19/10/2023 – Ibrahim Maalouf à Saint-Chamond pour le RhinoJazz(s)

19/10/2023 – Ibrahim Maalouf à Saint-Chamond pour le RhinoJazz(s)

Une fois n’est pas coutume, on va prendre les choses à rebours. Il est plus de 22 heures, il fait chaud dans une salle Aristide Briand bondée et on est debout depuis de longues minutes. On va partir mais c’est dingue comme on a le cœur léger. A quoi c’est dû, tout serait-il au mieux dans le meilleur des mondes possible? Vous êtes hors sujet, ma brave dame, que vient faire la philo dans une chronique musicale ? C’est à cause d’Ibrahim Maalouf. Si seulement il n’avait pas écrit cette « Petite philosophie de l’impro », son essai réjouissant (paru en décembre 2021 aux éditions Equateurs-Mister Ibé), je n’aurais pas sans doute pas compris à quel point « la musique est une façon de réapprendre à vivre ensemble ». Or, c’est ce qui s’est passé jeudi et on va donc parler musique puisque tout est lié.

Petit retour en arrière. Dès son entrée sur scène, Ibrahim Maalouf, accompagné de son complice guitariste François Delporte, invite le public à frapper dans les mains. C’est un signe, comme le fait qu’il n’y a aucun chichi ni lumineux ni décoratif, ça se sent
qu’il va y avoir du va-et-vient, quelque chose de direct. Ça fleure en plus le truc chaleureux et très communicatif. Ben oui, on s’aperçoit rapidos que le génial trompettiste (et pianiste de talent) est sacrément loquace. Il le sait, l’avoue, on lui pardonne donc. Enfin, à moitié, parce que s’il avait pu jouer un peu plus, on n’aurait pas été contre. De fait, pour sa deuxième venue au Rhino, il a interprété moins d’une dizaine de ses fabuleuses compositions. Par exemple, True Sorry, tirée de l’album Illusions en 2013,  » un morceau qui parle de pardon, de la difficulté qu’on met avant de pouvoir le dire » ou bien Will soon be a woman, une « chanson totem » pour sa fille Lily. Citons aussi Red & Black light, « qui parle de la liberté, dont on a beaucoup besoin aujourd’hui » (album éponyme, 2015). Ou encore Happy Face, un hommage où le public, guidé par un chef des chœurs plein d’humour, s’est essayé à imiter la voix si particulière de Louis Armstrong. Ce n’est pas tout. Au départ, il avait expliqué la genèse de cette nouvelle tournée en duo: « En général, j’aime bien avoir beaucoup de gens autour de moi…Mais il y a environ cinq ans et après dix-sept albums, je me suis une remis en question. Je jouais dans des salles de plus en plus grandes et, du coup, le public était de plus en plus loin… J’avais besoin de ça, vous retrouver, enregistrer ces quarante mélodies, François et moi… Du coup, il n’y aura pas de surprises, que nous deux ». Quel farceur. Si aucun des invités prestigieux de son album n’a débarqué, le jeune saxophoniste Mihai Pîrvan s’est joint aux deux maestros en fin de concert pour interpréter en trio Back to Bakinsta, un titre tiré de « Capacity to love » (sans Sharon Stone !). Cet hymne au partage, étoffé de rondeurs mélodiques orientales et d’un groove fertile a laissé les cœurs en  transe et les hanches en danse. Mais au fait, c’est quoi, cette chronique ? On n’a même pas mentionné le son sublime des quarts de tons. Pas même évoqué Beirut, pas dit non plus les caresses veloutées de la trompette, pas parlé du vaste ciel déchiré parfois par un éclair de ragtime… Mais qui peut mieux en parler que la musique elle-même?

Auteurs/autrices