Girls power et néo-folk tous azimuts

Après la flagrante prédominance des musiques afros observée dans notre palmarès de 2021, un double constat saute aux yeux cette année. La tendance s’oriente clairement vers un néo-folk tous azimuts, ressuscitant sous toutes ses formes (pop, blues, soul, rock, world…) l’esprit et le son particulier des seventies avec une touche perso  bien actuelle. Vaste créneau où les filles ont visiblement pris le pouvoir au regard de cette top-list où, par un heureux hasard, la parité est non seulement absolue, mais où les grandes dames trustent sans appel les six premières places devant les artistes ou groupes masculins (sachant qu’on inclut Manon Cluzel dans les chanteuses bien qu’il s’agisse du groupe Uptown Lovers).

Un best-of subjectif mai sincère, après avoir passé au crible une centaine d’albums dont la moitié ont été sélectionnés dans ces colonnes, mais donnant un panorama éclectique de tout ce qui nous aura fait vibrer cette année. Autant d’idées de cadeaux à placer sous le sapin avec la garantie de ne faire que des heureux, selon les goûts de chacun. Bonnes écoutes, et Joyeux Noël avec du Très bon son !

 

1.  KAZ HAWKINS «My Life and l» (DixieFrog)

Parce qu’elle le vaut bien ! Même si les cinq premières places de ce classement par nécessité pourraient tout à fait être interchangeables, c’est peut-être à la plus méritante qu’on décernera la tête du podium, eu égard à son parcours, cette existence cabossée qui est à l’origine de ces dix-sept chansons miraculeuses. Ce «My Life and I» compilé par Dixiefrog qui l’a signée est une pure leçon de vie et de résilience, livrée avec fougue et l’émotion à fleur de peau d’une extraordinaire battante au talent fou. Blues, gospel, jazz, soul funky et rock’n’roll enragé, toute la palette musicale est réunie avec brio dans la voix fabuleuse de la grande dame de Belfast aujourd’hui installée à Paris et dont on a pu mesurer la stature de diva renversante en concert. Une tornade émotionnelle exceptionnellement brute de sincérité (voir la chronique ici).

 

 

2.  YOUN SUN NAH «Waking World» (Warner)

Mais comment fait-elle? Après avoir réussi la prouesse de nous avoir livré dix albums incroyables et sans cesse renouvelés en  vingt ans de carrière ascensionnelle, on pensait avec les deux derniers que notre chanteuse coréenne favorite avait atteint des sommets indépassables. Mais la géniale et jusque là très pudique Youn Sun Nah -qui a souffert de son isolement à Séoul durant les confinements- en a profité pour signer pour la première fois tous les textes (en plus des musiques) et se livrer comme jamais. Son album le plus personnel donc, en forme de panorama de ses états d’âme entre tristesse, mélancolie, voire peurs cauchemardesques, mais espoir aussi. De sublimes confessions toutes en clair-obscur et portées par le gratin de nos musiciens, en studio comme à la scène où elle nous à comme d’hab subjugué et bouleversé. Une reine indétrônable. (voir la chronique ici).

 

 

3.  ROXANE ARNAL feat. Baptiste Bailly «ELIOR» (DixieFrog)

Inattendue puisqu’ inconnue de nos services jusqu’alors -ça arrive!-, voilà sans doute l’une de nos plus belles découvertes de l’année, et que l’on doit encore au flair de DixieFrog. Pourtant la belle jeune fille également actrice a mené un sérieux parcours musical depuis dix ans déjà, mais sa dernière rencontre avec le pianiste Baptiste Bailly a assurément été le déclencheur d’un talent rare, qui se distingue d’emblée de la flopée des demoiselles émergentes versées dans le néo-folk guitare en bandoulière. Nous renvoyant à la mythique époque des seventies mais avec une patte personnelle et très actuelle, Roxane Arnal solidement entourée elle aussi signe un album somptueux et aux mélodies addictives, qui sonne au meilleur de ses glorieuses aînées, entre Steevie Nicks, Ricky Lee Jones, Kate Bush et avec le tact d’une Agnès Obel. Indispensable ! (voir la chronique ici).

 

 

4.  PILANI BUBU «Folklore.Chapter1» (Bupila/ MDC)

Encore une découverte majeure de cet été avec la conteuse jazzy-folk-soul Pilani Bubu, créatrice multi-forme et icône des businesswomen de l’ Afrique du Sud depuis dix ans, notamment via sa musique et cet album qui a décroché le Prix du Meilleur album contemporain africain. Ce qui est tout à fait mérité à l’écoute de ce folklore puisé dans ses racines originelles mais d’une folle modernité, unique et très originale. Un étonnant vibrato déployé au fil de cet opus riche de conversations au flow particulier, tantôt dans le dépouillement, tantôt dans la luxuriance instrumentale d’un orchestre complet avec douze pupitres étincelants, naviguant entre jazz-world, trad’ et afro, soul-pop et le meilleur des musiques urbaines d’aujourd’hui, du spoken-word rappé au hip-hop groovy. Quelle pépite ! (voir la chronique ici).

