l’Opus Café » (qui s’appelle « Bizz’Art » aujourd’hui) – tout en reconnaissant auprès du programmateur que je n’avais jamais fait de concerts jusqu’alors. Mais il m’a ouvert les portes quand même. Et ça s’est passé sensiblement de la même façon lorsque j’ai démarché  le « Sunside ». J’y suis allée au culot, mais, pour finir, ça a fonctionné.

 

M.M. : Des signes te montraient que tu étais « dans ta bonne voie » ?
S.L. : Au Festival d’Enghien de 2007, alors que je passe en première partie de Taj Mahal, je vais me voir décerner le Premier Prix récompensant la « chanteuse jazz de l’année » et je t’avoue que cette annonce a réellement été une grosse surprise pour moi, qui me mettais assez peu en avant, malgré des encouragements certains de ma famille proche.
A la suite de ça, un tourneur-producteur, François Peyratout (du label Nemo Music) va me contacter. Et nous allons très vite collaborer, puisqu’il va produire mon premier album « Am I blue ? », qui sortira en 2008, et sur lequel je suis entourée de Manuel Marchès à la contrebasse, et de Yoann Loustalot à la trompette. Cet album nous a procuré une belle surprise, d’abord parce qu’il a reçu un très bel accueil et puis parce que, grâce à lui, on a pu tourner sur pas mal de jolies scènes. C’était, si tu veux, mes débuts dans une carrière plus « professionnelle ». Mais je précise aussi qu’à ce moment-là, je n’étais pas encore intermittente, tout simplement parce que je ne courais pas après ça ! Du reste, en parallèle de mon évolution musicale, j’avais fait une formation de graphiste et, entre deux concerts, je faisais quelques missions en intérim dans ce domaine-là.

 

M.M. : Musicalement, tu étais « lancée » ?
S.L. : Disons qu’à la suite de cette première expérience, avec ce même label, on s’est posé la question de « pourquoi pas un deuxième album ? ». Je dois dire aussi qu’entre mes deux albums, quatre années se sont écoulées. Pour ce second disque, je réunissais des reprises de chansons des années 1920-1930, mais aussi des reprises jazz plus modernes. Cet album, qui s’est appelé « Hush » est sorti en 2012, mais je me dois de reconnaître que sa continuité n’a pas été aussi positive que pour « Am I blue ? », même si nous avons pu faire quelques dates entre 2012 et 2014.
Mais je ne peux pas répondre un « oui » franc à ta question, car après cette nouvelle expérience, j’ai eu envie d’arrêter. Comme on dit, « je n’avais plus la gnaque » et j’éprouvais au contraire une envie de pause… J’ai déménagé de Paris pour aller m’installer à Nice, où j’avais trouvé un job. Mais bon, au bout de huit mois, Euterpe est revenue frapper à ma porte en me faisant reprendre un projet qui tournait en moi depuis pas mal de temps, un projet tournant autour de la chanteuse Bessie Smith. Un hommage, bien sûr, mais pour lequel je voulais des arrangements plus acoustiques, plus « folk ».
J’ai mis en place la construction de cet album tout en travaillant. Chercher des musiciens, « bâtir » un album, tu sais, ça prend du temps, et ça m’en prenait même beaucoup. A tel point que j’ai décidé de quitter mon travail pour pouvoir me consacrer entièrement à mon album. Je voulais, et j’ai pu, faire tout, toute seule, le studio, les photos, le stylisme, la com’… J’ai fait le booking moi-même et, au final, ça a très bien marché. Cet album m’a entraînée sur de très belles scènes de jazz, moi et mes musiciens bien sûr, et nous avons tourné pendant trois ans avec ce projet. Qui a été une véritable révélation pour moi du reste, car sur scène, je me sentais beaucoup plus « libérée ». Tu sais, lorsque les choses s’alignent comme ça, c’est rare quand ça ne fonctionne pas.
L’album s’appelle « I don’t dress fine » et mon équipe de musiciens se compose de Manuel Marchès à la contrebasse, de Taofik Farah à la guitare, de Fabien Mornet au banjo et au dobro… et une petite particularité pour la trompette : sur l’album, tu retrouves Malo Mazurié mais sur scène, et en alternance, c’est soit Quentin Ghomari, soit Camille Passeri.
J’étais sous le label « Jazz and People », de Vincent Bessières, qui avait beaucoup aimé ma motivation. Ce projet été récompensé par beaucoup de prestations dans de beaux festivals, sur pas mal de scènes culturelles aussi, sans parler des premières parties. J’ai reçu beaucoup de soutien.

