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Entretien avec Vincent Périer

Il est originaire d’Aurillac, dans le Cantal. Il fait aujourd’hui partie des excellents « soufflants » français, puisqu’il s’est consacré à la clarinette, puis au saxophone. Un musicien attachant.

 

 

Vincent Périer,

un saxophoniste à l’écoute du monde

 

Michel Martelli : Vincent, comment cette passion naît-elle en toi ?

Vincent Périer : J’ai eu un père et un frère aîné très branchés musique, surtout jazz. Des gens comme Oscar Peterson ou même Django Reinhardt m’ont accompagné depuis tout jeune. En plus, mon père et mon frère étaient à la fois pianistes et guitaristes. Il y a toujours eu un piano à la maison, un piano qui m’a bien servi, même si, à l’origine, je prenais ça plutôt comme un jeu… Mon père m’y a appris les rudiments de l’harmonie, à trouver des accords.. En clair, à me débrouiller seul en musique. Et je te parle de ça, j’ai… six ans.

Par la suite, je me suis intéressé à la batterie. Mais je n’ai jamais pris de cours de façon sérieuse. Mais ça me permettait quand même de les accompagner dans leur jeu.

Ma première école de musique sera, bien sûr, celle d’Aurillac. Et déjà, je voulais y entrer en classe de sax. Malheureusement pour moi, la classe était complète. Du coup, je me suis rabattu sur la classe de clarinette, un instrument que je vais pratiquer quelques années. Jusqu’à mes quinze ans, parce qu’après… Il faut savoir que j’avais un oncle qui avait joué dans un big band comme saxophoniste. Il ne jouait plus, bien sûr, mais il avait gardé son instrument qu’il a fini par me céder. Et moi, j’avais tous mes cours de clarinette dans la tête et d’emblée, j’ai commencé le sax en autodidacte. Clarinette et saxophone sont cousins. Et, de plus, je trouve plus facile de passer de l’apprentissage de la clarinette à celui du saxophone. Il vaut mieux ça que l’inverse selon moi.

 

M.M. : Et puis le Cantal t’a montré ensuite ses limites… musicales ?

V.P. : On va dire ça, oui. A dix-huit ans, après mon Bac, je vais m’inscrire en faculté de Musicologie à Saint-Étienne. Avec quelques potes de ma région, du reste. Et dans la foulée, je vais aussi m’inscrire au Conservatoire de cette ville, en sax et en département jazz. Mon professeur était Ludovic Murat – qui était aussi le directeur de ce département jazz – à titre personnel très impliqué aussi dans la vie du jazz à Saint-Étienne. C’est d’ailleurs grâce à Ludovic que j’ai pu entrer au Conservatoire. A la base, je ne savais même pas que ce cursus existait. Dans ma tête, j’avais même abandonné l’idée de m’inscrire dans ce Conservatoire.

Et puis, je remarque des affiches annonçant un concert de jazz sur la ville. Il se trouve que Ludovic jouait, pour l’occasion… Après le spectacle, je me suis enhardi à lui emprunter son sax, et à jouer avec lui. Mon jeu lui a plu. Il m’a proposé de rejoindre sa classe, comme ça, sans passer par le concours. Et c’est parti. Cette rencontre avec Ludovic fait partie de mes rencontres professionnelles importantes, et elle dure encore aujourd’hui, lorsqu’il nous arrive de nous croiser le temps d’un concert… Parmi mes copains de cette époque il y avait Frank Boyron, Matthieu Notargiacomo, Pierre Fargeton aussi qui est devenu prof de jazz aujourd’hui.

 

M.M. : Des groupes, à cette époque ?

V.P. : Oui, bien sûr, avec des potes du Cantal on avait commencé à monter des petites formations. Le premier groupe qui a véritablement compté, je l’avais fait avec le batteur Olivier Genin et la chanteuse Carina Salvado. On répétait une fois par semaine, c’était mes premières écritures musicales, on testait mes compositions. On était plutôt sur une ambiance mélangeant le jazz et le funk, un peu à la Julien Leroux.

Mais on a connu ensemble aussi nos premiers concerts « professionnels ». Ça restera, en tout cas, un très bon pied à l’étrier.

Mais bon… tu imagines bien qu’au Conservatoire, j’ai rencontré plein de gens super intéressants, et il s’en est suivi pas mal de concerts sur la scène stéphanoise.

A la faculté de Musicologie, j’étais un élève assez sérieux. Et pourtant, en off, j’accumulais de plus en plus de concerts. Mon master était un travail sur Charlie Parker mais malgré ça, je me disais que cette voie ne serait pas ma finalité. Lorsque j’ai eu autant de dates que mes potes qui étaient déjà intermittents, je me suis décidé à arrêter la Fac. Pourtant, force est de reconnaître qu’elle m’avait beaucoup apporté. Et notamment à m’ouvrir sur des recherches supplémentaires. Mais, dans ma tête, j’avais fait le choix de devenir musicien professionnel. Et je ne le regrette toujours pas !

