Surprenant projet que celui du réalisateur alchimiste Alain Gomis qui a transformé en film les rushes de l’ émission de télévision « Jazz Portrait » enregistré le 17 décembre 1969…
Surprenant parcours que celui de son Rewind and play qui a d’abord été diffusé sur Arte le 1er septembre 2022 avant de sortir en salles de cinéma la semaine dernière dans la capitale… Les Lyonnais pourront le découvrir mardi 17 janvier au cinéma Lumière Bellecour à 18h45.
Surprenant cet objet filmique qui s’ouvre sur une ébauche d’interview de Thelonious Monk par Henri Renaud debout près du piano avant que n’apparaisse la mire de la deuxième chaîne de l’ORTF… puis le titre du film.
Flashback sur l’arrivée de Monk à l’aéroport d’Orly, gros plans sur son épouse Nellie dans la Mercedes qui les emmène au studio où l’attend un Steinway de concert, questions d’Henri avec ou, surtout, sans réponses de Thelonious, extraits de morceaux en solo, scènes de bar, de rue.
Monk porte sa mythique coiffe noire au pompon rouge, son manteau gris en extérieurs, son costume cravate en intérieurs. Monk mange un œuf dur, boit un café, caresse un petit chien gris… Monk est en tournée, il est fatigué…
Malin, Gomis joue la carte de l’imperfection. Faux raccords, montage désordonné, images instables, séquences gênantes qu’Henri Renaud souhaitait rejeter installent une forme de malaise, transformant le spectateur en voyeur.
Monk était un taiseux. Renaud en fait les frais ! Il avait pourtant bien préparé ses questions, pas de chance, elles n’intéressent pas vraiment le pianiste ! On sourit quand ce dernier se retrouve empêtré avec ses questions sans réponse… On compatit quand de très gros plans montrent la sueur de Thelonious, son souffle embuant parfois l’objectif d’une caméra intrusive… En filigrane, Gomis pose la question de l’interviewer qui cherche à tout pris à obtenir des réponses face à l’artiste qui voudrait que son art se passe de commentaires.
Puis l’on peut enfin écouter le maître à l’œuvre. Sa parole se raréfie. Sa musique prend le pouvoir. Le musicien n’est plus un phénomène de foire. Il est divinement artiste. Il joue du piano comme lui seul en jouait. Miracle, la prise de son de décembre 1969 était parfaite ! La musique de Monk possède cet indicible parfum d’éternité. Elle se suffit à elle-même. A quoi bon vouloir percer le mystère de Mister Monk ?
Film riche en niveaux de lectures, Rewind and play permet surtout de voir et entendre un monument au travail et d’entendre quelques notes (parfois l’intégrale) de Monk’s mood ; Reflections ; Crepuscule with Nellie ; Epistrophy ; Thelonious ; ‘Round midnight ; Ugly beauty ; Come on the Hudson…