 

 

5.  UPTOWN LOVERS «Care» (Obstinato/ Inouie Distribution)

Toujours sur le créneau de ce néo-folk multi-facettes qui sublime actuellement l’art du revival en mariant univers d’hier aux sons d’aujourd’hui, nos chers amoureux lyonnais Manon Cluzel et son pygmalion Benjamin Gouhier font mieux que confirmer tout le bien qu’on pensait déjà d’eux avec le précédent et splendide «By your side». Avec «Care», voilà que le duo à géométrie exponentielle entre résolument dans la cour des très grands, à fortiori quand ils sont comme ici pas moins de seize musiciens à porter haut ces folk-songs au sens mélodique inné et totalement addictives, entre pop-rock symphonique et parfois psychédélique, qui unit les cordes de la guitare à celles du cello et des violons, et soul sensuelle alternant douceur et fougue, qui est la signature vocale et si reconnaissable du grain de Manon. Là encore partagé entre l’émotion du dépouillement et l’éclat orchestral majestueux que développe cette superbe équipe d’amis réunis, ce nouveau répertoire est comme touché par la grâce et nous éblouit durant toute la demie-heure de son écoute où l’on fond comme des lovers (voir la chronique ici).

 

6.  SELAH SUE «Persona» (Because Music)

Elle était déjà parmi les premières demoiselles dans nos coups de cœur du printemps, la revoilà à l’heure du bilan dans le peloton féminin qui truste la moitié de ce palmarès. A l’instar de Kaz Hawkins en matière de confessions et de rédemption par la musique, la chanteuse flamande Selah Sue est une battante qui a, comme Youn Sun Nah encore, profité des confinements, mais pour exorciser sa grande dépression chronique et son addiction aux anxiolytiques.Pourtant, pas de mélancolie ou d’ambiance plombée dans cet explicite «Persona», bien au contraire, où l’on retrouve Selah Sue en pleine forme avec ce fameux grain néo-soul , entre puissance et fragilité, continuant sur sa lancée électro entamée en 2015 et la contribution de divers rappeurs de renom. Du gros son mixant tous azimuts soul, R&B, electro-jazz, pop-folk, ragga… On conseille surtout le beau pack collector de deux CD, le second proposant un feu d’artifices de remix et d’inédits (voir la chronique ici).

 

 

7. LAURENT BARDAINNE & TIGRE D’EAU DOUCE «Hymne au Soleil» (Heavenly Sweetness)

Premier mois, premiers émois….On avait entamé cette année à l’écoute de ce superbe album réalisé par le saxophoniste et claviériste Laurent Bardainne et son redoutable Tigre d’Eau Douce en se doutant bien, déjà, qu’il figurerait parmi nos plus gros coups de cœur de 2022. Une évidence tant ces nouvelles aventures félines nous on accroché, avec ce jazz qui se nourrit de soul, de rythmes afros, d’electro et de hip-hop, dans un esprit retro-futuriste très seventies. Radieux et irradiant, cet hymne à l’astre suprême démarré à l’Icare de tour par le joli thème de Oh Yeah dévoile d’emblée toute la séduction du fin harmoniste Bardainne et son souffle mélodique, à la fois puissant et empreint de sensualité. Cerise sur le gâteau déjà nanti de pépites, la chanson finale «Oiseau» de l’ami Bertrand Belin, plus bashunguien que jamais, mérite à elle seule d’être honorée comme il se doit comme la plus belle chanson de l’année (voir la chronique ici).

 

8.  TOTO ST «Ava-Tar» (17A7)

Solaire s’il en est, notre ami angolais Toto ST est venu réchauffer cette entrée hivernale avec pas moins de deux albums simultanés, concoctés eux aussi durant les confinements, dans le but de mettre un peu de baume au cœur chez ses compatriotes au quotidien difficile. Si l’on aime beaucoup son «Flavors of Time» très wondérien qui remet le groove funky-soul très mainstream des années 80-90 en évidence, on retiendra surtout «Ava-Tar» au fond plus engagé et à la forme world plus spirituelle. Une fusion afro-soul irrésistible qui fait étinceler une fois encore le talent prodigieux de Toto à façonner des compos toutes en séduction où sa voix de soie, la finesse de son jeu de guitare et son sens inné du groove resplendissent naturellement, dans une générosité toute à son image. Que ça fait du bien ! (voir la chronique ici).

