chronique de CD

Sélection CD janvier 2023 – La suite (2/3)

Des pépites pour groover «local»…

Non mais franchement, à ce «rythme» là, que va -t-il donc rester aux Américains ? Plus besoin de traverser l’Atlantique pour goûter aux joies des partys infernales de soul-hip-hop qui ont marqué les années 90, avec les lyonnais de Da Break, sidérants d’authenticité dans leur fracassant “Best Riddim Eternal Action Krew”. Même chose pour les férus de jazz soul-funk U.S qui trouveront leur content… payé comptant avec le second volume de «The Youngling» proposé par nos chers Lehmanns Brothers… d’Angoulême, enregistré en live session avec, autour de nos jeunes favoris qui y instillent des échos de hip-hop, de house et de nu-soul, le renfort d’une section cuivres et de backing vocals carabinés.

Et pour rester en mode groove frénétique, une autre paire de claques vient embraser ce début d’année hivernal avec d’abord l’infatigable David Walters décidément à son meilleur dans son très très fun «Soul Tropical», une family affair au casting costaud où son chant créole rayonne de joie au fil de ce continuum tubesque. Une véritable machine à danser, comme l’est encore le nouvel album du carioca… lyonnais lui aussi, Joào Selva, qui dans la foulée du succès populaire de son “Navegar”, revisite dans «Passarinho» le tropicalisme brésilien à la sauce disco jazz-funk.

Alors qu’elles s’abreuvent d’Amérique, d’Afrique, des Caraïbes ou du Brésil, voilà quatre tueries de groove planétaire pour danser comme des oufs sur une play-list pourtant issue à 100 % de nos terroirs régionaux. Vive les circuits courts, même pour alimenter le dance-floor !

 

 

DA BREAK presents «Da Best Riddim Eternal Action Krew» ( Label La Ruche / Inouïes Distributions)

Faites un blind-test à quiconque et tout le monde tombera dans le panneau. Certes il y a  l’intitulé explicite et à rallonge (encore sous-titrée «The sunniest band is back in town !!!»), évidemment le graphisme magnifique de la couv’ et de la pochette intérieure, artwork de Bobby Dollar signifiant parfaitement l’ambiance très colorée et métissée d’une méga-party, mais alors quand démarre l’écoute… Oh my God ! Mais qui sont ces sorciers de la soul-hip-hop typique des nineties qui a tant marqué la culture d’outre-Atlantique ? Quiconque donc sera  évidemment persuadé de découvrir là une nouvelle formation démente venue des bas-fonds new-yorkais.

Mais c’est pourtant dans le sud Beaujolais près de l’Arbresle qu’est installé le label lyonnais indépendant La Ruche où bourdonne et fait son miel l’équipe de Da Break, entre groupe et collectif depuis sa création par la chanteuse mâconnaise Jennifer «Hawa» Zonou et le batteur valentinois Remy Kaprielan (Paris Combo, Thomas Fersen, Hawa…). Hawa qui baigne dans la culture afro-américaine depuis une quinzaine d’années, a été révélée par l’incontournable producteur lyonnais Patchworks (Bruno Horvart) qui lui a signé deux albums, un sound designer qui laisse ici la place à une autre figure régionale, le pianiste et claviériste Pierre Vadon, qui avait déjà signé les compos et arrangements du précédent «Let it Shine» avant de réaliser et produire ce troisième opus de Da Break avec lesquels il joue sur scène. Une équipe resserrée cette fois, sans la guitare de Nicolas Mondon (NMB Afrobeat Experience) ni la basse de Kamal Mazouni (qu’on devrait cependant retrouver sur les concerts live), mais avec quelques feat. pour les voix avec le jeune «new kid on the block» Pab The Kid en intro sur Fine, puis Obi Bora, Nigérian en exil passé par les squatts lyonnais, qui tient le micro sur Leave me Out.

