Julien Pickering est le nouveau programmateur du Fil de Saint-Etienne, et le moins qu’on puisse dire est que son projet artistique ne manque ni de variété, ni d’audace. En effet, outre l’ouverture de cette SMAC à des spectacles non musicaux (humour, stand-up…), il a mis en place des rendez-vous réguliers en rap, electro, jazz et soul. C’est dans ce cadre que s’est produit dimanche dernier l’incroyable Robert Finley.
Soirée dédiée au blues, donc. Et, bonne surprise, dans une grande salle bondée. Le jeune stéphanois Louis Mezzasoma, dont le quatrième album, « Good or bad time », va sortir le 26 janvier 2024, s’est engagé le premier sur le plateau. Déjà, ça fleurait bon le Mississipi. Cette scène, il la connaît d’ailleurs pour y avoir assuré, notamment, la première partie de Paul Personne. Mais son parcours, depuis un apprentissage solide au département jazz puis en Musiques actuelles au Conservatoire de Saint-Etienne, ne cesse de révéler sa singularité. Accompagné par une basse et une batterie aux beats toniques, l’auteurcompositeur-chanteur-guitariste a baladé le public dans un road-trip moderne et ouvert à tous les courants d’airs, souvent un peu country, parfois frémissants ou rock. De vastes panoramas se sont ainsi dévoilés, au fil d’arrangements maîtrisés, mêlés aussi bien de roots originels que d’échappées vers de plus célestes lumières. A noter qu’il se produira des 2 et 3 mars 2024 au Pax à Saint-Etienne.
Quarante minutes plus tard, nous voilà aux States.
Première réflexion, pour un homme né en Louisiane, Robert Finley en a non seulement le bayou, mais aussi le bagou. Deuxième réflexion, je dois réviser d’urgence mon anglo-américain car, c’est évident, ce troubadour chapeauté d’un chapeau texan a envie de se livrer. Beaucoup. Dernière chose, ça n’a aucune importance car, dès que Finley s’exprime, que ce soit par la parole ou par le chant, de toute façon, ça swingue. Il a bientôt soixante-dix ans de vie(s) et, dès son entrée, on sait que ça y est, le son est là. Autour de lui, un batteur, une basse et une guitare assurent. Les mesures pourtant bien articulées se suivent sans se ressembler, le tout dans une marmite bien grasse et si groovy que ça nous laisse groggy. Plus près de lui encore, se trouve sa fille, Christy Johnson, à la fois choriste inspirée et soutien sans faille de ce père hors-normes qu’elle tient par la main en sortie de scène.
Un père auteur-compositeur-interprète et guitariste qui a tout donné. Drôle de vie(s) en effet que celles de Robert Finley. Né en 1954 à Bernice, en Louisiane, il a d’abord été ramasseur de coton pendant son enfance, puis engagé quelque temps dans l’armée, mécano, charpentier… Pendant tout ce temps, en autodidacte et malgré un sale coup du sort (il commence peu à peu à perdre la vue), cela ne l’empêche pas de caresser ses cordes, seul ou de façon semi-professionnelle dans les juke-joints du coin. Or, un truc dingue se passe. En 2015, il joue dans une rue d’Helena, en Arkansas, quand il est repéré par un des membres de la Music Maker Foundation (une structure d’aide aux musiciens). Tout s’accélère. Il enregistre un premier album solo en 2016, « Age don’t mean a thing », ce qui le propulse notamment et d’emblée aux Trans Musicales de Rennes. La suite va crescendo grâce à sa rencontre avec Dan Auerbach, le leader des Black Keys, guitariste et producteur installé à Nashville. Ce dernier va produire trois de ses albums, dont le dernier, « Black Bayou », publié il y a un mois. Il contient onze titres et toute la vie de la Louisiane du Nord, portée sur les épaules de Finley, sur les guitares d’Auerbach et de Kenny Brown, sur la basse d’Eric Deaton et sur les batteries de Patrick Carney et de Jeffrey Clemens.
Ce sont quelques-unes de ces nouvelles pépites qu’il a offertes dimanche à un public aussi scotché que respectueux. He feels all right, il l’a dit. He loves us, il l’a chanté aussi. Il a surtout parlé de paix, de fin qui n’est pas une fin et d’espoir. C’est ça, oui, hope and love. Peu importe le rhume qui manifestement ombrait son chant, sa voix s’est élevée, magnifique, ailée de hautecontre et lestée d’une soul rugueuse. Elle a sublimé la vie, à la fois poignante, simple et démesurée. Hey, un whisky pour la route, Monsieur. Et merci.