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Entretien avec Sophie Le Morzadec

Retour à la voix, dans cette chronique. Une voix qui sait s’adapter à beaucoup de styles de musique, et avec de beaux projets à la clé…. La musicienne qui porte cette voix est aussi une femme de cœur, à l’écoute de l’autre. Que demander de plus ?

 

 

Entretien avec Sophie Le Morzadec

Du jazz au pop-rock-électro… la famille est grande !…

 

 

Michel Martelli : Sophie, ton nom avoue tes origines…

Sophie Le Morzadec : Oui, c’est vrai ! Je suis née dans cette belle région de Bretagne, du côté de Pontivy, et je viens d’un monde ô combien important – le monde paysan – mais, pour le coup, pas spécialement mélomane. Quand même, Jacques Brel, Johnny Clegg m’auront un temps accompagnée, tout au long de ma jeunesse. Mais cet état de fait n’a pas été un arrêtoir quant à mon “envie” de chant, voire de danse, bien au contraire. Depuis toute petite, j’avais ça en moi, je voulais devenir chanteuse, ou danseuse. C’est à l’âge de six ans, à l’école, que je vais commencer à apprendre des chansons en breton, puisque nous avions des cours de notre langue régionale. Et la danse, ce sera plus du domaine du loisir, mais nous étions tout de même quelques enfants à nous réunir dans cet art, et nous faisions quelques concours.

A l’âge de dix ans, avec mes deux copines Françoise et Maëlle, nous avions même monté notre trio de chant ! Avec lequel nous avions participé au “Kan Ar Bobl” – un concours de chant en breton, sur le principe du chant “question-réponse” typique de cette région.

Donc, la passion, elle était là. C’était une évidence. Pour moi, la voix était une porte ouverte à tous les possibles. Je la voyais, si tu veux, comme un véritable écrin. Et puis, première belle rencontre, il se trouve que la mère d’une de mes grandes amies de cette époque – qui était elle-même cantatrice – donnait des cours de chant. Dis-toi que mes tout premiers cours de chant ont été négociés. contre un agneau ! Elle m’a énormément apporté. Tu sais, je ne chantais pas devant mes parents, je gardais ça pour moi, de façon assez intime. Elisabeth Leray, ma prof, va aussi me faire découvrir le jazz. Ce sera avec elle que je chanterai, pour la première fois accompagnée de son seul piano, et alors que je n’ai que douze ans, la chanson de Nina Simone My baby don’t care. Mais c’est là aussi que je vais me rendre compte que ce jazz est aussi une ouverture sur plein de musiques différentes, du blues à Dylan, et sur plein de styles divers et variés.

 

M.M. : Et puis tu quittes ta région natale…

S.L.M. : Oui. A l’âge de quatorze ans. Mes parents vont déménager en Ariège et là, je vais apprendre qu’il y a un “collège de jazz” à Marciac. Encouragée par mes parents, je vais aller auditionner, et – chance ! – je vais être prise en dernière année de collège. J’ai dit “chance” parce que ce n’était pas gagné d’avance et c’était même très compliqué pour les élèves – c’était mon cas – qui ne “pratiquaient pas “un instrument.. Alors, oui, j’avais derrière moi trois années de guitare classique, mais c’est sur ma voix que je comptais surtout. Et c’est passé comme ça. Pendant ces années, j’ai croisé la route de plusieurs “futurs” musiciens, dont certains sont devenus des amis comme la saxophoniste Carla Gaudré. Ce qui m’a marquée le plus, dans ce collège ? Je crois que c’était d’être entourée par des personnes qui ne vivaient que pour le jazz. Du reste, je te l’apprends peut-être, c’est le jazz qui a sauvé ce collège – qui aurait dû, normalement, disparaître. Son proviseur, Jean-Louis Guilhaumon*, en créant cette classe de jazz, a su lui donner un souffle nouveau.

Etant à Marciac, évidemment, j’ai pu suivre le festival d’été où j’ai découvert, cette année-là, la grande chanteuse Dianne Reeves, que j’adore encore aujourd’hui.

