29/06/2023 – Obradovic – Tixier Duo au Périscope

29/06/2023 – Obradovic – Tixier Duo au Périscope

Un duo franco-croate inspirant

Le Périscope proposait à nouveau une soirée alléchante ce 29 juin avec le duo franco-croate Obradovic/Tixier, un beau duo Batterie/ piano en plein démarrage de Jazz à vienne, un pari difficile pour mobiliser les jazzeux de Lyon… Et la salle en format assis pour l’occasion n’était pas très garnie pour ce pourtant beau projet et avec toujours des tarifs défiants toute concurrence !

On avait laissé Lada Obradovic en actrice et musicienne pour la mini-série The Eddy tournée à Paris par le très talentueux Damien Chazelle et diffusée en plein premier confinement. La batteuse ne brillait pas alors par ses dialogues d’actrices et ne semblait pas très communicative… Ce n’est pas le cas ce soir car elle a su braver sa timidité naturelle pour échanger avec le public lyonnais épars mais passionné, qu’elle retrouvait suite à un premier passage à feu A Vaulx Jazz il y a quelques années…Dieu que Thierry Serrano avait du flair quand même dans sa programmation ! La batteuse croate est un phénomène : ancienne sportive de haut niveau, elle s’est formée à l’instrument selon une méthode intensive et sportive, et a dû s’exiler dans un pays loin du sien pour parfaire son art… qui est à présent au firmament : son jeu est polyrythmique et inspirant avec ses trois caisses claires et ses deux toms basses ! Des petits chiffons pour atténuer le son sur les fûts sont à l’effigie de petits personnages d’animations apportent la touche mignonne et elle use aussi de petites percussions comme un petit vibraphone, une sanza, un handpam…Elle utilise énormément les Rim-shots et pas seulement sur la caisse claire mais sur tous les fûts.

Le duo se veut pédagogue et pour chaque morceau il y a une explication très poussée des intentions de la composition. C’est souvent assez conceptuel, parfois trop long et un peu tiré par les cheveux, mais le fait que chaque morceau soit une histoire qui leur soit réellement arrivée est plutôt intéressante et leur dernier disque a 27 pages sur le contexte de chaque morceau en détaillant leur processus de création, cela change des productions ordinaires. Lada confie que leur label n’était pas très enthousiaste sur cette profusion.

Le premier titre commence par des sons de voitures et termine par un cœur qui termine de battre : c’est l’histoire d’un daim mourant qu’ils ont tenté de sauver au bord d’une route entre l’Alsace et la Suisse lors d’une de leur tournée… David Tixier,  le pianiste français, présente le second morceau, un hommage au libre arbitre (avec des extraits de discours au milieu) que Lada débute au Handpan. Le troisième morceau sous forme de conte, une cage dans un froid hivernal, présent sur leur dernier disque sorti en septembre dernier, commencé au vibraphone affiche clairement une inspiration du regretté trio suédois E.S.T (c’est du reste le cas de bon nombre de titres de leur répertoire !), avec des breaks et changements de rythmes très réjouissants. Le morceau d’après, les pensées éternelles, parle d’un robot en plein dysfonctionnement dans une navette spatiale : une histoire shakespearienne d’éternel recommencement d’après Richard III… Puis c’est au tour de la batteuse de prendre la parole, ici pour louer le technicien du Périscope Guillaume, mais surtout pour annoncer le morceau à venir, un titre écrit quand elle était loin de son frère et de sa sœur lors de son apprentissage de la batterie. Elle aborde elle aussi leur démarche pédagogique un peu comme on expliquerait un tableau dans un musée… et débute par la sanza qui clôturera aussi la pièce musicale. L’inspiration du piano est très jarrettienne et le dialogue batterie/ piano est un régal. Le titre d’après, rapide et virtuose it’s not about new (sur le confinement, « ce n’est pas maintenant ce n’est pas grave »), met en valeur la technique des musiciens. Puis vient un morceau sur le tremblement de terre de Zagreb, ville natale de Lada intervenu en plein confinement, qui est magnifique et colle immédiatement la chair de poule à l’assistance. Ce qui est intéressant dans ce choix c’est que chacun des deux musiciens a écrit sur ce thème avec une approche différente, plus apaisée pour Lada alors qu’il s’agit de sa patrie, et plus nerveux pour le point de vue musical de David ! Le pianiste présente ensuite un morceau sur la politique Rien ne va se passer, où dans des fragments sonores on entend les voix de politiques d’Hitler à Macron… Le dernier morceau du set est introduit par Lada qui parle aussi de leurs actions caritatives d’aide d’une entreprise de chaussures en Croatie, les deux artistes sont très engagés et généreux et cela s’entend dans leur musique qui ne l’est pas moins… A piece of yesterday clôt donc le set en rendant hommage à tous ceux qui ont perdu quelqu’un. Le piano adopte un son et une posture très inspirés de Chick Corea. Puis le public rappelle très chaleureusement le duo, et c’est l’occasion d’écouter l’autre version du tremblement de terre, celui de David cette fois. Celui-ci raconte être parti d’une photo parue dans la presse croate qui montrait le sauvetage d’une maternité par l’armée et par des supporters de foot, « Comme si cela ne suffisait pas »…Au milieu du morceau, Lada quitte la batterie pour réciter un texte en croate, avant de regagner ses 7 fûts dans un beau final plein d’émotions et de vibrations…

Le Périscope termine la soirée tremblant comme la terre croate, ému par cette belle musique de ce duo si fusionnel qui semble dialoguer à l’infini… Un beau message musical et fraternel entre la Croatie et la France…Une humanité d’une beauté sonore renversante qui a enchanté le public…Les absents ont eu tort, mais surtout : il faut absolument que les programmateurs de musique de la métropole n’attendent pas des années pour faire revenir ce mini-groupe composé d’un clavier et de deux baguettes qui restitue si parfaitement ce que le jazz actuel peut produire de plus juste et de plus magique dans sa sphère…

 

Auteurs/autrices