29/06/2023 – Domi & JD Beck à Jazz à Vienne

29/06/2023 – Domi & JD Beck à Jazz à Vienne

La new-generation, «rain» de la nuit

Avant le fabuleux show de Jacob Collier, prodige époustouflant et inventif qui confirme son jeune génie, on découvrait le duo franco-américain Domi & JD Beck qu’un buzz irrationnel a propulsé aux avant-postes de la branchitude du moment. Jeunes et prodiges eux aussi, certes, mais on a déjà entendu plus heureux en matière de renouveau du jazz-funk californien et de mix avec le hip-hop. Attendons donc de voir comment évolueront leurs compos encore souvent brouillonnes et manquant de vrai fun, sévèrement baptisées ce soir par un déluge de flotte en continu, dès la minute de leur entrée en scène.

On appelle ça le «buzz». A l’heure des réseaux sociaux, il suffit de quelques «posts» pour se faire (ou pas) remarquer et, où que vous soyez sur cette planète, sortir du jour au lendemain de l’anonymat pour devenir quelqu’un aux yeux (et aux oreilles) de millions d’humains, pardon d’«internautes». Perso, je n’avais jamais entendu parler de ce duo, ni même de leur musique, que, comme beaucoup sans doute, je découvrais totalement ce soir.

Si l’on connaît la ponctualité toujours respectée à Vienne, une invitée dont on se serait bien passé est elle aussi arrivée pile à 20h30 : la pluie, et pas qu’un peu ! A peine les deux jeunots sur scène, des trombes d’eau continues se sont abattues sur le site, sans que le public (notamment ceux de la fosse) ne s’en émeuve. Côté avant-scène, il a cependant vite fallu installer en urgence un petit chapiteau pour protéger Domi & JD Beck, et notamment leurs instruments, frêle couverture obligée d’être maintenue par quatre techniciens accroupis tenant les pieds durant toute la durée du set !

Il en fallait plus pour décontenancer nos drôles de loustics trop heureux d’être là, devant des milliers d’auditeurs.

Drôles de loustics en effet que ces deux-là. Aux claviers, Domi Louna -alias Domitille Degal à l’état civil-, vingt-deux ans et originaire de Metz, passée par le célèbre et réputé Berklee College of Music de Boston. Depuis déjà cinq ans, elle a formé ce duo avec JD Beck, dix-huit ans ans aujourd’hui, (il en fait quinze) jeune batteur autodidacte venu de Dallas et qu’elle a rencontré lors d’un forum musical en Californie. Très vite, ces deux enfants de la génération You Tube  (elle explique d’ailleurs avoir grandi en regardant des vidéos de Jazz à Vienne !) ont donc créé ce fameux buzz qui les a propulser sous la lumière, aidés en cela par l’imprimatur de divers grands noms comme Herbie Hancock, Erykah Badu, Thundercat et d’autres, qui ont participé à «Not Tight», premier album du duo signé sur le nouveau label Paak, et nominé aux prochains Grammy Awards en catégorie révélation de l’année. Excusez-du peu !

Tout cela est bien beau et digne d’un conte de fée, reste tout de même à écouter le fruit de cet engouement éclair dont on a appris à se méfier des effets trop souvent irrationnels. On sait depuis toujours, et à fortiori dans le monde musical, l’importance du look pour se faire remarquer. Cela n’a bien entendu pas échappé à ces jeunes gens, elle en mode blondinette à grandes couettes, ensemble coloré Versace, jouant les Alice au Pays des Merveilles, lui style grand ado androgyne (pardon, dégenré), visage poupin imberbe, cheveux mi-longs, moue boudeuse accentuée par une lippe toute jaggerienne, en salopette de jean informe, mi-kid mi-ange ponctuant ses interventions d’un fuck de rigueur chez les bads boys.

Ok, et si l’on parlait enfin de musique ? De l’avis général, les premiers titres sont pour le moins brouillons. Sur le papier, il paraît que ces deux-là révolutionnent le jazz-funk californien, dans un mélange de jazz et de hip-hop. Un genre qu’on connaît bien et qu’on adore, à la base. On a déjà vécu sur ce terrain là maints projets autrement plus novateurs et passionnants, surtout plus heureux. Soyons justes, le niveau et la technique virtuose de l’une comme de l’autre sont indéniables, Domi ayant une approche des multiples claviers, du piano aux divers synthés, bien dans l’esprit initial d’un Hancock justement, ou d’un George Duke auquel d’ailleurs elle dédie un tribute bien senti au milieu du set. Quant à JD Beck, il excelle visiblement dans l’art du broken beat et du jungle drumming robotique, à faire pâlir le lapin Duracell.

Mais même si leur premier single qui les a révélés se nomme étonnamment Smile, l’impression globale que laissent leurs compos est peu souriante, guère enjouée, rarement émotionnelle. Il y a certes parfois un vrai groove qui s’en dégage, mais du au seul fait d’une grosse basse synthétique rondement envoyée, un brin de sensualité humaine -enfin- qui affleure quand, à dose homéopathique, les deux instrumentistes mêlent leurs voix de façon étonnante pour un résultat qui ne ressemble à personne.

Le temps exécrable n’a sans doute pas contribué à nous mettre dans les meilleures dispositions, mais on s’est vite ennuyé de la sempiternelle recette descente vertigineuse de synthé / frappe speedée, quel que soit le côté «prodige» des impétrants qu’on leur a peut-être un peu vite accolé.

Dans un univers et registre un peu proche, Domi & JD Beck est en tout cas bien moins fun (oui, c’est bien ça qui nous aura beaucoup manqué) qu’un Louis Cole (mais lui est entouré de cuivres). Quant à l’aspect petit génie de la «new génération», on se souvient avoir découvert ici-même en 2016 en première partie de Chic, un pti bogosse de vingt-deux ans (on lui en donnait dix-sept) quasiment en pyjama, seul au milieu de ses nombreux jouets, soit tous les instruments possibles qu’il maîtrise de manière subjuguante et avec un naturel déconcertant. Mieux, pour faire de la super bonne musique ! On avait alors parié qu’il reviendrait ici mais cette fois en grosse tête d’affiche. C’était le lumineux Jacob Collier, il a pris la suite ce soir mais entouré de son super band, pour un show (quels jeux de lumières démentiels !) fabuleux, jouissif, inoubliable. Là, ça s’appelle bien du génie. Alors pitié, gardons une échelle de valeurs et arrêtons de galvauder le terme…

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