13/02/2024 – Marion Rampal « Oizel » à l’Opéra Underground

13/02/2024 – Marion Rampal « Oizel » à l’Opéra Underground

La dame Oizel

 Dans la continuité de «Tissé» salué par une Victoire du Jazz en 2022 et qui traçait déjà les contours de son univers imaginaire fait de folk, de jazz et de blues aux résonances créoles et cajun, la douce marseillaise amoureuse des mots poursuit ce subtil métissage dans les chansons au format plus classique de son nouvel opus «Oizel», délicat travail poétique et esthétique mené avec le fidèle guitariste Matthis Pascaud. Entre berceuses éveillées et groove feutré, usant de la symbolique de l’oiseau pour affirmer sa liberté, la vocaliste magnétique nous enchante en plongeant sans mélancolie dans ses tendres souvenirs d’enfance.

 Si l’on a découvert la marseillaise Marion Rampal avec son second album « Main Blue» (2019), tout imprégné des musiques du delta du Mississippi et de la Nouvelle-Orléans, carrefour des influences blues-gospel-cajun, mais aussi où se croisent l’anglais, le français, le créole louisianais et autres parlers du bayou, la sensible folk-jazz woman a creusé son sillon pour révéler pleinement son propre univers imaginaire et hors du temps avec «Tissé», album de l’épure et pourtant luxuriant qui lui a valu la Victoire du Jazz de l’artiste vocale 2022. Un subtil travail de métissage, poétique et esthétique, mené côté production par l’incontournable guitariste Matthis Pascaud, tant sur les mots que sur les mélodies, toujours dans ce style si singulier de mariage du jazz au folk, du blues à la chanson classique. C’est ce dernier genre qu’elle privilégie aujourd’hui en se soumettant plus au format standard du couplet-refrain, avec «Oizel» qui vient de paraître (voir ici)  et qu’elle nous livrait ce soir dans la chaleureuse intimité de l’Opéra Underground, enserrée comme dans une cage à oiseau mais dont la porte vers la liberté reste grande ouverte.

On pourrait facilement filer la métaphore ornithologique si l’oiseau de paradis n’avait pas déjà pris son envol «à tire d’ailes» avec les albums précités, mais il faut dire qu’avec ce nouvel opus la dame Oizel prend encore de l’altitude comme ces grands oiseaux marins planant dans l’azur, mais prêts à plonger le bec dans la source nourricière des eaux profondes. Encore une symbolique qui l’a accompagnée dans la gestation de ces chansons éthérées évoquant à la fois la mobilité spatiale du migrateur et la nécessité vitale du nid, comme le besoin de plonger tête bêche dans les souvenirs d’enfance, d’interroger la mémoire, les héritages et la transmission.

Si l’explicite blue-folk féministe Still a Bird concluait déjà «Tissé» (et sera joué ce soir en rappel), c’est tout cela que l’on retrouve dans le merveilleux répertoire proposé ici en quartet, où l’on recroise ses habituels compagnons de route Matthis Pascaud à la guitare (à nouveau réalisateur de ce bel ouvrage) et Raphaël Chassin à la batterie et aux percussions (paire de pointures que l’on avait vue en novembre dernier aux côtés d’Erik Truffaz),  accompagnés comme en studio du non moins solide Simon Tailleu aux contrebasse et basse.

Des mots et des sonorités

 Dès les toutes premières notes pas de doute, il y a un son magique qui envahit l’amphi et nous chope par le groove nonchalant de Coulemonde, l’une des nombreuses pépites de l’album, où la Gibson va se faire bluesy. Toujours dans l’esprit de ces titres poétiques inspirés d’expressions dialectiques, A Volé extrait de «Tissé» suit, teinté de ce français entendu en Louisiane et porté par les résonances bayou et créole des sonorités instrumentales. Les Mots avec lesquels elle aime jouer et auxquels elle rend hommage avec un titre épononyme («c’est beaux les mots, jamais les mêmes…»), si forts et utiles pour exprimer des sentiments, même en anglais comme dans cette reprise de Don’t think twice de Bob Dylan, une chanson écrite à l’occasion d’une rupture amoureuse, folk-song qui recèle un fond de country et livré ici avec un beau tricot de contrebasse. Des cordes aux graves extrêmes, en contraste de la guitare pinçant à l’inverse les notes les plus aigues, tandis que les balais de Raphaël appliquent une rythmique bien bluesy. Toujours ce même contraste dans les cordes pour Maudire, entre le travail dans l’extrême aigu de la guitare sonnant là comme un piano, et les infra-sons abyssaux de la contrebasse jouée à l’archet. Une étrange ambiance de vieux blues saccadé par un tambour répétitif, où la chanteuse maîtrise à la perfection sa colonne d’air de haut en bas, pour émettre de subtiles vocalises. Mais peu à peu la guitare se fait bien rock sur un tempo boogie-vaudou qui va faire claper l’assistance en cadence pour introduire  Summer of Songs.

 Racines et transmission

On parlait de volatile prêt à plonger (ici dans sa mémoire), voilà Canards nourri de son enfance marseillaise et ces instants de bonheur insouciants partagés avec son père puis son frère à faire du sous-l’eau dans la Grande bleue. A son tour la chanteuse enfourche une guitare acoustique, qu’elle croisera avec celle plus électrisée de Matthis toujours maniée avec finesse et élégance pour Tangabor, ballade néo-folk autour de la détresse, de la résignation et de l’abandon qui trône en ouverture du disque et dont la musique nous berce comme celles des îles, fussent-elles imaginaires. L’eau encore et son immensité à se perdre n’est jamais loin, c’est  A la Mer chanté seule avec la basse, tout en murmures et bourdons venus du gospel et où se glissent en chorale improvisée celles du public à l’unisson. Beau moment de communion, de transmission, de partage de racines, tout cet héritage d’une tradition où l’oralité à véhiculé les mots et les expressions de génération en génération. Tout ce que reflète explicitement le tendre D’où l’on vient l’hiver, où l’on s’assoit dans la cuisine de sa grand-mère Madeleine pour l’écouter délivrer ses mille sagesses, enveloppé par la berceuse jouée à la guitare. Mais si les souvenirs relèvent d’une certaine nostalgie, ils ne versent jamais dans la triste mélancolie chez la lumineuse brunette aux yeux noirs, pétillants comme la rythmique joyeuse d’un Gare où va -encore une de ces expressions assez drolatiques- où il est cette fois question d’oies sauvages (ça n’a pas du arriver depuis Michel Delpech…), qui balance avec la légèreté d’une plume. Un swing guilleret distillé en chorus par le guitariste, tout en douceur comme sur Tissé où Simon passe à la basse électrique.

La notion de temps s’est évaporée dès l’entame de ce concert magnétique et envoûtant qu’on n’aura pas vu filer tant l’emprise est forte, quand arrive en final Pendant que les champs brûlent (qu’on imagine repris à Niagara ?..) dans une version slow hyper lente où la guitare prend les trémolos d’une mandoline, avant un long riff qui, comme la voix de Marion, nous emporte loin. Il faudra attendre le premier rappel  pour entendre De Beaux Dimanches, mais sans la présence de Bertrand Belin avec lequel elle partage ce tendre duo canaille sur le disque, avant de s’envoler cette fois pour de bon sur le blue-folk dépouillé mais pas déplumé de Still a Bird en duo guitare-voix.

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