 

M.M. : Mais tu ne t’arrêtes pas là pour autant…
S.L. : Oui, c’est vrai. J’ai commencé à travailler sur un projet de quatrième album, et sur un thème portant sur les chants de femmes afro-américaines du début de vingtième siècle. Des chants « de transmission », oscillant entre le gospel et des chants sortis d’on ne sait où. En plus, j’avais choisi des femmes au destin tragique.
Il y a eu un gros travail d’arrangements sur ce projet. Il me fallait amener ce répertoire dans mon monde. J’ai produit cet album, et je l’ai donné en licence à « Musique Sauvage », le label de la maison « Caramba Culture Live ». J’avais rencontré Frédéric Gluzman, de V.O. Music, lui aussi rattaché à « Caramba » et nous avons travaillé ensemble sur cette réalisation. Une réalisation qui s’inscrit dans une direction totalement différente de celle que j’avais pu emprunter jusqu’alors, qui m’a permis de faire quelques scènes sympas, mais qui m’a fait avancer quand même sur un chemin… assez rocailleux. Je reconnais que j’ai mis un peu de temps à trouver mes marques, là. Cet album, « Women’s legacy » est sorti en 2019 et normalement, nous devions tourner avec lui sur 2020. Mais, bien sûr, la Covid-19 nous a fait tout annuler, surtout les dates qui étaient prévues à l’étranger.
Je ne t’ai pas parlé de mon équipe de musiciens sur cet album : on retrouve Fabien et Taofik aux guitares, Manuel à la contrebasse, mais aussi Raphaël Chassin à la batterie, Công Minh Pham aux claviers, et Miquèu Montanaro aux « bruitages » et aux petites percussions.
Bon, mais comme je te le disais, le virus nous a fait perdre pas mal de dates. On a quand même eu quelques reports simplement, heureusement.

 

M.M. : Quid de ton actualité ?
S.L. : En février dernier, chez « Musique Sauvage », c’était un peu le flou. Et puis, j’ai été contactée par le nouveau gérant de ce label, qui a beaucoup aimé mon disque et qui, du coup, m’a demandé si j’avais un autre projet en préparation. En fait, j’avais déjà une petite expérience en trio (guitare-batterie-voix) avec le batteur Yoann Serra, et Taofik à la guitare, et j’ai pensé poursuivre cette expérience sur un EP de cinq titres, que nous pourrions mener avec des « invitées ». La flûtiste  Naïssam Jalal nous a déjà dit oui, ainsi que la chanteuse franco-sénégalaise Awa Ly. Et nous attendons la confirmation d’une troisième artiste, mais dont je ne te révèle pas encore le nom… tant que cela n’est pas certain.
On espère un concert de sortie en février 2022 à Paris, si l’activité est bien relancée. Et quelques dates ensuite.
Si tout ça s’enclenche bien, je profiterai de cette dynamique pour travailler sur un nouvel album, et je serai aidée sur ce projet par une Fondation. A quelle échéance ? Je pense lancer le processus dès cet automne, pour une sortie d’album à l’automne 2022 et une tournée en 2023. Côté musiciens, si Yoann et Taofik seront présents, les autres musiciens ne sont pas encore choisis, tout ça étant encore en préparation.

Sinon, je peux te dire que j’aimerais beaucoup reprendre des cours de piano classique. Pour une bonne remise à niveau, car tu imagines que j’ai beaucoup perdu, depuis le temps. Et après… eh bien j’aviserai ! Chaque chose en son temps.

Je termine en remerciant mes programmateurs, le public, mes musiciens… tous ont été vraiment super avec moi.

Même si je suis quelqu’un qui travaille beaucoup seule. Et qui aime ça !

 

 

Propos recueillis le lundi 09 août 2021.

 

 

Sarah, j’ai été très heureux de découvrir la musicienne de talent qui est en toi, au travers de cet entretien très agréable. Ta volonté farouche de faire dans le beau paye et continuera à payer, je n’ai aucun doute là-dessus. Au plaisir de te rencontrer, peut-être, un jour.

Ont collaboré à cette chronique :