18/07/2021 – Stefano Bollani / Supersonic aux Nuits de Fourvière

18/07/2021 – Stefano Bollani / Supersonic aux Nuits de Fourvière

Bollani superstar

Stefano Bollani est l’homme de toutes les surprises et de tous les défis : son dernier passage en 2017 sur la scène de Lugdunum avait marqué les esprits avec notamment un medley final interactif au cours duquel il avait fait choisir les morceaux au public ! Ce soir, toujours en piano solo, tenue décontractée, chemise bleue à fleurs, pantalon et chaussures blanches et catogan chic, il entreprend de revisiter l’opéra rock des Seventies Jesus Christ Superstar…Rien que ça ! Et aidé par son seul piano… En préambule, et en français, le pianiste se fait pédagogue en rappelant que l’opéra rock a été écrit en Angleterre pour la musique par Andrew Lloyd Webber et Tim Rice pour les paroles, d’abord sous forme d’un concept-album en 1970, puis d’une comédie musicale dont le rôle-titre de Jésus a été dévolu à un certain Ian Gillan…Chanteur de Deep Purple, toujours en activité. La comédie musicale a ensuite fait les beaux jours de Broadway avant d’être adaptée au cinéma par Norman Jewison en 1973…C’est le film qui a marqué Bollani alors qu’il n’avait que quatorze ans. Il est alors tombé littéralement amoureux de ce « Jésus chantant » qu’il propose de revisiter dans des variations évidement jazzifiées…

Mais pour démarrer, rien de tel qu’un prélude de Bollani, avant de passer à l’opéra en lui-même.

Le lyrisme est d’emblée palpable et le maestro est ravi d’être là avec un vrai public retrouvé. Dominique Delorme, le patron des Nuits, écoute attentivement à jardin. Bollani déroule les moments qu’il a choisi d’adapter de cette œuvre hippie, et on peut entendre un Everything’s allright qui évoque Marie-Madeleine, puis il attaque une partie très ragtime/ stride, le pianiste sautille sur son siège, se contorsionne, l’image de Jarrett nous passe dans l’esprit mais le morceau termine sur un rock endiablé. Puis Bollani présente la pièce sur Ponce Pilate  Pilate’s dream qu’il fait applaudir par le public, avant de rétorquer : « on applaudit car on a Pilate en nous !».

Puis c’est I don’t know how love him  d’une belle facture. On redécouvre complètement les formidables mélodies un peu oubliées de cette comédie musicale, et l’adaptation qu’en fait le soliste italien est autant teintée de lyrisme que d’énergie rythmique. Il a trouvé le bon angle et dépoussière l’œuvre de façon magistrale. Mais déjà c’est le dernier morceau et Bollani annonce un titre sur le roi Erode en glissant amusé au public que « ça parle de crucifixion, mais vous connaissez déjà la fin »…Cette version de King Herod’s song (try it and see) est menée clavier battant dans une version ragtime western des plus enjouées. On se croirait davantage dans un saloon que sur une scène à Broadway, dépaysement garanti !  Le set adapté de Jesus-Christ superstar touche à sa fin, mais pour le rappel Stefano Bollani gratifie le public conquis d’une de ses compositions Il Sentiero (le chemin), comme une métaphore à son concert et à ce chemin christique inédit que l’artiste nous a permis d’emprunter…

 

 

Sur la lune avec Thomas de Pourquery et Supersonic

Il est 22h18 à l’horloge de la soucoupe quand Supersonic débarque sur la scène de Fourvière… Dans une puissance tellurique et rythmique émanant directement du matériau de son troisième opus avec ce groupe, un concept-album imaginé à bord d’un vaisseau spatial, à paraître en septembre prochain, Back to the moon. Le sextet  du barbu déjanté est flamboyant avec une section rythmique de rêve- Edward Perraud aux mains virevoltantes au-dessus d’un nid de cymbales et Frederick Galiay, puissant bassiste et second barbu semblant tout droit sorti d’un livre de Jules verne- une section de cuivres rassemblant, outre Thomas de Pourquery au sax alto, Laurent Bardainne au ténor et Fabrice Martinez à la trompette. Avec également pour compléter au piano Arnaud Roulin, le membre sans doute le plus effacé de cette petite bande d’astronautes du son.

Comment qualifier cette musique ? Plutôt rock, et comme l’a confié lui-même son leader, « Supersonic est un groupe de rock camouflé en jazz ! ». Il faut dire que les influences du chanteur/ saxophoniste sont multiples de Miles Davis à Deep Purple, de Serge Gainsbourg à Nougaro en passant par Messian…Mais le son lyrique de son saxophone, Thomas le doit à son inspiration adolescente, celui qu’il admire par-dessus tout : le soufflant transalpin Stefano Di Battista qui a foulé la même scène de Fourvière le 15 juin dernier…Etonnantes résonances de la programmation, qui n’a pourtant proposé que trois soirées labellisées « jazz » dans son édition 2021 déconfinée.

On comprend en écoutant les premières notes du premier morceau de la soirée pourquoi Thomas Pesquet a emmené la musique de Thomas de Pourquery dans l’espace (en l’occurrence le single Yes Yes Yes Yes) : ampleur sonore, spectres musicaux variés, rythmique puissante, envolées aériennes et breaks épatants…Tout y est pour profiter de l’apesanteur et ce ne sont pas les spectateurs de Fourvière qui diront le contraire. C’est parti pour le voyage. Le chef du vaisseau amiral alterne saxophone et voix avec une réussite étonnante. Et dès les premiers morceaux il fait chanter le public lyonnais. Au troisième morceau les deux saxophonistes sont seuls dans une longue introduction majestueuse, puis Perraud prend la baguette pour une marche à base de roulements du plus bel effet, avant de partir en ternaire. Les duos entre les instrumentistes sont un régal pour l’ouïe à l’image de ce chorus très coltrainien mené deux à deux entre le batteur et Von Pourquery qui termine par quelques notes de… Ne me quitte pas. Puis c’est au tour de Fabrice Martinez (que le leader du groupe nomme « le chevalier blanc ») de s’illustrer dans un morceau très Miles période électrique, Perraud virevolte sur ses cymbales et impulse un rythme effréné d’une grande puissance. De Pourquery fait retomber la pression dans un moment hilarant où il fait se lever le public pour une danse improbable « la danse des deux bras », car selon lui, « c’est l’été, c’est gainage ! ». De Pourquery décidément très en verve a envie de faire des blagues avec le public lyonnais qu’il qualifie de « provincial », avant de souffler « qu’il accède au rappel », non sans avoir  salué « le taulier », alias Dominique Delorme (qui l’a reprogrammé après l’édition 2020 avortée du festival), puis souligné l’apparition des étoiles dans le ciel (l’espace toujours je vous dis), de remettre le couvre-chef à paillettes qu’il arborait dans le premier morceau pour mieux honorer Sun Ra.

Car Supersonic, c’est avant tout l’héritage de Sun Ra à qui il doit son nom (tiré d’un des premiers albums du prince du free), et pour conclure il annonce la plus belle chanson d’amour du monde, écrite par l’illustre saxophoniste Love is Outer space, mais Fourvière a déjà rejoint la voute céleste dans une communion avec les musiciens qui enveloppent la scène d’ondes cosmiques du plus bel effet.

 

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