 

 

9.  SIXUN «Unixsity» (Dreyfus Jazz/ BMG)

C’était sans doute le retour le plus attendu de la scène jazz française depuis le temps qu’on en causait. Voilà qui est fait avec ce disque qui ravira les nombreux fans de ce groupe, véritable institution nationale qui aura marqué nos années 90 avec son afro-jazz-rock hérité des Zawinul et autres Weather Report et où jusqu’ici les Américains prédominaient. Arrivé tardivement au point que nous n’avons pas encore eu le temps de le chroniquer ces dernières semaines, cet album que l’on présentera prochainement en séance de rattrapage se devait d’atterrir dans ce best-of pour saluer l’événement. Six titres seulement ça peut paraître maigre pour un tel come-back, mais mieux vaut privilégier la qualité à la quantité puisque tous les ingrédients des précédents opus sixuniens y figurent, comme les musiciens originels à la base de cette merveilleuse aventure. Promenade inspirée du piano et envolées des claviers de Jean-Pierre Como, rythmique carrée et appuyée par la batterie de Paco Sery et les percus de Stéphane Edouard sur le tricot massif de Michel Alibo à la basse, sens mélodique des chorus de Louis Winsberg à la guitare et d’Alain Debiossat au sax, le groove aérien et le lyrisme chantant de ces compos instrumentales sont bien au rendez-vous, cette fameuse patte élégante aux sonorités reconnaissables qui fait la marque Sixun qu’on retrouvera avec joie sur nos scènes en 2023

 

10.  JEAN-PIERRE COMO Trio «My Days in Copenhagen» (L’Ame Soeur / Bonsaï Music)

Si Sixun fait son grand retour, son leader Jean-Pierre Como n’en multiplie pas moins ses projets perso, actif sur de nombreux fronts toujours passionnants. Le pianiste de haute volée à l’aise dans tous les formats a encore marqué cette rentrée automnale avec un nouveau trio né d’une rencontre avec deux musiciens danois, Niclas Campagnol aux drums et Thomas Fonnesbaelk à la contrebasse, merveilleux instrumentistes avec lesquels Jean-Pierre a ressenti d’emblée un plaisir fou à jouer lors de séances studio à Copenhague où,au final, les compos prévues ont cédé le pas à un florilège de standards qu’ils partagent sur la même longueur d’onde. Un bonheur de jeu qui transpire de bout en bout et qui saute à l’oreille tant il nous est ici transmis en partage. Des années vingt aux années  soixante, huit titres connus ou peut-être moins sont gravés dans cet opus qui magnifie tout l’art du fameux trio de jazz classique avec piano, batterie et contrebasse. Que du pur plaisir ! (voir la chronique ici).

 

 

11.  EMILE LONDONIEN «Jazz Contenders» (Omezis/ Believe/ Naïve)

Parmi les nouveaux venus dans l’electro-jazz, le jeune trio strasbourgeois Emile Londonien sort du lot et a déjà retenu toute l’attention des grands festivals et de figures notoires des dance-floors comme Gilles Peterson. S’ils n’ont rien inventé, on a beaucoup de plaisir à voir des frenchies s’imposer avec brio sur ce filon musical né à la fin des années quatre-vingts-dix où les Anglo-saxons et les Européens du Nord règnent en maîtres, cette fameuse culture du clubbing qui marie jazz et house music. Entre zénitude et fougueuses envolées, down tempo alangui et prouesses rythmiques intrépides nourries de jungle et broken beat, lignes prégnantes de basse, nappes synthétiques répétitives et, en guest, les interventions débridées du saxophoniste Léon Phal, voilà un EP carte de visite qui augure de prometteuses perspectives en attendant le LP prévu pour février prochain. On a en effet hâte d’entendre la suite de cette sérieuse mise en bouche. (voir la chronique ici).

 

 

12. MARIO LUCIO «Migrants» (MDC/ PIAS)

Si contrairement à d’autres millésimes peu de disques de «musique du monde» figurent dans nos tablettes, le dernier que nous ayons chroniqué à cette échéance vient également clore cette top-list par sa douceur charmeuse et les nombreuses émotions qu’il nous a procuré. Ancien ministre de la culture du Cap Vert, l’artiste Mario Lucio qui partage ainsi diverses similitudes avec son célèbre ami brésilien Gilberto Gil, n’est pas sans nous rappeler également un Luca Santtana avec son folk afro-brésilien engagé côté textes puisqu’il rend ici un vibrant hommage aux migrants. En ré-ancrant la musique spécifique de son île à celle plus globale de l’Afrique continentale, avec l’aide de son jeune producteur portugais, le poète qui se fait conteur à la manière d’un griot signe avant tout un bel et touchant hommage à l’amitié et à la fraternité sans frontières. Il faut bien ça pour refermer cette triste année avec un peu de chaleur humaine (Voir la chronique ici)

Ont collaboré à cette chronique :