Dans le département de la Drôme, un Festival de jazz a bien grandi, depuis sa naissance, en 2007. Depuis douze ans, sa présidente actuelle l’a encore plus embelli, grâce à l’association qui, en coulisses, fait ce qu’il faut pour célébrer le jazz traditionnel, de toutes les façons possibles…..
Parole de Présidente – Agnès Liaudet
” A.J.T – vous !”…..
Michel Martelli : Agnès, comment cette belle aventure a-t-elle commencé ?
Agnès Liaudet : L’association en elle-même, les “Amis du Jazz Traditionnel” est née en 2006, à la suite de l’organisation, le 18 mars de cette année-là, d’une “Nuit du Jazz” dans le village de Rochegude – en Drôme Provençale – à l’initiative de Jacques Doudelle, qui y résidait à l’époque. Jusque-là, le jazz était inexistant, au village. Mais cet évènement avait attiré énormément de monde, donc, à la suite de ça, une employée municipale, Françoise Canonica, a émis l’idée de monter une association, avec Jacques Doudelle bien sûr, dont le but seraitde promouvoir le jazz traditionnel, via des concerts, un festival.
L’association s’est créée le 20 avril 2006, et son action s’est mise en route assez vite puisque, dès le 25 novembre, un dîner-concert était organisé, dans la salle des fêtes de Rochegude, et le “Jacques Doudelle Jazz Orchestra” assurait le spectacle. Ce fut vraiment une belle soirée, qui nous a encouragé à poursuivre, bien sûr.
L’année suivante, les 16 et 17 mars 2007, notre premier festival voyait le jour, avec, à l’affiche, de très grands noms : le pianiste Fabrice Eulry, d’abord, que nous ré-inviterons par la suite, mais aussi le saxophoniste Olivier Franc. et d’autres grands noms du “Caveau de la Huchette”, du jazz manouche aussi, avec Philippe Guignier ou Vittorio Silvestri et le “Caroline Jazz Band”, qui avait invité Daniel Huck. Vraiment un très beau plateau pour une première édition.
M.M. : As-tu été du voyage d’entrée ?
A.L. : Oui. Très vite après la création de l’association, mon mari Pierre et moi l’avons rejointe. Notre présidente était alors Michèle Pujol. D’entrée, nous avions misé sur l’organisation d’un festival par an, chaque fois au mois de mars. Pourquoi ? Parce que c’est une période où les musiciens sont – normalement – plus disponibles, à des tarifs parfois plus raisonnables et puis, rapport aux dates, avec peu de risque de concurrence dans l’organisation de l’évènement. En revanche, bien sûr, peu de touristes. Mais bon, nous avons quand même enregistré une fréquentation croissante, sauf en 2009, lorsque l’équipe dirigeante a changé. La nouvelle équipe, de 2009 à 2012, a également proposé des concerts sur la commune de Sainte-Cécile-les-Vignes. Avec le recul, je peux dire qu’on aurait pu espérer un meilleur lieu, sur le plan de la sonorisation. Nous étions, en effet, dans un gymnase, et la qualité du son rendu n’était pas au top. Malgré tout, du beau monde viendra s’y produire, comme par exemple Cecile McLorin Salvant.
Et puis, en 2012, l’équipe a voulu fermer cette association. Une décision avec laquelle je n’étais pas d’accord. Pourtant, je n’avais pas eu, jusqu’alors, de rôle particulier, au sein des A.J.T. Je laissais travailler le bureau élu, je n’amenais que mon aide. En 2012, le président du moment, Jean-Pierre Nicolas, passe la main. Je me suis alors proposée pour prendre sa suite, et ma proposition a été entérinée par l’association. Ma première décision sera de rapatrier notre festival sur la seule commune de Rochegude. Je m’étais rendu compte que peu de monde “accrochait” à Sainte-Cécile-les-Vignes.
