Selah folie
Après que le chanteur sénégalais Faada Freddy et ses cinq pupitres aux voix hors-normes aient incroyablement chauffer un théâtre antique plein à craquer avec un live purement acoustique basé sur le beat boxing et les percussions corporelles, la jeune chanteuse belge Selah Sue n’a eu aucun mal à attiser le feu notamment avec les titres de son dernier album «Persona» où la néo-folkeuse et soulwoman puise au meilleure de la veine electro actuelle. Un show revigorant qui sur la forme exorcise à merveille les idées noires évoquées dans le fonds de ses nouvelles chansons.
Déjà venu à Jazz à Vienne par le passé sur la scène de Cybèle, le chanteur Faada Freddy originaire de Saint-Louis du Sénégal fait son grand retour après une longue période d’absence, via «Tables will turn,» son nouvel EP qui paraîtra à l’automne et qu’il porte actuellement en tournée. Sept ans après «Gospel Journey» qui lança sa carrière solo alors qu’il était depuis les 90’s le leader d’un trio de hip-hop, le dandy Faada poursuit dans la veine initiée par cet album explicite, une soul-gospel purement acoustique sans aucun instrument autre que des voix, du beat boxing, des percussions corporelles et du stomp, autant de pulsations 100 % organiques sans aucun sample, ce qui est difficile à croire au vu bluffant du résultat. Pour ce faire, le fringant chanteur svelte et félin sanglé dans un ensemble à carreaux style Prince de Galles, souliers à paillettes et son éternel galurin vissé sur ses dreadlocks, s’appuie sur les cinq vocal performers qui l’accompagnent, quatre hommes et une femme rompus au travail de montage des chorales gospel, avec Marion Cassel, Philippe Aglaé, Manu Vince, la basse vocale de Jean-Marc Lerigab et les percus corporelles de Martin Gamet.
Une technique gospel au service d’un groove donc purement vocal et percussif pour des compos gorgées de soul, où l’absence d’instruments n’empêche pas un gros son de se dégager de ce répertoire où s’enchaînent d’abord disco-funk et reggae-ragga sur Strangers puis Golden Pages issus du nouvel opus. Après un titre en wolof teinté de hip-hop,le single éponyme Tables will turn puise aux racines du blues avant d’installer un groove où le rythme très appuyé trouve un écho spontané dans les gradins bondés de 7500 spectateurs, cette soirée étant l’une de celles qui affichent complet. Une rythmique incessante et presque usante dans l’imitation d’une grosse basse et d’une batterie électronique, digne d’un baston de techno-psyché d’où émane des micros un clin d’oeil au tubesque Soul Makossa. C’est copieux et capiteux, et le charisme du leader emporte sans retenue l’adhésion d’un public chaudement ambiancé, qui n’aura pas tardé à prouver sa grande présence et sa réceptivité, dès avant d’exprimer pleinement sa joie et son envie de fête avec l’arrivée de Selah Sue.
Selah que ça se passe…
On avait hâte d’entendre enfin en live le nouveau répertoire de la chanteuse belge de 34 ans après que son cinquième opus «Persona» ait trusté l’an dernier le podium de notre best-of 2022 (voir ici). Des titres écrits à la maison durant le confinement, avec son compagnon le claviériste Joachim Saerens, où l’ex étudiante en pyscho exorcise sa dépression chronique et évoque sans détour son addiction aux anxiolytiques. Un fond qui pourrait être grave et plombant si, paradoxalement, cette battante n’avait choisi au contraire de livrer ses états d’âme en surfant musicalement sur l’air du temps, creusant notamment avec originalité la veine electro qu’elle avait entamée en 2015 avec l’album «Reason». Conjurant ses affres intérieurs et transcendant ainsi ses tendances dépressives, la chanteuse au grain éraillée que l’on situait entre néo-folk et soul offre en effet un mix détonnant incluant aussi dans son cocktail une dose de R&B, de funk, de pop, d’electro-jazz donc, et toujours cette pincée de reggae-ragga dub qui avait fait le succès de son hit planétaire Raggamuffin en 2011.
Si en studio de nombreux guests son invités, on était avide de voir comment cette production léchée allait être rendue sur scène et l’on n’a pas été déçu du résultat ! Entourée de quatre musiciens pointus et trois excellentes choristes blacks (Judith Okon, Sarah Devos et Stéphanie Rugurika), Selah Sue a offert au public qui a entièrement blindé le théâtre antique un show brillant et multicolore, reflétant parfaitement la palette exhaustive de son talent.
Selah watts qu’elle préfère
Là où d’autres entameraient leur set en en mettant d’entrée plein les mirettes, Selah choisi l’intimisme pour introduire la copieuse set-list qu’elle nous a concoctée, pas moins de dix-neuf titres, mais qui s’explique par la brièveté de nombre d’entre eux, même en version live. Elle est donc seule en scène pour ouvrir avec Break, guitare de folkeuse en bandoulière et au superbe son, rejointe par son conjoint pianiste pour You, magnifique ballade dédiée à leur deux enfants. Ceinte d’une cape en soie tigrée et juchée sur des plateforme-shoes, la meneuse ne va pas tarder à enclencher le feu avec l’arrivée de l’ensemble du band pour Catch my Drift puis On the Table, nimbé de hip-hop qui groove par la grosse basse tenue par Dries Henderickx. Après l’inévitable Raggamuffin lâché avec un énorme son dub, ce sont les synthés qui portent l’electro-groove de Together. L’ambiance dance-floor s’installe sans retenue, même si quelques morceaux comme la vaporeuse ballade de All the way down apaisent la tendance. On l’a dit, même sur des titres au fond mélancolique comme Free Fall, la soulwoman s’arrache la voix et la guitare de Klaas De Somer fait rugir sa Gibson à l’avant-scène. Puissant, le band envoie du bois et ce n’est pas la basse claquante sur le très funky When it all falls down qui va tempérer les ardeurs, encore moins la frappe tonitruante du batteur Dries Laheye comme sur Pills et ses embardées technoïdes. Transformant le vaste théâtre romain en discothèque à ciel ouvert, Selah Sue qui a opté cette fois pour une autre cape noire et rose virevolte sur le plateau, dansant au milieu de ses choristes et célébrant sincèrement tout le plaisir que lui procure ce contact chaleureux avec son public, à fortiori dans un tel lieu qui ne cesse de l’époustoufler. Il faudra bien encore trois titres enchaînés en rappel (Twice a day, Celebrate puis This World ) pour venir à bout de cette intense communion, follement festive et réjouissante, on ne peut plus efficace pour reléguer le moindre soupçon de dépression au rayon des mauvais souvenirs. Une leçon de résilience pour elle même mais sans doute partagée avec beaucoup d’entre nous, comme le meilleur des médicaments !