Fine et son refrain direct qui groove d’emblée de façon appuyée, son flow joyeux avec un côté enfantin dans les vocaux, typique du hip-hop des 90’s, bardé de claps et de synthé basse écrasant. Pas le temps de souffler, la tuerie totale de Got Me suit, sweaty et sexy avec son groove de ouf sur un beat au hachoir. Disons-le, après ces deux bijoux de fun, l’entêtant Down the Street, plus urbain et plus sombre, nous sied moins avec son esthétique plus radicale dans le rap, comme d’ailleurs un peu plus loin Bliss, même si son riddim -cette fameuse séquence à quatre temps réutilisée maintes fois, et qui est la particularité du reggae- imprime en profondeur. Mais on préfère toujours le groove joyeux d’un Morning Sun, avec sa ligne de basse funky-disco époque Pino d’Angio, ou la sensualité nu-soul de Our Time  sur un flow hip-hop nonchalamment lascif.

A l’image de la pochette explicite du disque, Mess it Up traduit bien l’ambiance festive d’une party live, un titre très «Princier» notamment par sa rythme et sa voix  perchée, et un refrain digne de Kool & the Gang ou EW&F. Une ambiance plus «Zulu Nation» cette fois apportée par Obi Bora sur Leave me Out, ou mêlant les violons synthétiques de la soul seventies au hip-hop des nineties sur le bien nommé Enraged avec son gros son de clavier basse. Un voyage sonore à travers plusieurs époques de la culture musicale afro-américaine, et qui s’achève dans l’apaisement d’une ballade très mélodique entre voix et piano sur Love’s own sweet song.

Pas de doute, cet album qui paraîtra le 10 février est la première bombe lâchée sur 2023, et l’on a hâte d’aller se faire exploser par les irrésistibles Da Break lors de leur release party prévue le 23 février au Club Transbo (Lyon).

 

LEHMANNS BROTHERS «The Youngling vol.2» Alhambra Studios Live Session (10h10 Music)

Peut -être  est-ce affaire de budget, mais on ne sait toujours pas pourquoi ce troisième album des Lehmanns Brothers est une fois encore un EP de cinq titres, comme l’étaient déjà le merveilleux «Another Place» qui les a révélés puis le volume 1 de «The Yougling» paru fin 2021 (voir ici) dont ce nouvel opus est logiquement la suite. Pas grave puisqu’on y retrouve tout ce que l’on aime chez ces jeunes Angoumoisins qui, eux non plus, n’ont plus rien à envier à leurs illustres référents d’outre-Atlantique qui les inspirent depuis le lycée où ils se sont rencontrés il y a maintenant une dizaine d’années. On a pu depuis mesurer en live combien le quintet sait naturellement revisiter les grandes heures du jazz-funk américain des seventies que cette jeune génération revisite avec maestria tout en y instillant, époque oblige, des échos de hip-hop, de house et de nu-soul, marqueurs de la culture actuelle.

C’est d’ailleurs en live sessions aux studios de l’Alhambra qu’à été enregistré ce nouveau volume où le leader charismatique Julien Anglade (voix et claviers), le très rock guitariste Alvin Amaïzo, le tonitruant batteur Dorris Biayenda, le funky bassiste Clément Jourdan et le tromboniste Jordan Soivin, se sont offert en guest les services de collègues venus renforcer encore l’impact foudroyant de leur musique. Une section cuivres de trois saxos avec Thibault Galloy à l’alto, Jonas Muel au ténor et Samuel Durand au baryton, la trompette de Julien Silvand, plusieurs choristes parmi lesquels on est étonné de trouver la chanteuse Lou Rivaille, mais aussi une seconde guitare tenue par Romain Fleury et l’orgue de Mathieu Debordes.

 

Entre soul et R&B, Mellow Monday entame l’album d’un groove léger, avec la voix douce et sensuel de Julien agrémentée des backings vocals, avant une montée en puissance comme ils aiment le faire sous la frappe de Dorris et les riffs acérés d’Alvin. Le tempo basse-batterie est soutenu sur The good dressed in green enrobé par les aplats d’orgue typiques des seventies. On pense à Prince dans la voix nuancée du chanteur et les choeurs soul-funk sur ce titre lui aussi ascensionnel qui reflète bien l’ambiance d’un concert live,  gratifié d’un solo de guitare éminemment rock, couleur dont se teinte le funk  jusqu’à un final en forme de lâcher prise généralisé. Très américain avec son côté P.Funk, Picture Perfect introduit la touche hip-hop et plus actuelle avec ses broken beats, tandis que les cuivres à l’unisson apportent une ample chaleur orchestrale. Une ambiance cuivrée qui, ajoutée à la rythmique intensive, verse cette fois clairement dans l’afro-beat sur Rain, développé sur plus de cinq minutes à grands renforts de guitare wah-wah et d’orgue, où l’on pense à un groupe comme Jungle by Night. Enfin, peut-être plus jazz dans l’intro, mais sur un versant jazz-rock, Far into the jungle’s depths pour finir offre un beau chorus de sax échevelé sur un puissant drumming, avant une accalmie où vocalises et piano se font plus légers et planants.

