25/01/2025 – Duplessy et les Violons du monde au Musée des Confluences

25/01/2025 – Duplessy et les Violons du monde au Musée des Confluences

Violes en réunion : que Duplessy…re !

 Après nous avoir successivement saisis par la beauté inouïe -au sens  premier du terme- de ses deux derniers opus dont The Road with You parmi nos gros coups de cœur de l’automne, quel plaisir immense d’entendre enfin en live ce fabuleux road trip sonore, un folklore imaginaire nourri des racines cosmopolites de chacun de ces maîtres des cordes ancestrales. Fastueux voyage sensoriel dans les méandres de leurs confluences, joué dans un musée du même nom où le son requis était extraordinaire. Un sommet de l’onirisme musical où l’on largue la boussole pour se laisser emporter vers l’infini de steppes imaginaires, dans une geste symphonique au lyrisme romantique exacerbé. Un moment rare, une merveille d’émotion(s) !

Au lendemain du voyage entre Nouvelle-Orléans et Afrique proposé par le Skokiaan Brass Band à Bourg-en-Bresse (voir ici), on a pris la direction de Lyon pour un tout autre road trip, en mode enchanteur en compagnie de Mathias Duplessy et ses incroyables Violins of the World. En même temps que je découvrais pour la première fois l’amphi du Musée des Confluences et son acoustique exceptionnelle, c’était enfin l’occasion d’entendre en live cette merveilleuse formation dont les deux derniers albums (sur quatre) ont d’emblée figuré parmi mes best-of, d’abord avec l’éblouissant « Brothers of Strings », puis encore à l’automne dernier avec « The Road with You » tout autant somptueux (voir ici). Un répertoire qui s’inscrit parfaitement dans la programmation Vibrations du Monde proposée par le musée qui fête déjà ses dix ans et s’inscrit désormais parmi les nouvelles scènes lyonnaises qui comptent en matière de «world music» en parallèle à ses expos.

Les Dieux de la Vièle

Quelle belle idée en tout cas d’accueillir le guitariste prodige et compositeur globe-trotter avec ses incroyables frères de cordes aux noms aussi exotiques que le sont les différentes vièles à archet maniées ici (erhu, morin khuur, sarangi, nyckelharpa…) issues de divers pays et cultures. Une véritable quête musicale développée depuis quinze ans, et l’opportunité renouvelée d’y retrouver ses fidèles compagnons d’aventure, l’Indien Sabir Khan (sarangi), le Tunisien Zied Zouari (violon oriental), le Chinois Guo Gan (erhu), le Mongol Mandaakhai Daansuren (morin khuur et voix), le Suédois Aliocha Regnard (nyckelharpa, la vièle suédoise), auxquels s’ajoute pour la première fois la contrebasse du Cubain Damian Nueva qui enrobe chaudement les guitares classique, flamenca ou folk du leader.

Un vaste répertoire de onze titres enregistrés au mythique Château d’Hérouville, autant de compos aux accents tour à tour pop, jazz, cinématographiques ou minimalistes, échevelées ou crépusculaires, instrumentales ou chantées, où toujours s’entremêlent dans une énergique et fraternelle communion des musicalités traditionnelles souvent ancestrales. D’une valse aux effluves japonisantes à un jazz manouche aux accents chinois, en passant par la country-folk américaine revisitée à la sauce symphonique européenne, Duplessy et ses fascinants acolytes -pour certains drapés dans leurs costumes traditionnels-, façonnent un folklore imaginaire nourri du cosmopolitisme de leurs origines et de ses confluences, particulièrement idoine ce soir dans un Musée du même nom  où ils inauguraient leur tournée, au lendemain de quatre jours de résidence de répète en Tunisie.

Les mises au point et autre balances n’empêchent pas les variations sur ces incroyables instruments qui nécessitent d’être souvent et assez longuement ré-accordés, comme ce fût le cas avant l’intro par Mountains. «Mieux vaut guitare que jamais…» comme le dira Mathias dont la guitare, qu’il accompagne de quelques vocaux, émet d’emblée un son d’une grande pureté sur ce vieux titre qu’il se souvient d’avoir d’ailleurs écrit dans notre région, dans les loges du club Satellite à Roanne un soir de concert. Très vite, tous les instrumentistes et leurs voix se joignent à lui, et nous voilà emporté par ce souffle conjoint. De l’onirisme à l’état pur, comme sur le titre éponyme The Road with You sur lequel le leader présente ses six musiciens, et qui nous entraîne vers de grands espaces infinis, mi steppes-mi déserts états-uniens, au son d’une guitare country-blues.

Le voyage dépaysant comme élément nourricier de l’inspiration

L’homme est un créatif instantané vite inspiré par l’environnement naturel du moment, et c’est encore lors d’une tournée il y a quelques années à travers les USA qu’il s’est retrouvé sur une petite île en Alaska, « à faire un concours de chant diphonique avec des phoques» explique le facétieux Mathias qui a composé Alaska en rentrant à Anchorage. Un thème de toute beauté avec une mélodie prenante, mêlant la voix si étrange de Daansuren qui s’apparente au son d’un didgeridoo, à la fougue symphonique des cordes à l’unisson et assénant magistralement leur romantisme exacerbé.

