Revenir à la tradition du post bop.
Je dis revenir non pas par nostalgie ou parce que ce disque coïnciderait avec ce style, mais plutôt parce que le jazz d’aujourd’hui court parfois après de maintes influences, flirtant gaillardement avec de nombreuses autres traditions, et qu’il est possible de trouver de nouvelles pépites en creusant encore une fois le sillon esthétique.
Le quartet a l’aisance des grands groupes qui sonnent juste sans forcer. Je dis juste, ça signifie qu’il baigne dans une musique qu’il maitrise. Il n’y a là ni affolement, ni torture dans des thèmes élucubrés. La prise de risque se situe plutôt dans la recherche d’une posture relâchée. Le swing par étirement, par suspension, comme on pratique le yoga pour être au plus près de soi. Ici Être au plus près de l’écoute groupale.
Prenez le premier morceau always, le rythme s’installe, doux, sensible, comme l’est le drive de Charles Clayette. Sébastien Joulie vient poser quelques accords, triades, altérées, façon Scofield, pour colorer, puis le thème, tranquille, équilibré, joué par Stephan Moutot, du velours, pas de fioriture. J’aurai juré qu’il troque son ténor contre un alto. Arrive le son ample de Thomas Belin, sur la walking bass, tout dans la nuance. Un quartet à la Rosenwinkel plus saxophone, ou encore un duo Moreno Wendel agrémenté d’une rythmique, ou peut être Scofield & Lovano en quartet. On est au cœur du cœur. Le guitariste installe un brin de mystère dans ce premier solo, c’est bien construit. Ça prend ses aises par rapport à l’harmonie. Suit le chorus de Stephan Moutot très inspiré, par petites touches, d’abord, puis ensuite très groovy, au fond du temps, finissant très prolixe. Du plus bel effet. Fin du premier morceau : on y croit pleinement, à cette histoire.
Avec Blues for 4 dogs, la musique, si elle se tend rythmiquement, n’en garde pas moins cette aisance. Le trio sax / contrebasse / batterie me va comme un gant. C’est d’une grande fluidité, d’une grande énergie, l’aura d’un discours qui n’a besoin ni de grands gestes, effet de manche ou de rhétorique, ni d’arguments alambiqués pour convaincre, juste la puissance d’une légitimité (entretenue c’est sûr, par le travail) par des musiciens au faîte de leur art.
Woo Woo, c’est un bel arrangement pour les instruments lead, guitare saxophone, les deux se mettant réciproquement en valeur, avec en arrière fond le travail considérable de la rythmique. Longs solos pleinement maitrisés, passionnants de bout en bout. Un final pour la batterie, du sur mesure pour nos oreilles.
Moondogs où le lâcher des chiens où la référence au viking albinos et aveugle ? C’est rock, musclé, il y a le grain de l’overdrive. Beaux traits, unissons ou en quarte, de la guitare et du saxophone. Ça me rappelle la musique de Jean-Loup Bonneton. Là encore le souffle qui accompagne les solistes ne les quitte pas.
Albacete-Carcelen commence par un long discours du contrebassiste. Pour suivre par une ballade, qui chante. Beau son du saxophoniste. Le quartet a trouvé là un terrain de prédilection, pour exprimer, sans lyrisme inopportun, toutes les émotions qui l’habitent.
Song for Adrien, me rappelle les enregistrements live de Pat Metheny et Joshua Redman. Thomas Belin fait très fort sur le début du morceau, en seulement quelques mesures. Il y a de l’aplomb, une nervosité sous-jacente, du swing dans un gant de velours, ça brasse entre les quatre musiciens. Du grand art.
Choix d’une balade pour clore l’album ? Dumber. Ou course effrénée ? Le groupe hésite pour notre plus grand bonheur. Feux d’artifice. Stop.
Thomas Belin signe la quasi-totalité de ce disque enchanteur. Il propose un travail très mélodique, composant avec souvent deux trios, le soliste et la rythmique. Les artistes transcendent sa musique, se jouant des arrangements avec une maîtrise totale. On baigne dans une atmosphère douce et nerveuse, mais les musiciens réussissent à forcer notre écoute par une sorte de décontraction tranquille. C’est plus que du professionnalisme, c’est la marque des grands. A écouter sans modération.