25/11/2023 – Yom «Alone in the Light» à l’Opéra Underground

25/11/2023 – Yom «Alone in the Light» à l’Opéra Underground

Un long trip voluptueusement contemplatif

Contrairement au titre de son nouvel opus qui par sa beauté nous a renversé d’émotion, le clarinettiste Yom n’est pas tout seul sous la lumière puisqu’en compagnie du pianiste Leo Jassef  il y signe l’un des plus beaux bijoux sonores de cet automne, contemplatif et extatique, nimbé d’une forte spiritualité qui porte à la transcendance. Intime et nocturne, ce répertoire joué en live deux soirs de suite à l’Opéra Underground a embarqué comme prévu l’auditoire dans une intense communion méditative et emplie d’allégresse. Dieu que la messe fut bien dite !

 

«Vous voilà au seuil d’une expérience unique, une traversée qui vous changera à la sortie, j’en prend le pari !» annonce Richard Robert, directeur et programmateur avisé de l’Opéra Underground qui, la veille déjà, a été comme le nombreux public venu, émerveillé par le concert du clarinettiste Yom (Guillaume Humery à la ville) en duo avec le pianiste Léo Jassef, repris donc ce soir devant un amphi encore bondé. Des mots qui n’ont rien de surfait au regard de ce que nous pensons de «Alone in the light», le nouvel album du duo chroniqué en début de semaine (voir ici) parmi mes gros coups de cœur de cet automne. On était d’autant plus excité de vivre ce moment en live après la claque émotionnelle prise à l’écoute de ces mélodies émotives et au lyrisme exacerbé, constituant un répertoire ambient, spirituel et contemplatif menant assurément vers une forme de transcendance.

Si les dix plages profondes et planantes de ce disque s’inscrivent dans la continuité de «Célébration» (2020), précédent opus qui a réuni pour la première fois ces deux musiciens hors pair, Yom annonce d’emblée la forme que prendra ce live, à savoir un long continuum ininterrompu (durant 70 mn) comme une grande méditation collective et hors du temps (suspendu).

Et c’est effectivement parti pour un long trip extatique qui frise la performance. Le souffleur comme habité joue avec son corps, autant de contorsions pour mieux influer sur les variations de sons selon l’intensité voulue. Une sorte de récit sonore épique et à l’onirisme infini, pour peu que l’on se vide la tête et qu’on se laisse envahir, jusqu’à une forme de transe intérieure, par ces évocations multiples qui ne cessent d’ouvrir de nouveaux paysages. On passe ainsi d’une émotion à une autre, de l’inquiétude latente quand ils se font plus sombres, à une forme d’allégresse retrouvée quand les mélodies s’éclaircissent et s’ébrouent parfois jusqu’à la frénésie. Parfois même un peu trop à mon goût quand l’un comme l’autre -mais le plus souvent la clarinette- partent en free style dans une stridence qui s’apparente à un cri. Mais si continuum il y a, rien d’horizontal ni de morne plaine là-dedans, puisque les compos enchaînées d’un bloc sont tout sauf monotones, alternant souvent fine douceur et sons plus écorchés dans de déchirantes envolées. Bien qu’unis la plupart du temps dans une osmose qui semble couler de source, le pianiste prend parfois seul la main, laissant au clarinettiste en retrait le temps de reprendre un peu son souffle, c’est le cas de le dire Le jeu de mains de Léo Jassef est assez étonnant, tournoyant, vigoureux voire martial dans ses attaques en piqué, très percussives. On est là quelque part entre le free jazz et la musique contemporaine, ce qui pourrait en rebuter plus d’un si le sens de la mélodie et la délicatesse d’exécution n’étaient pas cependant omniprésents. Quant au souffle de la clarinette, il étonne souvent, comme ayant son propre double en écho (sans aucun effet électronique) à la manière du jeu de soufflets d’un accordéon, et je suis une fois de plus étonné par les similitudes que l’on peut retrouver entre ces deux instruments pourtant si différents.

Rien en tout cas ne vient perturber l’écoute religieuse de ce programme, pas un bruit, plus un souffle de la part de l’auditoire plongé en apnée dans une communion menant à la transcendance collective, comme si une chape de spiritualité avait recouvert les fidèles agglutinés autour de la petite arène scénique, dont certains ont longtemps gardé les yeux fermés pour mieux s’imprégner de ces ambiances méditatives.

Une standing ovation amplement méritée saluera la performance, et la ferveur de spectateurs exaltés sera récompensée en rappel par un morceau jamais enregistré, que le duo ne joue d’ailleurs que peu souvent, présenté par Yom en ces temps dramatiques comme un hymne, une prière agnostique pour la Paix. Il en faudra même un second, toujours sur le mode de la prière incantatoire, pour que nous quittions enfin les lieux, l’esprit léger et avec du baume au cœur.

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