Au meilleur du Layeur
Après nous avoir livré l’an dernier un magnifique ouvrage dédié à Chick Coréa, la maison d’édition spécialisée dans la culture musicale populaire a encore retenu notre attention avec la parution de deux nouveaux «Beaux Livres» (comme on les appelle à juste titre), l’un consacré aux 150 batteurs éminents qui ont marqué le siècle, l’autre dévolu au légendaire trio Emerson,Lake & Palmer, pionnier du prog’rock. Deux pavés toujours superbement illustrés, et richement instructifs comme l’est aussi la biographie d’un autre mythe, celle de Steely Dan avec Donald Fagen et Walter Becker qui ont magistralement réuni pop et cool jazz. De bonnes idées de cadeaux à glisser sous le sapin pour faire plaisir aux amateurs de (bonne) musique, en attendant notre traditionnel Best-of des CD de l’année que l’on vous dévoilera la semaine prochaine à la veille de Noël.
«STEELY DAN» par Christophe Delbrouk (Editions du Layeur. 360 pages- 24€)
«Pourquoi faudrait-il accepter d’être banal quand on peut convaincre en étant un peu original ? », bonne question que s’est d’emblée posée l’ironique Donald Fagen dès ses premiers pas dans la musique et sa rencontre avec Walter Becker qui débouchera sur la naissance de Steely Dan, groupe américain mythique et emblématique des seventies qui aura marqué l’histoire du rock avec sa pop crossover, élégante et sophistiquée, ce cool jazz west-coast qui a durablement révolutionné l’industrie du disque.
C’est ce demi-siècle incroyable en termes d’évolution et de transmission que nous raconte à travers cette très documentée biographie Christophe Delbrouk, écrivain à la pointe de son sujet puisque ce musicien-enseignant a été entre autres journaliste à Jazz Hot et Jazz Mag. Un livre qui entrecroise la vie comme la personnalité originale et détonante des deux protagonistes à celle du groupe de légende, ses albums, ses rencontres, ses mémorables séances de studio comme le détail des tournées et de leurs line-up. Cinquante années divisées en huit époques marquantes qui cadencent les chapitres.
Antithèse d’une effigie glamour aussi bien par son rictus boudeur que par la causticité de ses textes alambiqués, Donald Fagen est un enfant du New-Jersey né en 1948 dans une famille juive plutôt privilégiée, d’un père comptable et d’une mère ancienne chanteuse qui lui ouvrira les oreilles au swing. Enfant intelligent mais taciturne, assez hostile au monde au point d’être souvent jugé infréquentable, il préfère rester seul dans sa chambre à écouter le jazz des fifties et lire tous les bouquins qu’il emprunte à la bibliothèque de Princeton. Ado, il va connaître sa phase romantique, cultivant son profil de «jazzophile existentialiste à la française», intégrant le Bard College qui prépare l’élite plutôt pour Oxford ou Cambridge. Un manoir où le pensionnaire interne va croiser une faune artistique bizarre et faire ses premières expériences avec les substances illicites, qu’il abandonnera contrairement à son futur compère.
C’est en fac où Fagen prépare une thèse sur Hermann Hesse qu’il va rencontrer Becker, un New-Yorkais pur jus qui connaît déjà tous les plans blues à la guitare. Non seulement ils se découvrent les mêmes goûts artistiques, tant sur le plan littéraire que musical (du jazz des fifties avec Ellington, Parker, Monk, Coltrane ou Rollins, aux nouvelles icônes de Greenwich Village comme Miles Davis ou Zappa), mais ces deux là sont pareillement asociaux et réfractaires à la lumière du jour, vouant la même aversion chronique pour les artifices du business.
Cela ne les empêchera pas comme on le sait de mener une formidable carrière ponctuée de seulement sept albums, du premier «Can’t buy a Thrill» qui les a révélés en 1972, au live «Northeast Corridor» souvenir de leurs tournées publié l’an dernier, alors que Walter Becker est décédé à Manhattan en septembre 2017 à l’âge de 67 ans. Entre ces deux extrémités, sont restés trois albums mythiques, «Pretzel Logic» en 1974, «Aja» en 1977, et «Gaucho» en 1980 -Aja étant d’ailleurs officiellement inscrit désormais au patrimoine musical américain-, bien qu’on adore aussi les deux plus «récents» Two against Nature (2000) puis «Everything must go» (2003).
