02/04/2024 – Conférence « Moondog à travers le vingtième siècle » au Périscope

02/04/2024 – Conférence « Moondog à travers le vingtième siècle » au Périscope

La formule de la conférence musicale est idéale pour évoquer la vie d’un musicien. Mais avec en plus de la conférence un récital, c’est parfait pour parcourir la biographie et l’œuvre du Viking de la 6ème avenue. Amaury Cornut est le biographe de Moondog et l’auteur du livre éponyme qui retrace la vie de ce génial compositeur. Il est accompagné pour cette soirée par le pianiste François Mardirossian. Le musicien va d’abord illustrer les propos de l’auteur par des extraits musicaux puis interpréter un récital. Nous écoutons également des enregistrements originaux du compositeur américain.

Amaury Cornut base sa conférence sur son livre. Elle suit le déroulé de celui-ci et le récit de la vie du musicien. Le texte est enrichi par la musique et la présentation spontanée et humoristique de l’auteur. Il suit les grandes étapes de la vie de Louis Thomas Hardin qui prit plus tard le pseudonyme de Moondog. Il propose en introduction l’écoute de Bird’s Laments, le célèbre morceau composé en hommage à Charlie Parker qui a été utilisé à de nombreuses reprises comme générique et qui a aussi été samplé. Ceci, afin que les auditeurs qui ne connaissent pas Moondog se rendent compte qu’ils connaissent au moins un de ses titres !

Chronologiquement, la conférence commence par la jeunesse de Moondog qui est né en 1916. Cette période permet de comprendre son éducation par son père Pasteur qui l’emmène dans les tribus amérindiennes où il découvre la pulsation du rythme de leur musique et sa mère professeur d’orgue. Un accident à l’adolescence le rend aveugle et c’est dans des écoles pour non-voyants qu’il apprendra la musique avec un apprentissage académique. Il se rend à New-York une première fois en 1943, où il suivra pendant trois ans les répétitions de l’orchestre Philarmonique de New-York. Cela constitue sa formation à la symphonie et son intérêt pour les compositeurs allemands : Jean-Sébastien Bach, Mozart et Beethoven notamment. Il part vivre ensuite dans une tribu amérindienne puis revient à New-York. C’est un « beatnik » où un clochard céleste de la Beat Generation avant l’heure. Il est sans domicile fixe et vit et joue sa musique dans la rue. Il commence ses premiers enregistrements au début des années cinquante et s’attribue le pseudonyme de Moondog. C’est dans les années soixante qu’on lui donne le surnom de Viking de la 6ème avenue. Forte tête, un peu mégalomane et très excentrique comme le définit Amaury Cornut, il refuse l’assimilation que l’on fait de lui à Jésus Christ à cause de son visage et de sa barbe. Pour s’en éloigner il s’habille comme un viking. Dans les années quatre-vingt il se rend en Allemagne pour une série de concerts à Francfort et décide de rester et de ne pas rentrer aux Etats-Unis. Il redémarre sa vie à zéro dans un pays dont il ne connaît pas la langue, où il ne connait personne et avec en plus sa cécité ! Il est prit en charge par des personnes qui s’occupent de lui, organisent des concerts et lui permettent de composer. Il se produit dans de nombreux pays européens dont l’Allemagne, la France, l’Angleterre et la Suède. Il décède à Munster en Allemagne en 1999.

Le titre de la conférence : « Moondog à travers le 20ème siècle » prend tout son sens lorsque les illustrations musicales nous éclairent sur les influences du compositeur. Depuis le Ragtime de l’époque de son enfance à la pop musique, en passant par musique symphonique, les rythmes traditionnels des Indiens d’Amérique et le jazz, le musicien a tenté une synthèse qui couvre le siècle en puisant même au-delà. Les démonstrations musicales d’Amaury Cornut à la Trimba, et François Mardirossian au piano nous font prendre conscience de la complexité des rythmes impairs choisis par le compositeur. La Trimba est un instrument à percussion créé par Moondog parmi les multiples instruments qu’il a inventé. Il en existe plusieurs exemplaires en plus de l’original, Amaury Cornut en a fait construire un pour ses conférences. Le choix des rythmes impairs n’est pas du tout anodin car il sera le lien de son métissage musical entre la musique classique, la musique amérindienne, la pop et le jazz. Cette singularité ne permet pas à Moondog d’être comprit et considéré comme un grand compositeur de musique symphonique, ce qui sera la recherche de toute sa vie. Sa musique semble légère et surtout inclassable, alors qu’elle est sophistiqué et précise. En tant que grand spécialiste de Bach, il connait et maîtrise le contrepoint. Il a également assimilé la musique de la renaissance et la musique modale. Il compose des canons, des fugues, des chaconnes et des symphonies…Ses compositions se comptent par dizaines et par centaines ! Il défit la performance de Mozart qui a composé ses trois dernières symphonies en six semaines. Moondog décide de composer ses trois premières symphonies en six semaines également, à l’occasion d’un séjour à Vienne durant l’été 1983 !