M.M. : 2012 verra aussi d’autres mises en place…
A.L. : Oui. Dès l’automne, nous avons lancé les “jazz-clubs”, dans lesquels se sont produits notamment le “Dixieland Jazz Band” de Jean-Jacques Martimort, Christine Vallin aussi, et son groupe “Les Miss” dans lequel tu retrouvais Gaby Schenke et Mélanie Favre, notamment. Et Christine aussi aura l’occasion de revenir.
Outre ces “jazz-clubs”, le festival, comme le déjeuner-concert que nous organisions aussi, avaient repris force. Mais, dans les organisations “exceptionnelles”, je vais te citer cette masterclass, que le “Bacchus Big Band” était venu faire à Rochegude, en ayant invité le trompettiste de Los Angeles Ron Meza. En échange du prêt de nos locaux, nous avions eu droit à un super concert, le soir.
Une autre organisation, que j’aime particulièrement, ce sont les “ciné-jazz” que nous avons mis en place en partenariat avec le cinéma “Le clap” de Bollène. Dans ce cadre-là, nous avons organisé un hommage à Bill Evans – autour du film “Waltz for Monica”, qui nous remet en mémoire la chanteuse suédoise Monica Zetterlund, qui a porté le jazz dans les années cinquante aux Etats-Unis d’abord mais sans succès, puis dans son pays où elle a véritablement décollé, puis, nous avons aussi rendu un hommage au grand Chet Baker et, en février 2020, un ciné-jazz avec Louis Panassié – petit-fils d’Hugues, le créateur du “Hot-Club” dans les années vingt qui avait fréquenté toutes les grosses pointures américaines. Grâce à cela, Louis a eu la porte ouverte sur tous ces musiciens. Pour cet hommage, le film “L’aventure du jazz” avait été projeté, et il y avait eu aussi une très belle exposition photographique.
J’ai oublié de te dire qu’à l’occasion de chaque “ciné-jazz”, nous invitons un groupe de jazz qui assure un concert dans le thème évoqué pour l’occasion.
Cette manifestation a été interrompue par la Covid – évidemment – jusqu’en juin 2021, où nous avons repris les bonnes habitudes avec un ciné-jazz dédié à Billie Holiday. Ce jour là, le duo incarné par le pianiste Luc Plouton et la voix de Yasmina Kachouche a été terrible ! Nous avions prévu la projection d’un documentaire, mais aussi du film “Billie Holiday : une affaire d’état”…
Cette même année, outre ce ciné-jazz, nous avons fait venir le groupe “No red Coin” sur la commune de Montségur-sur-Lauzon, dans une salle “qui a fait le plein”. Et enfin, en novembre, notre journée “Louisianaise” a rendu hommage à Louis Armstrong, dans la salle des fêtes de Suze-la-Rousse. Là encore, beaucoup de monde.
D’ailleurs aujourd’hui, nous avons définitivement acté l’organisation de ces journées dans la salle des fêtes de Montségur-sur-Lauzon, qui est une salle très agréable. Et nous avons fixé la jauge à cent cinquante personnes.
M.M. : L’association “s’exporte”, aussi… tu nous en dis plus ?
A.L. : Ce sont toujours des actions qui sont destinées à promouvoir le jazz, et en plus, nous y joignons l’agréable. Dès 2012, et la première année de ma présidence – et aussi un peu parce ça rentrait dans mon activité professionnelle – nous avons organisé des voyages, sur “la route du jazz, de Chicago à New Orleans”. En passant par les villes de Saint-Louis, Memphis, Nashville, Nachez, Clarksville, Lafayette. Ce sont des voyages de treize jours, chaque fois accompagnés d’un musicien professionnel – la première année, même, nous en avions trois. Ces séjours sont de véritables fêtes, qui s’achèvent par le Festival de Jazz de New Orleans, qui se déroule fin avril – début mai.
Nous avons fait ce voyage en 2012, en 2016 – année où nous avons emmené soixante et dix personnes réparties en deux groupes – et en 2019 qui est, pour l’instant, la dernière année ayant vu une telle organisation. Mais nous n’avons pas abandonné cette habitude pour autant : nous mettons tout en œuvre pour y retourner en 2024, quand la situation générale se sera un peu calmée.