Mais des disques qui n’ont jamais été évidents à faire et à imposer, de par l’aspect novateur de ce crossover très sophistiqué et technologique comme de leurs textes particulièrement acerbes sur le fameux american way of life de l’époque. Christophe Delbrouk nous détaille d’ailleurs de façon exhaustive les étapes de leur fabrication, mettant bien en évidence le perfectionnisme extrême des deux impétrants -surtout Fagen-, n’usurpant pas leur réputation de «casse-couilles» en studio, laissant sceptiques les labels qui finiront par respecter leur autarcie caractérielle tant que leurs ventes réaliseront au final de bons scores, avec des hits en pagaille et une flopée de Top10 au Bilboard.
Et qui dit groupe vendeur dit tournées, autre sujet délicat pour nos drôles de zigs plutôt fragiles de conception, qui avouent ne pas s’être préparés à cette vie d’artiste, d’autant que leur personnalité n’est pas adaptée à ce rythme aléatoire, au gré d’incessants voyages. Là encore, ça ne les empêchera pas au final et malgré leurs renâclements, d’avoir parcouru le monde dans tous les sens. L’auteur nous rappelle à ce propos chacune d’entre elles, les dates et les lieux de concerts de ces périodes frénétiques où contrairement à la grande majorité de leurs homologues, Fagen et Becker ont toujours affiché le même désintérêt total pour le vedettariat. Des «orchydoclastes» qui pourtant n’ont cessé d’être admirés dans tous les milieux, d’un Keith Richard aux plus grands cadors du funk, tous touchés par cette musique qui aborde autant le jazz modal que la musique impressionniste, sans pour autant perdre son attrait pour ceux qui aiment le rock.
A défaut de se prendre pour des stars, les deux leaders de Steely Dan ont toujours su s’entourer des meilleurs, requins avérés ou nouveaux jeunes prodiges, aussi bien en studio que pour les tournées de concerts. Ainsi voit on défiler au gré de la lecture des noms qui aujourd’hui avec le recul parlent d’eux-mêmes, où l’on retrouve toutes les figures de ce qui deviendra vite le gratin en la matière. Des batteurs comme le jeune Jeff Porcaro alors âgé de 19 ans (qui fondera ensuite Toto avec son frère Steve), Bernard Purdie, Steve Gadd ou Chester Thompson, Denny Dias ou Dean Parks, le guitariste Larry Carlton, le bassiste des Crusaders Wilton Felder, Jeff Baxter et le claviériste chanteur des plus hautes lignes mélodiques Michael McDonald (qui rejoindront les tout aussi mythiques Doobie Brothers), des cuivres comme Michael Brecker, Wayne Shorter ou David Sandborn… pour n’en citer que quelques uns parmi tant d’autres.
On n’oublie pas bien sûr le volet concernant la propre discographie de Donald Fagen qui aura connu plus d’écho que celle de son ami Walter. Avec la même parcimonie que celle de Steely Dan, le chanteur et pianiste n’aura pondu que quatre albums en quarante ans, dont le premier en 1982, le fameux «The Nightfly», est et restera comme un chef d’œuvre inégalé, un disque lui aussi mythique, parmi notre Panthéon des albums majeurs et incontournables de ces quarante dernières années. Ce qui n’empêche pas les trois autres, Kamakiriad (1993), Morpht the Cat (2006) et Sunken Cardos (2012) d’être également excellents.
Bref, voilà quelque 360 pages denses et très informatives où l’on apprend beaucoup de choses, ne serait-ce que l’origine du nom du groupe. Oui, d’ailleurs, qui s’est déjà posé la question de savoir pourquoi Steely Dan ? On a beau avoir lu en son temps «Le Festin Nu» du sulfureux William Burroughs, figure de la beat génération et de la littérature underground, on n’avait jamais relevé que c’est dans ce livre que Fagen et Becker ont pioché le nom de leur band, Steely Dan étant le sobriquet du….godemiché démoniaque de Mary dans l’œuvre de l’écrivain perché. Déjà un signe de la causticité des étranges mais facétieux Fagen et Becker, caméléons bravaches qui ont cependant mieux que personne su incorporer le langage du jazz dans la pop.