Une fois de plus, un sans faute pour nos Lehmanns Brothers décidément fort inspirés.

 

 

DAVID WALTERS «Soul Tropical» (Heavenly Sweetness/ Idol / L’Autre Distribution)

Il est devenu un habitué de ces chroniques tant il nous régale régulièrement de ses œuvres, reflet à la fois d’un travail constant et d’une inspiration créative abondante. Depuis «Awa» son premier opus, on a louangé «Soleil Kréyol» (voir ici) puis «Nocturne» (voir ici) et retrouvé aussi David Walters pour divers feat. au sein de la grande «famille» du label Heavenly Sweetness, sur les albums des copains de groove comme Pat Kalla ou dernièrement Guts qu’on a adorés. Pas le temps de chômer, revoilà donc le chanteur et multi-instrumentiste pour ce (déjà!) nouvel opus bien nommé «Soul Tropical» et sans doute à son meilleur, avec – toujours une histoire de family affair– de nombreuses et pertinentes contributions de haute volée.

Une succession ininterrompue de titres tubesques, tous plus festifs et irrésistiblement dansants les uns que les autres, dès l’intro avec Gimme Love (feat K.O.G) au charme créole et où guitare et choeurs sonnent plus afro. Entamé sur une rythmique assez douce, le groove de No One qui suit, avec son synthé basse très eighties, rappelle le funky disco d’un Joao Selva, sous la férule de Captain Planet, le célébre beat-maker qui a mixé ces treize plages dans son studio de Los Angeles où s’est envolé David («un rêve de gosse» selon lui), un mix sous forte influence afro-caribéenne,  à l’image de Jodia, hyper festif, percussif et cuivré avec un beau chorus de trompette auquel réponde la flûte. Le Trinidadien Anthony Joseph et la rappeuse cubaine La Reyna apportent une touche plus actuelle, entre hip-hop, nu-soul et broken beat sur Toxic Tropic, quant Light porté par la voix et une guitare cool se présente comme une ballade reggae aux échos de Bob Marley.

L’entrain joyeux de cet album délibérément conçu «pour faire danser demain» se poursuit dans l’ambiance zouk des îles de Di Yo avec la présence de la chanteuse brésilienne de Paris, Flavia Coelho, des Antilles célébrées encore par la rythmique rapide de Vansé Carnival et son refrain explicite (dansez,chaloupez, dansez, avancez…). Sans conteste, «La vie a bel» au travers de ce disque fraternel où l’on retrouve, en plus de l’illustre pianiste martiniquais Mario Canonge, ceux avec lesquels David avait signé le précédent «Nocturne», à savoir le percussionniste guadeloupéen Roger Raspail, le maître de la kora malienne Ballaké Sissoko, et le violoncelliste Vincent Segal. D’abord sur An Lot Soley avec une voix toute en douceur qui a la nostalgie du fado et où se croisent les cordes avec charme, puis sur le titre final Klé, très  jolie ballade aux superbes vocaux. Entre temps, on aura succombé au titre éponyme, ce merveilleux et très tubesque Soul Tropical, avec sa ligne de basse funky-disco au groove imparable, son refrain accrocheur et tenace porté par la haute finesse d’un chant façon M et le gimmick des cuivres, on se sera laissé enivrer par le beat très marqué, répétitif et cadencé du plus electro-groove Don’t U, et retrouvé l’ambiance carnavalesque (batucada de percus, sifflets, you-you…) sur l’ensorceleur Night in Madinina.

Un énorme coup de cœur pour un album qui s’annonce comme l’un des plus dansants de l’année, et qui sera disponible dans les bacs dès le 3 mars prochain. Pour ensoleiller le printemps à venir, pas mieux. Alors foncez !

