Chronique de livre

Miles In Blue Du Velvet à ECM L’onde de choc Kind of Blue

Vous avez peut-être entendu parler de Rubberband ? Cet album posthume de Miles Davis, sorti en cette rentrée de septembre 2019, trente-huit ans après sa réalisation. Vous connaissez bien entendu Kind of Blue, ce chef d’œuvre de 1959 ! Cette œuvre majeure du jazz contemporain a fait l’objet de nombreux ouvrages. Nous avons parlé du livre de Nicolas Bénies, le souffle bleu : https://archives.jazz-rhone-alpes.com/111010/index.htm paru en juin 2011. Miles in Blue de Richard Williams date de 2009, et il n’a pas été le premier ouvrage consacré à cet album légendaire. L’auteur choisit donc un angle de vue complémentaire aux autres ouvrages et s’attache à l’influence de Kind of Blue, plutôt qu’à sa conception. L’auteur détaille rapidement mais avec beaucoup de précisions l’album avec les titres et les musiciens. Il ajoute que ce n’est pas le cœur de son propos, d’autres auteurs l’ont déjà fait avant lui. Il oriente son discours vers l’après Kind of Blue et l’influence de l’album dans le temps.

Richard Williams parle donc peu de la construction de l’album, même s’il remonte aux origines de la création du jazz modal en évoquant le cheminement de Miles Davis depuis Birth of the cool  à la bande originale du film Ascenseur pour l’échafaud. C’est-à-dire la création post-bop du trompettiste. Bien sûr, l’étape de Milestone, enregistré un an avant Kind of Blue est fondamentale dans la conception du jazz moderne, notamment avec le titre éponyme.

Tout d’abord dans le monde du jazz. Les “sparrings-partners” de Miles Davis, choisis judicieusement par le leader, vont poursuivre la création du jazz moderne. John Coltrane avec son légendaire Quartet repousse les limites du jazz. Bill Evans, approfondit l’art du trio jazz dans la composition et l’exécution. Julian « Cannonball » Adderley crée le style soul jazz. Quant aux autres membres du groupe, ils poursuivent leur carrière dans de nombreuses formations et contribuent à d’autres créations majeures. Dans le champ du jazz, Kind of Blue influence également le free jazz.

Ce qui est plutôt surprenant, c’est l’impact de ce chef d’œuvre quand on va au-delà des frontières du jazz. Richard Williams nous entraîne tout d’abord dans le style de la musique minimaliste. Sa thèse démontre que c’est Kind of Blue qui a permis de créer ce style. L’auteur nous emmène dans l’univers des précurseurs avec La Monte Young et Terry Riley qui sont principalement inspirés par la musique classique contemporaine et le jazz moderne de Kind of Blue. Nous allons ensuite vers les créations de John Cage.

Nous ne faisons qu’un pas pour passer dans le domaine du rock expérimental du Velvet Underground de John Cale et Lou Reed. Par la suite, l’influence du chef d’œuvre de Miles Davis s’étend au rock progressif ainsi qu’au jazz rock. L’auteur cite Soft Machine de Robert Wyatt et Daevid Allen, King Crimson de Robert Fripp, Roxy Music de Brian Eno, puis Talking Heads, Kraftwerk, Steve Reich et Philipp Glass, …sans oublier Jon Hassell, le grand trompettiste de jazz qui sera proche de ce milieu.

Même la soul et le funk sont sous l’influence du chef d’œuvre du jazz de 1959. James Brown et ses musiciens déclarent avoir été marqués par cet album. C’est dans la sphère ECM, le label de Manfred Eicher, que l’auteur termine sa démonstration. Car le style des enregistrements ainsi que de nombreux musiciens du label sont concernés par cette influence.

Ce tourbillon dans les ramifications de l’influence de Kind of Blue peut nous laisser perplexe, tant cela va loin dans les styles musicaux et dans le temps. Mais Richard Williams appuie sa démonstration avec de nombreuses analyses techniques et beaucoup de témoignages des musiciens.

Si Rubberband passera peut-être l’automne, on comprend ainsi, pourquoi Kind of Blue est passé à la postérité !

 

Williams Richard ” Miles in Blue, du Velvet à ECM, l’onde de choc Kind of Blue”2011 éditions Payot & Rivages, 254 pages, ISBN : 978-2-7436-2212-1

 

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