BATTEURS EN 150 FIGURES sous la direction de Daniel Dumoulin (Editions du Layeur. 470 pages- 49€)
Daniel Dumoulin dirige l’école Dante Agostini de Toulouse et intervient à l’université Jean Jaurès en licence jazz. Il est déjà l’auteur de plusieurs livres dont «Entretiens avec André Ceccarelli», «Portaits en batterie» et «Dante Agostini, une vie tambour battant». C’est dire à quel point le monde des frappeurs, à la batterie ou aux percussions, n’a plus de secret pour lui. En publiant aujourd’hui «Batteurs en 150 figures», il signe une vraie Bible où pas moins de cent cinquante d’entre eux sont honorés au fil de ces 470 pages balayant un siècle entier de musique(s), dans tous les styles, du rock au blues, du reggae à la salsa, en passant bien sûr par le jazz dont les exécutants tiennent d’ailleurs le haut du pavé (c’est bien le mot vu le poids très conséquent du livre !). Après le splendide ouvrage consacré par Ludovic Florin l’an dernier à Chick Coréa (voir ici), c’est encore un bien «Beau Livre» comme on les appelle à juste titre, que nous proposent ainsi les Editions du Layeur, passionnément instructif sur le fond et toujours superbement mis en pages quant à la forme, chacun des portraits développés sur plusieurs pages étant agrémenté de belles photos et, chaque fois, de la pochette d’un album symbolique dans la carrière du batteur présenté. Aux quatre coins du monde, de la Louisiane au Brésil, de l’Afrique aux Etats-Unis d’Est en Ouest, tout en passant heureusement (!) par la France, sont nés des artistes majeurs ayant marqué ce siècle au fil d’une discographie essentielle et remarquable, souvent mythique et patrimoniale pour nombre d’entre eux. Des destins incroyables, des passions que rien n’a stoppé, des rencontres de rêve -puisque bien entendu tout le gratin des instrumentistes entourant ces maîtres des baguettes est parallèlement cité au gré des lignes- c’est à une plongée phénoménale dans ce dernier siècle de musique que nous convie cet indispensable et bel objet carré de 25cm à prendre… avec des baguettes !
Bien sûr, chacun selon sa culture et ses propres goûts pourra toujours, dans cette liste forcément non-exhaustive, se dire qu’il y manque tel ou tel batteur de tel ou tel groupe que l’on trouve «monstreux» et qui aurait du être parmi les heureux élus. Franchement, à titre perso je me suis amusé à chercher, mais, à brûle-pour-point , aucun exemple ne m’est spontanément venu à l’esprit, retrouvant vite celui-ci ou celui là au cœur du livre. Il faut préciser que cette «sélection ultime» est née d’une liste d’abord de deux cents batteurs établie par l’auteur, couvrant toute la diversité du monde rythmique. Il a fallu ensuite confronter les potentiels et faire un choix, les personnalités les plus marquantes étant le tout premier critère, tout en évitant délibérément l’approche -qui ne veut rien dire- du «meilleur batteur», du «plus connu» ou du «plus gros vendeur». Il s’est fait aider pour cela par une petite dizaine de ses anciens étudiants mis à contribution pour tracer ces portraits multiples et très bigarrés, en se disant que cent cinquante c’est à la fois beaucoup et finalement peu.
On apprécie beaucoup en tout cas qu’ils aient choisi un classement non pas alphabétique mais chronologique, allant du plus ancien au plus jeune, qui déroule parfaitement celle du siècle couvert. Une grande et fabuleuse histoire qui démarre à la fin du XIXe siècle avec la naissance en 1898 de Zutty Singleton (mort en 1975) Louisianais qui se partage avec son conscrit Warren«Baby» Dodds la paternité mondiale de la batterie jazz en créant les fondamentaux du style New-Orleans. Une longue aventure passionnante qui nous mène jusqu’en 1989, année de naissance du dernier batteur évoqué, le jeune Américain Matt Ganstka dont le groupe (inconnu au bataillon…) Animal As Leaders œuvre dans le metal prog moderne… Notons déjà que parmi les tout derniers cités, les plus jeunes et donc encore prometteurs, figurent deux Français, Anne Pacéo (née en 84) et celui qui monte actuellement, Arnaud Dolmen (né en 85).
