Dans l’imaginaire collectif depuis le début des années 1920, la contrebasse ne peut plus être dissociée de l’image que l’on se fait généralement de l’orchestre de jazz.
On ne compte plus ceux qui lui ont forgé ses lettres de noblesse en France comme Pierre Michelot, Renaud Garcia-Fons, Pascal Berne, Diego Imbert, Madame Joëlle Leandre, Claude Tchamichian et ailleurs dans le monde: Paul Chambers, Charles Mingus, Ron Carter, Niels-Henning Orsted Pedersen, Stanley Clarke, Charlie Haden, Dave Holland, Scott La Faro et notamment Avishaï Cohen qui parraine l’association « Les nouveaux fabulistes », présidée par Sylvie Fresco, la mère de David Ostromooukhov, jeune contrebassiste décédé à l’age de vingt-trois ans, en hommage duquel elle a créé le prix qui porte le nom de son fils et destiné à récompenser un contrebassiste francophone âgé d’un maximum de trente ans au moment de son inscription, de nationalité française, belge, suisse ou luxembourgeoise.
Pouvaient postuler les contrebassistes présentant des pièces musicales de jazz, en duo, trio ou quartet.
Pour cette année 2024, le jury était présidé par François Gallix, contrebassiste de jazz de renommée internationale, très actif sur la scène rhônalpine et investi dans de multiples projets musicaux.
Et composé de :
- Guillaume Angers : auparavant directeur musical du Château Rouge à Annemasse, soutien du tremplin JazzContreBand dont Jazz à Vienne est partenaire depuis de nombreuses années, directeur artistique de ce prestigieux festival musical depuis 2023.
- Alexis Burlot : directeur et programmateur du Solar à Saint-Étienne, qui chemine entre le jazz, les musiques improvisées et actuelles plus largement, en conservant un intérêt marqué pour les arts de la rue.
- Ludwig Laisné : président du Hot Club de Lyon, ingénieur du son et pianiste, qui enseigne l’éducation musicale et assume la fonction de chef de chœur à l’Education Nationale.
- Claire Rouet : coordinatrice et programmatrice de La Baie des Singes à Cournon d’Auvergne qui s’engage auprès des artistes du jazz et des musiques improvisées de son territoire, en accompagnant la création et la promotion de leurs œuvres.
- Ellinoa : vocaliste et compositrice prolifique, qui écrit pour tous ensembles de la petite à la grande formation, dans des esthétiques à la croisée entre jazz, musiques improvisées, folk, rock, musique de chambre…
Je dois admettre que j’ai été surpris par le niveau extrêmement élevé des trois prétendants dotés déjà d’une très grande maturité artistique et qui devaient se produire au sein de leur formation respective durant environ une demi-heure avec un passage obligé par l’interprétation du standard Softly as in a morning sunrise (composé par Sigmund Romberg en 1928) .
Il y eut bien sûr un classement mais les trois musiciens, présélectionnés par :
Olivier Babaz : contrebassiste et compositeur, très présent sur la scène du jazz québécois et des musiques créatives au Canada ;Pascal Buensoz : secrétaire général de JAZZ(s)RA, membre des conseils d’administration du Centre International des Musiques Nomades, du Festival Jazz à Vienne et du tout nouveau club « Le Quartier Latin à Saint Romain » ; François Jalbert : guitariste, compositeur et réalisateur montréalais, très présent sur les scènes canadiennes et nord-américaines; Chris Jennings : contrebassiste canadien installé à Paris depuis 2002 s’etant fait connaître en jouant aux côtés de Dhafer Youssef et Nguyên Lê,
Ils touchèrent la ligne la ligne d’arrivée dans un mouchoir de poche.
C’est Simon Desbiolles qui décrocha la troisième place au sein de son trio Quartz, avec Jean Saint Loubert Bié (piano) et Guillaume Jaboulay (batterie) nous entrainant sur un chemin musical unique, explorant les frontières entre musique classique et jazz imprégné de nombreuses influences telles que Keith Jarrett, Brad Mehldau, Avishai Cohen ou même Bach pour un jazz qui expérimente et interpelle, tant par sa variété que par son écriture soignée.
Matis Regnault s’empara de la deuxième place avec brio, soutenu par le Antoine Spranger Quartet, d’origine allemande avec Antoine Spranger au piano,Tobias Frohnhöfer à la batterie, complété par Ludovic Ernault au saxophone avec un répertoire écrit par l’ensemble des musiciens et aux couleurs marquées par Frédéric Chopin et Brad Mehldau dont l’interprétation nous a touché par la sincérité et l’intensité de son interplay.
Et c’est Simon Torunczyk qui a coiffé tout le monde sur le poteau, faisant preuve d’une technique éblouissante et très appréciée par les « pros » présents dans la salle.
Né en 2002 à Paris, Simon Torunczyk commence l’étude de la contrebasse classique à cinq ans au conservatoire de La Courneuve dans la classe de Jean-Christophe Deleforge. Par la suite, il obtient son Diplôme d’Études Musicales (DEM) au Conservatoire à rayonnement régional (CRR) de Paris en 2019, puis se perfectionne au Conservatoire National Supérieur (CNSM) de Paris et au Conservatorium Van Amsterdam.
Passionné d’orchestre, il obtient le second prix lors du Concours de Cordes d’Epernay de 2022. Il joue dans l’Orchestre Philharmonique de Radio France depuis septembre 2023.
Parallèlement, Simon suit un enseignement jazz, d’abord au CRR de Paris (DEM obtenu en 2020), puis au CNSM de Paris, où il étudie actuellement en licence.
Dans le cadre du concours, il présente le Simon Torunczyk Group, quartet pour lequel il compose, avec trois artistes aux univers et horizons différents, tous issus du conservatoire de Paris : Jérémie Lucchese (saxophone), Thomas Gaucher (guitare électrique) et Paul Lefèvre (batterie). Avec une écriture complexe mais aux lignes épurées, ses compositions originales puisent leurs influences dans un jazz moderne, d’Alex Sipiagin à Gérald Clayton, tout en étant également ancrées dans un héritage plus traditionnel. Par leurs personnalités propres et leurs improvisations uniques, les membres du groupe viennent parfaire chaque morceau.
Un panorama très édifiant et époustouflant sur le niveau technique de la relève émergeant dans le paysage du jazz européen.