En 2018, nous sommes allés à Cuba, avec stages de percussions et de salsa prévus au programme, et toujours accompagnés d’un musicien.
En 2021, nous sommes partis en Croatie, sur un yacht de luxe privatif qui nous a permis de faire voguer notre musique. Nous allons d’ailleurs y retourner, en juin prochain, mais sur un parcours différent, plus au nord, et jusqu’à Zaghreb. Autant te dire que le voyage est complet. Cette année aussi, au mois de novembre, nous devrions partir en Afrique du Sud. Un voyage avec une intervention musicale différente par jour, sans compter les à-côtés touristiques, ce voyage aussi est complet.
M.M. : Et puis, tu propose aussi des “escapades”… nationales, celles-là…
A.L. : Oui. Ce sont des petits voyages, de quatre jours et trois nuits, musicaux, touristiques, gastronomiques et avec couchage dans des lieux inédits et originaux. Nous en avons déjà fait à Marciac, en 2017, pour “Jazz-aux-Sources” de Châtel-Guyon en 2018 – super souvenir – pour “Jazz-à-Bar”, en Champagne… Les derniers, en 2022, c’était pour “Cruis-en-Jazz”, du côté de Forcalquier, et puis, en octobre, pour “Blues-en-Aveyron”, un festival créé par Fabrice Eulry, où nous étions cinquante participants.
Comme chaque escapade se décline aussi en de nombreuses visites-découverte, c’est un immense plaisir à chaque fois…
M.M. : D’où vient ton attrait pour le jazz ?
A.L. : J’ai toujours aimé le jazz. Un de mes frères aînés était clarinettiste, et a toujours acheté beaucoup de disques vinyles. A six ans, j’écoutais Count Basie, j’écoutais Lionel Hampton. Plus tard, quand je serai étudiante, je fréquenterai le “Caveau de la Huchette” – j’étais à Paris de 1982 à 1987. Et puis j’allais au Festival de Jazz de Nice chaque année.
Après, ça s’est calmé un peu puisque ma vie professionnelle m’a un peu éloignée de la musique. Mais en 2006, lorsque les A.J.T sont nés, je les ai rejoints sans hésitation.
Et puis, j’ai un peu joué du piano, aussi. J’ai pu – une fois en retraite – consacrer toute une année à des cours, que j’ai reçu à Jazz-Action-Valence. Harmonie, atelier jazz, je suis passée partout. Aujourd’hui, je continue à travailler, chez moi, et, en novembre 2021, nous avons même monté un quintet, “Band’AJT”, animé par Joannès Kotchian, multi-instrumentiste mais ici batteur, et qui réunit : Jérôme Latappy à la contrebasse, Jean-Eric Pidancet à la guitare, et moi au piano. Et puis, il y a deux chanteuses : Annie Borgogno, et Françoise Latappy. Depuis le mois de février dernier, la clarinettiste Odile Nury nous a rejoints. Notre premier concert, nous l’avons donné en janvier dernier, à la suite de l’Assemblée Générale des A.J.T. Une belle occasion de “faire nos armes”, nous étions en première partie du trio de Jo Kotchian, “Happy Feat”.
M.M. : Quelles programmations t’ont marqué particulièrement ?
A.L. : Il y en a eu beaucoup. Déjà, en 2015, la venue du guitariste Cisco Herzhaft, en trio. Cette année-là, Fabrice Eulry jouait à l’Olympia, mais aussi à Rochegude. Ils s’y sont croisés, et depuis, ne se quittent plus sur scène.
En 2016, nous fêtions nos dix ans d’existence. Nous avions organisé un week-end “Caveau de la Huchette”, et le “boss” du Caveau, Dany Doriz, qui joue du vibraphone (il a connu Lionel Hampton), était venu avec son groupe. Le dimanche, j’avais tenu à ce que Christine Vallin soit présente. Dany s’est un peu fait tirer l’oreille pour l’accompagner pourtant, dès qu’elle a commencé à chanter, ils ont tous accroché et ç’aura été le début d’une belle collaboration.