A la fin de cette année, comme je passais au lycée, je me suis inscrite au lycée de Montauban, où on proposait une option “musique” huit heures par semaine. J’ai foncé, et me suis abreuvée d’histoire de la musique, de pratique de chant. Ce sera là aussi que je rencontrerai des gens – plus âgés que moi – qui faisaient de la musique “trip-pop”, un peu du style du groupe Portishead, si tu veux. Nous avions formé un groupe, “Ulmo”, qui a duré un petit moment. Mais il y a eu aussi d’autres belles rencontres, comme celles avec le claviériste Bastien Andrieu, ou le bassiste Juan Favarel.

 

M.M. : Ton Bac en poche, où atterris-tu ?

S.L.M : A Toulouse. Je sentais que c’était le lieu où il fallait que je sois. Mais j’avais peur d’aller en faculté de musicologie, à cause du concours d’entrée. Pour faire court, je m’étais inscrite en “sciences du langage”, en fac, mais ça n’a pas duré. J’ai opté pour la vie “active” – un travail dans la restauration, qui va me faire rencontrer le bluesman Slim Paul, Slim qui va me “briefer” sur l’école “Music’Halle”. Ca va me décider à y entrer et, comme il y avait malgré tout aussi un concours, je vais le passer avec un morceau “guitare-voix” de Janis Joplin. Et ça a fait mouche. Michelle Zini, qui était la professeure de chant de l’école, ainsi que Christian Ton Ton Salut – qui étaient tous les deux dans le jury – ont été touchés. je vais donc entrer, pour trois ans, à “Music’Halle”, le temps de construire ma formation de musicienne professionnelle et d’obtenir mon certificat de fin d’études en 2010.

Pendant ces trois ans, l’école nous faisait “monter sur scène”, et cela restera aussi une période très riche en rencontres musicales. Côté “groupes”, nous monterons le “Tryoni” – chant et guitares électriques – avec Antoine Paulin et Rémi Savignat. C’était un trio jazz, principalement axé sur les compositions des deux guitaristes, avec parfois quelques standards bien arrangés par les guitares. Une expérience très intéressante.

Je participerai aussi à d’autres groupes, d’univers différents, comme la soul, le blues… et puis c’est à ce moment-là aussi que je rencontrerai la très chouette Maïlys Maronne, avec qui je collaborerai par la suite.

 

M.M. : Tu t’éloignais du jazz ?…

S.L.M. : Non, au contraire ! Après la période “Music’Halle”, je voulais y entrer encore plus sérieusement, ainsi que dans l’univers des musiques improvisées. Et ça tombait bien. Au Conservatoire de Tarbes, Pierre Dayraud avait ouvert une classe regroupant tout ça. Tu penses bien que je vais y foncer, pour trois nouvelles belles années, ponctuées de plein de stages, et avec une super rencontre avec le be-bop en prime ! Sans compter de nouvelles rencontres musicales – tu t’en doutes. En 2013, j’obtiendrai (brillament mais ne le répète pas !) mon D.E.M. Je crois que là, un véritable déclic s’était produit en moi. Un certain “lâcher-prise” m’habitait dorénavant. Je maîtrisais la technique, il me restait à trouver ma voie et je vais la trouver.

Un premier projet artistique va arriver, “Habemus Tam Tam”, avec Maïlys : un groupe de cinq musiciens tellement en phase en matière de créativité que ce groupe était une entité à part entière. Il y avait une vraie complicité musicale entre Maïlys et moi, mais aussi avec Dimitri Kogane (batterie) ou Luc Debohogne à la guitare, et Damien Guisset à la basse. En termes de compositions, ça a été mon premier vrai groupe. Où chacun apportait ses idées, du reste.

Il y a eu aussi, dans cette période-là, le quartet “Güzu”, là c’était du jazz moderne, avec le pianiste Etienne Manchon, le batteur Damien Gouzou et le guitariste Oscar Emch.

Ce sera aussi le temps du projet “X X Elles”, mais sur lequel je ne reviens pas, comme tu l’as déjà évoqué avec Carla, dans son entretien.