Cette traversée du 20ème siècle dans différents style musicaux permet à Moondog de rencontrer de nombreux musiciens. D’autres viendront à sa rencontre et des artistes qui ne l’ont pas connu reprennent sa musique. A New-York, il côtoie les chefs d’orchestres et musiciens de musique classique comme Artur Rodzinski et Leonard Bernstein. Puis se sont les musiciens de jazz qu’il rencontre. Il se lie d’amitié avec Charlie Parker, Dave Brubeck et Bennie Goodman qui l’aident et contribuent à sa renommée. Il a également rencontré Duke Ellington. Il joue en première partie de Dave Brubeck et Take Five de Paul Desmond est un hommage aux rythmes impairs à cinq temps. Il aura également le soutien Philip Glass et de Steve Reich qui le considère comme le père de la musique répétitive mais celui-ci réfute cette paternité. Ces deux admirateurs sont conscients avec leur connaissances musicales que Moondog a assemblé tous les ingrédients qui lui on permit de créer la musique répétitive avec vingt ans d’avance. Dans le domaine de la pop musique, il est admiré par Bob Dylan, par Janis Joplin qui reprendra la chanson All is loneliness, par Stephan Eicher avec qui il travaille en Europe sur un album et lui permet de jouer au festival Jazz in Montreux. Ainsi que beaucoup d’autres artistes…

En complément des démonstrations musicales, la conférence est aussi illustrée avec des enregistrements. Amaury Cornut en fin connaisseur de la discographie de Moondog nous présente la chronologie des albums et l’évolution de la production musicale du compositeur. Les quatre premiers 78 tours de Moondog, enregistrés en 1950 chez Spanish Music Center, sont le fondement de son œuvre dont on écoute All is Loneliness, puis Utsu et Dogtrot. Ces premiers albums sont des percussions parfois agrémentés d’autres instruments. Les années cinquante à New-York, voient la production de trois albums chez le label de jazz Prestige. Dans les années soixante ce sont deux albums qui sont produit chez Columbia. Nous écoutons de ces périodes Be a Hobo, Good for Goodie (en hommage à Bennie Goodman) et You the Vandal en live, chanté avec sa fille en canon. La période européenne nous amène à écouter des extraits des albums Moondog in Europe, H’art songs et A new sound of an old instrument qui sont différents de sa périodes américaine. Les étapes de la discographie du musicien font l’objet d’une partie très détaillée dans le livre d’Amaury Cornut. La conférence se termine par l’écoute de la captation du dernier concert de Moondog en France qui a eu lieu au festival d’Arles un mois avant la disparition du musicien.

La conférence se poursuit avec plusieurs morceaux interprétés par le duo. Amaury Cornut interprète des rythmiques impaires, lancinantes et complexes à la Trimba et François Mardirossian l’accompagne au piano avec les mélodies épurées de Moondog. On écoute entre autres une Chaconne en 5/8 et Fleur de Lys. Le pianiste poursuit en solo par L’Etude n°6 de Philip Glass qui nous met dans l’ambiance de la musique minimaliste. Il interprète également un canon, un prélude et une fugue pour nous immerger dans la musique baroque. Trois pièces inspirée du jazz, une mazurka inspirée de Chopin, le titre Seahorse et une transcription de Bird’s Lament au piano. La maîtrise académique et la culture musicale variée du pianiste lui permettent de nous faire voyager dans les influences de Moondog pour clôturer cette traversée musicale d’un génie musical du 20ème siècle.

 

Jazzrhonealpes.com était présent aux Nuits de Fourvière le 11 juin 2016 pour l’hommage mémorable à Moondog à l’occasion des cent ans de sa naissance. (Voir ici)

 

Cornut Amaury, Moondog, Editions Le mot et le reste, nouvelle édition parution le 20/04/2017, ISBN : 9782360542932, 144 pages. Voir le site d’Amaury Cornut dédié à Moondog : https://moondog.fr/

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