Dans cette top-list où l’on trouve bien sûr Dante Agostini(1921-1980) dont on découvrira d’ailleurs au fil du livre que pas mal de batteurs sont passés par l’une de ses quarante écoles, on s’est surtout amusé avec beaucoup de curiosité journalistique, à procéder à nos petites statistiques, toujours très parlantes quand on analyse les résultats. Premier constat, sur ces cent cinquante batteurs- majoritairement anglo-saxons cela va sans dire- on compte vingt-et un Français, dont un gros contingent né dans les années 50-60, les nouveaux entrants étant souvent issus de nos Outre-Mer, comme après Jean-Philippe Fanfant, Sony Troupé ou Arnaud Dolmen. Le tout premier batteur que l’on peut considérer comme français -bien qu’il soit Genevois- à figurer dans le livre est naturellement Daniel Humair puisque né en 1938. Peintre lui aussi (comme pas mal de batteurs, on le découvrira), le Picasso des drums précède trois collègues nés après-guerre, Bernard Lubat (45), Dédé Ceccarelli (46) et l’inoxydable kobaïen de Magma Christian Vander (48) qui nous sont plus familiers que Jacques-Francois Juskoviak (né en 46) qui a travaillé avec Dante Agostini et dirigé ses écoles.
Vient ensuite le gros de la «caste», et qui se suivent dans les années cinquante, de Richard Kolinka (53) de Téléphone, à un Bertrand Renaudin (55), d’un François Laizeau (55) au sixunien Paco Sery (56) en passant par le multi-carte Christophe Deschamps (56), l’étonnant Mino Cinelu (57) et bien évidemment Le big boss adulé, Manu Katché (58). Un Manu qui à mon sens forme depuis un sacré bout de temps maintenant le carré d’as frenchy, avec ses trois homologues nés eux dans les sixties et absolument incontournables au vu de leurs extra-ordinaires CV respectifs, Stéphane Huchard (64), Jean-Philippe Fanfant (66) et Loïc Ponthieux (67).
Arrivent enfin les plus jeunes après Franck Aguillon (70), Sony Troupé (78), Mario Duplantier (né en 1981, ce batteur bayonnais est le seul parmi les français dont j’ignorais totalement l’existence, et pour cause, puisqu’il œuvre au sein de Gojira, ex Godzilla,un influent groupe de death metal, paraît-il…), enfin Anne Pacéo (84) et Arnaud Dolmen (né en 85).
Une Anne Pacéo qui non seulement est la seule batteuse hexagonale retenue au milieu de ces vingt messieurs (mais c’est vrai que finalement on en connaît très peu) et qui réussit, en plus, l’exploit de compter au final parmi les seules cinq femmes figurant dans ces cent cinquante musiciens réunis, tout en étant leur benjamine ! Oui, vous avez bien lu, cinq batteuses seulement ! Je vous laisse calculer le pourcentage infinitésimal que ça représente… Si l’on ne présente plus notre reine Anne, ça vaut donc le coup de se pencher sur qui sont donc ces quatre autres dames -trois Américaines et une Montréalaise- qui trustent ces places on l’aura compris plus que chères.
Toujours chronologiquement, d’abord la sensationnelle et inoubliable Sheila E. née en 1957, qui aura joué avec George Duke, Herbie Hancock, Marvin Gaye, Michaël Jackson, avant de figurer à vingt ans seulement sur le premier Prince en 77, génie avec lequel elle va travailler jusqu’à démarrer sa carrière solo en 84. Vient ensuite la plus rockeuse de la catégorie jazz, Cindy Blackman (née en 59). Inspirée de Tony Williams et avec pour mentor Art Blakey, elle a débuté sous son nom en 1987 escortée de Kenny Garrett et Joe Henderson, avant de rejoindre le gratin new-yorkais (Wallace Roney, Ron Carter…), basculant sa carrière vers Los Angelès en 1993 pour connaître le grand succès mondial derrière Lenny Kravitz. On a d’ailleurs eu le plaisir de la voir également ces dernières années en concert derrière son nouveau patron dont elle devenue l’épouse il y a dix ans, un Carlos Santana avec lequel elle nous a époustouflé. Leur compatriote Terri Lyne Carrington (née en 1965), est quant à elle une ancienne enfant prodige, passée à onze ans par Berklee avant d’être adoubée en 83 par Jack DeJohnette. Menant une carrière hybride, cette batteuse qui a joué avec Stan Getz et Herbie Hancock règne également comme productrice et notamment pour Diane Reeves avec laquelle elle a eu un Grammy Award pour Beautiful Life. Enfin citons la dernière (inconnue de nos services…), la Canadienne Emmanuelle Caplette, née en 1982 à Montréal, visiblement exposée par le biais d’émissions de télévisions outre-Atlantique, et qui fait partie depuis 2012 du groupe Circa Zero monté par le guitariste de Police, Andy Summers.