Le temps de refaire quelques accordages et détecter la présence d’un larsen en retour, et voici Let’s meet composé par Sabir Khan avec sa vièle indienne et destiné à lancer une battle d’archets à son compère Zied Zouari au violon oriental. Là encore, une mélodie guillerette qui tient de la B.O. pour ce titre énergique et nerveux où le jeu de guitare est ici flamenco. Une joute entre les cordes arbitrée par le rythme imposé par la contrebasse cubaine.

Qui dit grands espaces physiques comme sonores, dit cavalier mongol, chevauchant à plein vent les steppes arides en totale liberté et communion avec le stupéfiant décor. C’est à lui que Mathias à pensé en composant Tcheren Deyra, profondément mystique où la voix gutturale et caverneuse de Daansuren rappelle cette fois les sonorités métalliques d’une guimbarde. Un climat sonore nourri des sons et bruits de la nature, avant que cette chevauchée très cinématographique ne nous embarque vers une sorte de western asiatique dont Duplessy détient assurément le secret de fabrication.

Sur le même principe, notre talentueux visionnaire a composé Lune dans un train de nuit, inspiré par le paysage défilant sous la pleine lune. Une douce mélodie aux résonances nippones, avant une belle geste d’ensemble, symphonique et empreinte d’une grande élégance, tandis que Mathias chante ses notes en voix de tête, ourlé du tempo rond et chaleureusement boisé de la contrebasse.

Bonne humeur et joie du partage

Si la mélancolie point au détour de telle ou telle «image» au lyrisme puissant, on sent vite la bonne humeur d’un compositeur heureux, à l’instar de ce Good Morning qui pourrait s’inscrire dans la mouvance du célèbre Don’t worry, be happy de Bobby McFerrin, introduit par la contrebasse avant que tout le monde claque des doigts. Sympa et réjouissant, surtout quand on apprend que c’est coincé dans un embouteillage à Canton lors d’une tournée en Chine, que Mathias l’a improvisé en choisissant de chantonner plutôt que de râler !

Comme dans le répertoire de Youn Sun Nah, on retrouve dans ce long road trip étourdissant le très hispanisant Asturias, l’occasion d’un solo de guitare virtuose conjuguant classique et flamenca dans ses descentes de manche, tout en jouant les percussions en frappant la caisse résonante de l’instrument. On traverse alors la Méditerranée pour aborder avec Amara Jara une Afrique fantasmée depuis que son père, qui a beaucoup vécu là-bas, lui a transmis ses souvenirs et ramené de nombreux disques qui ont ouvert l’esprit du jeune normand, avide lui aussi de bourlingue. De là vient en effet son vif intérêt pour les musiques du monde, et la destinée de sa carrière qui l’a conduit longtemps à accompagner de grands chanteurs africains. Ce merveilleux titre est comme une prière qui monte au ciel, dans une incantation aussi puissante que touchante.

Plus dans la lignée de Tcheren Deyra, Mumbay Beach Blues est encore une sorte de cavalcade speedée à l’image des musiques balkaniques, dans un esprit humoristique qui n’empêche pas Sabir Khan d’y être impressionnant. Ce fameux rythme effréné qui donne souvent l’ambiance des dessins animés, comme justement dans Ravioli qui suit dans la joie et la dérision d’un jazz-manouche à la chinoise !  On s’attendrait presque à voir courir Benny Hill en accéléré.. Mais l’on soulignera quand même ici le son fabuleux du erhu joué par Guo Gan, hiératique et majestueux tel un moine dans son habit blanc immaculé, maître d’un instrument qui est une vièle chinoise ancestrale d’apparence rudimentaire mais qui, en rendement et effets, n’a rien à envier au plus élégant et sonnant des violoncelles.

Des cordes qui vont se faire à la fois latines et indorientalisantes pour la Rumba of Strings de clôture, avant que cette belle équipe sous la férule du génial Duplessy nous offre en rappel une ode hommage à Satie. Fin d’un voyage à la portée onirique inouïe, intensément vibratoire et éperdument touchant, tant ce «Road with Nous» en mode live nous aura saisi d’émotion et fait dresser les poils au fil de son déboussolant parcours. Vraiment exceptionnel !

PS : Si toute la famille musicale de Mathias était réunie sur scène, son fils Rehann Duplessy était dans la salle à défaut d’être sur scène, mais on notera qu’il joue sur l’explicite With my Son, l’un des plus beaux bijoux de l’album. En effet, le jeune Rehann (voir la photo avec son paternel dans la galerie) s’il est déjà un géant par sa taille, est un pianiste très prometteur qui fait actuellement ses études au Conservatoire de Lyon. On peut l’entendre par ailleurs se produire certains soirs chez Mademoiselle Simone…

Auteur / autrice