 

M.M. : Après la Loire, direction la Savoie ?

V.P. : Oui, c’est vrai. Mon cursus achevé à Saint-Étienne, je vais aller m’inscrire au Conservatoire de Chambéry. J’étais très intéressé par les cours d’harmonie et d’arrangements qu’y donnait Pierre Drevet. Sans ombrage pour tous les autres, Pierre a été, selon moi, le meilleur prof que j’ai pu rencontrer. Il avait le don de la transmission, et puis il inspirait le respect, tant au plan de sa carrière personnelle que dans sa manière de nous former. J’ai beaucoup appris avec lui dans l’écriture et  l’orchestration.

Après Pierre, j’ai pris encore d’autres cours d’écriture, mais dans le domaine « classique » cette fois, avec François Piguet. Contrepoint, romantisme, Bach… tout y est passé, avec un professeur très rigoureux mais excellent. Tout ça se passe alors que j’ai entre vingt et trente ans. Et puis, en 2015, je vais croiser la route d’un autre professeur – qui était en plus trompettiste – Alain Faucher. Alain est de Brétigny-sur-Orge. Il m’a donné des cours de respiration. Tu sais, beaucoup de gens connaissent Alain pour ça. Je n’ai pas hésité à monter le voir, et là encore, j’ai bien fait. En un seul cours, il m’a fait énormément progressé. Une très belle rencontre, encore, pour moi.

Je crois qu’aujourd’hui, sincèrement, je travaille beaucoup plus sérieusement qu’il y a quelques années, pendant lesquelles, c’est vrai, je reconnais que je bossais « en dilettante ».

 

M.M. : Saint-Étienne t’avait ouvert sa scène ?

V.P. : Oui.. entre 2000 et 2012, je résidais à Saint-Étienne donc je jouais sur sa scène. Mais il y a toujours une sorte de complexe de Saint-Étienne vis-à-vis de Lyon, et c’est vrai que tu trouves moins de jazz dans la première que dans la seconde. Et du coup, à Saint-E, je jouais autre chose que du jazz. Et surtout de la musique klezmer – la musique juive d’Europe de l’Est – que j’ai pu expérimenter au travers du groupe  Glik  dans lequel je jouais de la clarinette, ce qui a été, pour moi, une expérience très très formatrice. Dans ce genre de concert, contrairement au jazz, il n’y a pas d’improvisation : on joue en faisant des variations sur la même mélodie. C’est ça qui capte l’attention du public. Et c’est une toute autre façon de faire que du jazz.

Si Glik  n’existe plus aujourd’hui, je continue cette belle route musicale au travers du groupe  Kalarash  avec David Lefèbvre au chant, Agathe Llorca au violon et moi à la clarinette encore.

Tu vois, à Saint-Étienne, je prenais tout ce qui passait : rock, funk, reggae… le jazz n’était qu’une partie de ma musique.

Une autre expérience, aussi, pour moi : lorsque j’ai eu l’occasion de faire des percus en batucada, au sein de l’ensemble Tac Tatoom qu’emmène « Koko », un franco-marocain. A Aurillac déjà, à l’occasion d’un festival d’arts de rue, j’avais eu l’occasion de découvrir la batucada, j’avais trouvé ça merveilleux, ce rythme qui t’entraîne… et c’était déjà à cette époque la troupe de Koko… Et en plus, on avait plein de potes en commun. Il m’a accueilli dans sa troupe, une expérience encore qui m’a beaucoup appris parce que là, on doit s’effacer en tant qu’individualité. En batucada, on ne pense qu’à l’ensemble. Ton jeu perso est complètement secondaire. Ce que tu ne trouves pas, normalement, dans le jazz.

Suite à cette expérience, j’ai tenté de reproduire cet état d’esprit dans un septet, le « Grouvatoire », où je voulais reproduire ce que j’avais appris, c’est-à-dire pas vraiment d’instrument soliste mais quelque chose de pensé sur les règles de la batucada… Alors, commercialement, je dois reconnaître que ça aurait pu mieux marcher. Pourtant, musicalement, à chaque concert, le public appréciait énormément.

 

M.M. : Comment passes-tu de Saint-Étienne à Lyon ?