«EMERSON, LAKE & PALMER» de Dominique Dupuis (Editions du Layeur. 240 pages-36€)
Apparu à Londres en 1970, le trio EL&P associant trois musiciens extravagants et exubérants aura marqué l’histoire du rock, notamment par ses impressionnants shows scéniques où pour la première fois ce sont les claviers et leur installation faramineuse qui sont sur le devant de la scène. Le groupe qui a fait son premier concert cette même année au légendaire festival de l’île de Wight devant 600000 personnes médusées, réunit le claviériste Keith Emerson qui a démarré dans les sixties avec le groupe Nice, Greg Lake issu de King Crimson et qui assure guitare, basse et chant, et le plus jeune Carl Palmer (qui fondera plus tard Asia), batteur et percussionniste assurant une sorte de médiation entre les deux autres fortes têtes. Par ses adaptations et arrangements de morceaux classiques, le trio affiche son intention de créer des mélanges encore inédits, une sorte de musique contemporaine avant l’heure, Keith Emerson étant ainsi l’un des pionniers de ce que l’on nommera le prog’rock en contribuant à l’avènement des premiers synthés et notamment du fameux Moog. Une musique très influencée par l’héritage européen mais aussi parfois par le blues américain, Greg Lake instillant dans les mélodies une complexité harmonique tandis que Carl Palmer avec son sens inné du groove assure l’assise rythmique.
Si Emerson, Lake & Palmer a produit neuf albums en studio, le trio a aussi laissé à la postérité une douzaine de live, reflets d’un groupe virtuose taillé pour les planches, avec un jeu de scène flamboyant où leur rock symphonique mêlant rock, classique et jazz est devenu culte. Mais les styles évoluant aussi vite que les modes et vice-versa, surtout à cette époque de révolution quasi permanente, le groupe qui aura vendu près de cinquante millions d’albums sera «progressivement» (c’est le cas de le dire…) considéré par la critique comme une sorte de pantomime, faisant de plus en plus l’objet de satires et de railleries vis à vis de leur emphase, cette forme de grandiloquence pompière et un brin pompeuse qui finira par les ringardiser face aux nouvelles tendances qui pointeront leur nez dès la fin des seventies.
Alors qu’aujourd’hui le style prog’ semble petit à petit être ré-adoubé par une certaine frange intello, Dominique Dupuis a conçu ce bel ouvrage comme pour réhabiliter le mythe EL&P. Il faut dire que l’auteur qui assure la direction éditoriale des Editions du Layeur est un spécialiste du genre, tombé dans la marmite du rock dès la fin des années soixante en s’initiant au son de King Crimson et du premier Pink Floyd, après que les Beatles, les Stones ou les Pretty Things aient déjà éveillé sa conscience. Organisateur de concerts,ancien manager des Stinky Toys, il dirige depuis près de quinze ans la collection vinyl aux éditions Ereme et s’est spécialisé dans le rock progressif en étant l’auteur de divers ouvrages sur Zappa, King Crimson, Deep Purple ou Pink Floyd. En présentant dans ce nouveau Beau Livre l’ensemble de l’oeuvre d’ EL&P, les albums studio, les live, et les nombreuses archives du groupe, avec comme toujours de belles illustrations,Dominique Dupuis nous donne l’occasion de se replonger avec nostalgie dans une période phare, représentative de la première moitié des seventies. Au delà de l’intérêt que l’on peut porter ou pas à un tel groupe, c’est plus globalement le reflet d’une époque charnière que nous narre ainsi l’auteur, ce qui est toujours très instructif.