 

JOAO SELVA «Passarinho» (Underdog Records / Believe / Bigwax Distribution)

Les noms récurrents de toute cette fine bande s’entrecroisent encore dans le nouvel album du plus lyonnais des cariocas, le charismatique Joào Selva, alors qu’on danse encore sur son très accrocheur et révélateur «Navegar» (voir ici) paru il n’y pas deux ans et qui nous avait -en même temps que celui des compères  du cru Kalla  & Super Mojo-, régalé et réchauffé de groove chaleureusement ensoleillé. On y entendait notamment les voix de chanteuses précitées comme Hawa et Flavia Coelho, et déjà la flûte de Boris Pokora. Dans le sillage de cet album au beau succès à la fois populaire et planétaire, l’artiste, chantre du néo-tropicalisme brésilien tout en étant installé à Lyon, creuse encore cette veine entraînante et dansante où il propose un turbulent mélange de samba, de soul, de funky-disco en un jazz-funk aux tourneries imparables.

Titre de l’album, Passarinho donne d’emblée la touche vintage avec le son seventies des cordes synthétiques, ces attaques de violons qui rappellent certains génériques de notre enfance. Un premier hymne à la joie, comme l’est Cantar Cantar dans la foulée, mais sur une rythmique basse-synthé-chant déjà plus funky, avec un refrain au groove tranchant.

La fête est lancée dans l’ambiance festive et carnavalesque de Seu Carnaval qui nous embarque entre Brésil (chant) et îles des Caraïbes (rythmique). Avec plus de retenue et sans avoir besoin d’appuyer cette fois, le tricot funky de la guitare sur les percussions répétitives de Por Um Amor nous berce, comme la voix des choeurs de Carina Salvado qui signe élégamment tous les backings vocals de cet album toujours produit par le fameux Patchworks, sound designer très présent puisqu’il tient successivement guitare, basse, claviers, quelques percussions et jusqu’à l’accordéon.

D’autres lyonnais de renoms sont également de la partie avec Paul Charnay au Fender Rhodes et un Boris Pokora au top de ses talents pour assurer à lui seul toute la section cuivres, multipliant les brillantes interventions au sax, trombone, bugle et bien sûr avec sa flûte magique entendue encore dernièrement chez Uptown Lovers.

Le chapelet tubesque des titres s’étire encore en puissance avec une rafale de pépites, comme la tournerie brasilo-funky de Vai Te Curar qui me rappelle -comme déjà sur le précédent album- le Portugais Pedro Abrunhosa. Hyper dansant par son tempo métronomique et ses attaques cuivrées, soutenu par les volutes vibrantes du Rhodes avant un petit chorus de fine guitare, il amène Sete Ventos et son groove sensuel qui a tout d’un hit festif. Des voix très présentes, celle de Joào croisée aux réponses de Carina , avant que les cuivres de Boris au son afro embringuent le tout dans un jazz-funk étincelant où tout roule en overdrive. Par la guitare, la rythmique se fait directement plus afro-caribéenne sur Menina Me Encanta qui enchaîne, avec ce typique sens mélodique qui fait que les voix du refrain vous entêtent d’emblée, à la manière des grands tropicalistes qui nous ont bercé depuis les seventies. Une douceur chaleureuse et fraternelle, entre la trompette chantante et l’accordéon des îles joué par Patchworks.

Dans le genre entêtant qui imprime, Chuva est pas mal non plus, avec son beat métronomique et très «chorégraphique», croisant la flûte légère et joyeuse de Boris au balancement groovy de la basse.Joyeuse et légère oui, et terriblement groovy comme l’est l’entièreté de ce nouveau disque qui s’achève par un superbe final de seulement deux minutes, le magnifique thème mélodique de Mar de Estrelas, entrelaçant dans la douceur de la voix, guitare rythmique et trompette chantante, sur un piano aérien dérivant vers des effets de résonance enchanteurs. Une élégance orchestrale qui résume bien la patte à la fois fine et percutante qu’ont apporté chacun des protagonistes à ce nouveau petit bijou de groove qui arrive dans les bacs ce vendredi 3 février.

Evidemment on courra le 29 mars au Transbordeur de Villeurbanne pour le concert de sortie, après le New-Morning à Paris prévu le 23.

Ont collaboré à cette chronique :