Un peu plus tard, Jean-Pierre Peyrebel, un prof (et musicien) qui faisait partie du jury pour mon D.E.M. m’a appelée, pour que je rejoigne l’Orchestre de Jazz de Marciac, orchestre qui fut un temps dirigé par Jean-Charles Richard, puis par Dave Liebman et Baptiste Trottignon. On se voyait deux fois dans l’année, et  pour les concerts du Festival d’été de Marciac. J’étais la seule fille, au milieu de neuf hommes ! Mais c’a a été une super expérience de plus, très riche. Jean-Pierre était une très belle personne.

Après “Habemus Tam-Tam”, comme, avec Maïlys nous étions un peu déçues par cet arrêt, nous avons décidé de créer le duo “Bokeh”. Et même s’il a été assez impacté par la pandémie lorsque celle-ci est arrivée, ce duo est toujours prêt à jouer les “phénix”.

Comme tu le vois, à partir de 2013, plein de projets assez divers se sont présentés à moi. Et je ne te cite pas les quelques “guest” que j’ai pu assurer, en diverses occasions.

 

M.M. : Tu as aussi opté pour une formation.. non musicale…

S.L.M. : C’est vrai. Je me suis formée à la “gymnastique sensorielle”, une discipline qui me sert bien sur scène, pour laquelle j’avais moi-même été initiée par Michelle Zini que je t’ai citée tout à l’heure. C’est une technique qui te fait comprendre et mesurer l’importance de la présence physique lorsque tu es sur scène. Aujourd’hui, c’est à mon tour de l’enseigner, ce que je fais volontiers à “Music’Halle”, pour les cycles pros.

Côté musical – c’est tout aussi important – Guillaume Pique, musicien de jazz par ailleurs, va me contacter pour participer à un projet, différent du jazz cette fois puisqu’il s’agit d’un projet pop-rock-électro, pour lequel nous sommes trois musiciens (et tous musiciens de jazz à la base), à savoir Guillaume, moi et Simon Portefaix. Le groupe  s’appelle “Entoartix” et il est né en 2018. Nous avons déjà sorti un premier EP en 2020, un autre verra le jour en septembre 2023.

A titre personnel, étant d’un autre univers musical, je me rends compte ici de ce qu’est la richesse de l’apprentissage du jazz. Nous composons tous les trois, et nous avons aussi, tous les trois, le même ressenti. “Entoartix” est le projet qui m’anime le plus, en ce moment. J’y compose tous mes textes.

Le 27 mai prochain, nous serons à la SMAC d’Art Cade, en Ariège. J’ajoute aussi que, le 17 mars prochain, va sortir notre dernier clip, tourné dans de super décors.

Je suis aussi dans un projet qui revient dans l’univers du jazz moderne, un projet baptisé “Martine”, dirigé par le tromboniste Eric Pollet, et qui réunit Manon Chevalier (au chant), George Storey à la basse, Dimitri Kogane à la batterie et Valentin Avoiron aux claviers.

Nous jouerons le 3 juin prochain, au Taquin, un club de jazz (mais pas que) de Toulouse.

Je termine en te disant que je me produis – étant artiste associée de la SMAC d’Art Cade – en solo depuis décembre 2021. Un solo éponyme pour lequel je m’accompagne d’un clavier, et où je m’aventure dans une espèce de fourre-tout très fun jazz-pop-blues-électro.

Tout ça me fait vivre de beaux moments.

 

Propos recueillis le jeudi 2 mars 2023

 

 

“Tout est possible grâce au jazz”… Tant mieux si, grâce à lui en effet, tu as pu pousser les portes de tous ces beaux univers musicaux. Et qu’importe le style, après tout. La musique peut être sublimée par tous, et c’est bien ce qui compte.

Merci pour ton accueil, pour ton talent, pour tes convictions aussi, pas abordées dans le texte mais tellement présentes.

A très vite…

 

Voir la liste des entretiens de Michel Martelli

 

*: NdlR :Il a été le principal du Collège de Marciac de 1984 à 2008 ; fondateur et directeur de Jazz à Marciac en 1979 ; Maire de Marciac depuis 1995 …

Ont collaboré à cette chronique :