V.P. : Pendant ma période à Chambéry , je vais rencontrer Julien Bertrand. Avec Julien, on va devenir super potes. D’abord parce qu’on était tous les deux auvergnats. Julien était déjà à Lyon, et il m’a vanté « sa » ville. Il faisait partie du Polycarpe , il avait plein de projets musicaux dans la tête, et venait de monter le  Julien Bertrand Quintet. Et moi, je n’osais pas trop venir à Lyon, mais son insistance a fini par payer. Je fais le grand saut, et j’en profite pour former le Vincent Périer Quartet avec Yvan Oukrid à la batterie, Brice Berrerd à la contrebasse et Rémi Ploton au piano (et puis, quand Rémi s’en ira dans le sud, il sera remplacé par Romain Nassini). Ce quartet, je le voulais comme une carte de visite pour démarcher la scène lyonnaise. On était là en 2009. On a commencé à faire pas mal de scènes, de jams… J’ai pu faire un album avec chacune des deux compositions de mon quartet, le premier était éponyme, et le second s’appelait « Elle est pas belle, la vie ? » avec la reproduction d’une toile du Caravage en pochette.

Au départ, bien sûr, j’ai fait des allers-retours entre Lyon et Saint-Étienne. Avant de me fixer définitivement à Lyon. En 2013, je vais créer un autre groupe – où je voulais des arrangements plus orchestraux – ce sera le  Vincent Périer Septet, avec Célia Kameni en invitée d’abord, en invitée permanente très vite ensuite. Avec ce septet, un album est né aussi, qui s’appelle « Les yeux qui brillent » et qui a sur la pochette… une reproduction de « La ronde de nuit » de Rembrandt. Dans ce septet, tu retrouves Julien Bertrand à la trompette, Loïc Bachevillier au trombone, David Bressat au piano, Thibaut François à la guitare, Thomas Belin à la contrebasse et Francis Decroix à la batterie.

Je te cite là deux projets « perso » dans lequel je suis « chef d’orchestre ». mais j’ai aussi un côté « sideman » important.

 

M.M. : Justement… parles-nous de tes collaborations…

V.P. : Oui, je peux te parler de mes collaborations, mais, forcément, cette liste ne sera pas complète. L’essentiel de mon travail aujourd’hui, réside dans des concerts avec des tas de groupes, sans compter les remplacements. On va dire que je suis « un musicien qui aime bien s’étaler » !

Il y a d’abord le  Cissy Street, un groupe plutôt jazz-funk, emmené par le guitariste (et compositeur) Francis Larue. Là, je suis au saxophone, et nous sommes entourés de Yacha Berdah à la trompette, d’Etienne Kermarc à la basse et d’Hugo Crost à la batterie. L’album « La Tour du Pouvoir » est sorti très récemment [NdlR : le 12 juin].

 

Il y a aussi le  Holly Bounce Orchestra , le groupe swing très « lindy hop » que tu as évoqué avec Thibault Galloy, qui regroupe, on le rappelle, en plus de Thibault et moi, Anthony Bonnière au trombone, Camille Thouvenot au piano, Pierrot Brondel à la contrebasse et Josselin Perrier à la batterie.

 

Je vais te citer aussi le  Red Star Orkestar – à la base, une fanfare balkanique – qui allie aujourd’hui la musique sud-américaine avec cette musique des Balkans. On a plein de machines sur scène, et ce groupe est emmené par Xavier Salin qui, en plus d’être un grand instrumentiste, est un grand musicien.

 

Je participe aussi au projet « Nanan », inspiré par Lydie Dupuis (qui y est batteuse), avec Mélina Tobiana au chant, Camille Mouton au piano, Julien Sarazin à la contrebasse. Lydie apporte paroles et musique, et c’est Rémi Ploton qui fait les arrangements.

 

Et puis… te citer encore le projet « La & Ca », avec Camille Thouvenot et Audrey Podrini. Sans oublier Zaza Desiderio à la batterie. Un projet pour lequel je reprends ma clarinette.

 

Voilà, ce sont les projets principaux, mais je te redis que j’aime jouer « à droite et à gauche ». Mais, quoi qu’il en soit, je t’avoue que je me languis que notre vie de musiciens reprenne et dans de bonnes conditions. Ça fait bien trop longtemps qu’on est à l’arrêt. Certains concerts commencent à se recaler, c’est déjà ça.

J’espère surtout qu’avec des périodes comme ça, le public ne se lassera pas du « live », au profit de toutes ces vidéos que l’on peut voir aujourd’hui sur divers réseaux sociaux. C’est bien en soi, mais il ne faut pas que cela soit à double tranchant. Ni que ça se généralise.

 

 

Propos recueillis le samedi 13 juin 2020.

 

 

Un grand merci à toi, Vincent, pour ton franc-parler, ta bonne humeur et l’occasion pour moi de rencontrer un super musicien supplémentaire, à l’identique de tous ceux rencontrés dans ces colonnes jusqu’à maintenant.

Vivement de te voir sur scène…

 

 

Merci à mon complice Franck Benedetto, pour sa collaboration photographique.

Ont collaboré à cette chronique :