En 2017, il y a eu la célébration du centenaire du “premier enregistrement de jazz” – en 1917, par un groupe de “blancs”, le “Original Dixieland Jazz Band”. Cette fois-là, c’est le groupe de Jacky Boyadjian, le “Buena Serra Quartet” qui était notre invité, et qui était venu se produire en compagnie d’Alain Marquet, un clarinettiste “haut-de-gamme”. Et comme Alain est un grand collectionneur, il était venu avec le 78 tours d’origine, et son gramophone. Un moment magique.
En 2018, Fabrice Eulry était revenu – mais tu étais là ce jour-là – avec l’Orchestre Philarmonique de Kharkiv, en Ukraine. Quarante deux musiciens avaient fait le voyage.
Et nous avions invité aussi Nirek Mokar – qui avait quatorze ans à l’époque. Il joue le “boogie-woogie” comme personne, et tout le monde, aujourd’hui, se l’arrache.
M.M. : Parle-nous de l’édition 2023 de ton festival, qui approche à grands pas….
A.L. : C’est même là, puisqu’il aura lieu les 24, 25 et 26 mars prochains, et ça se passera dans la salle des fêtes de Suze-la-Rousse.
Le vendredi, dans l’après-midi, des “concerts pédagogiques” sont donnés par le groupe qui se produit le soir. Cette année, exceptionnellement, cela se déroulera à Uchaux, dans la Salle des Jardins, en deux séances, de quatorze à seize heures. Pour un jeune public de cinq à onze ans. le groupe, c’est le “Mike Reinhardt Trio”, qui fera, bien sûr, la part belle au jazz manouche, en évoquant Django Reinhardt, Bireli Lagrene.
En concert, Mike sera épaulé par le guitariste Benji Winterstein, et par le contrebassiste Thierry Chanteloup.
Ils présenteront, entre autres, quelques morceaux de leur album 2022, “Lately”.
Le samedi 25, l’après-midi sera réservée à un stage de danse “Shim sham”, assuré par un super prof, Patrick Noyeries. Trois heures de plaisir autour de cette danse très swing !
Et le soir, place à un trio magique, “The Three Blind Mice”, dans lequel tu retrouves le guitariste Félix Hunot, le trompettiste Malo Mazurié et le contrebassiste Sébastien Girardot. Ce sont de très jeunes musiciens, mais je peux te dire qu’ils sont déjà au sommet de leur art. Ils vont nous faire revivre le jazz des années vingt ou trente, et le spectacle s’annonce très fort, tout en restant dans la subtilité.
Et le dimanche 26, le matin sera réservé à une conférence – gratuite – donnée par le trompettiste Michel Bastide – créateur de l’ Hot Antic Jazz Band, qui a tourné pendant trente-huit ans – sur le thème : “Les Affres du Jazz au cinéma”.
L’après-midi, place à un quartet bordelais, “Crawfish Wallet”, un quartet qui vaut le détour d’abord pour la voix extraordinaire d’Amandine Cabald-Roche, qui s’accompagne au washboard. Elle est entourée du tromboniste Gaëtan Martin, qui utilisera son instrument avec plusieurs “sourdines”. Le contrebassiste (et chanteur) Frédéric Lasnier et Jean-Michel Plassan, au banjo, assureront de façon solide la rythmique de cet ensemble.
Cette année, la journée “Jambalaya”, nos deux voyages, et nos escapades nous octroieront encore de beaux moments. Ensuite ? L’aventure continuera, peut-être sous d’autres formes, qui sait ? Pour le moment, nous vous attendons tous pour notre festival. Vous ne serez pas déçus….
Propos recueillis le jeudi 16 mars 2023.
Quel plaisir d’interviewer une amie – pour une fois ! Mais quel travail réalisé avec ta belle association. J’espère que le succès sera, une fois de plus, au rendez-vous, malgré une morosité un peu trop généralisée. La musique est toujours un bon remède, donc…