13/05/2025 – Ray Lema & Laurent de Wilde au Théâtre de la Renaissance

13/05/2025 – Ray Lema & Laurent de Wilde au Théâtre de la Renaissance

Il s’agit ce soir au Théâtre de la Renaissance à Oullins du dernier concert de Jazz à Vienne hors-les- murs, avant que nous attaquions dans l’amphithéâtre d’ici à un mois et demi, Jazz à Vienne en plein air pour sa quarante-quatrième édition. C’est donc un concert du festival en partenariat avec le théâtre d’Oullins. Sur scène, deux pianos à queue Steinway & Sons Grand Concert sont positionnés tête-bêche. Ils emplissent l’espace scénique et nous font face de manière imposante. Ce sont deux fois quatre-vingt touches ivoires et ébènes qui vont bientôt être animées par vingt doigts, également ébène et ivoire. Les couvercles des pianos ont été enlevés et l’intérieur des instruments est illuminé par des jeux de lumière.

Cette sobriété scénique accueille deux maestros : Laurent de Wilde et Ray Lema. Le premier, après des études à l’Ecole Normale Supérieure, fait son apprentissage musical à New-York durant dix ans comme sideman puis comme leader. Son parcours de musicien, riche de rencontres et de créations est également complété par l’écriture de livres sur le jazz et la musique, l’animation d’émissions de jazz à la radio et la production musicale avec la création d’un label. Nous l’avions vu avec son projet de jazz électro au festival de jazz de Francheville. Le deuxième, congolais d’origine, commence son apprentissage par la musique classique et l’accompagnement des chants grégoriens alors qu’il s’oriente vers le séminaire. Après de nombreuses collaborations musicales en Afrique, il découvre ensuite le jazz, travaille aux Etats-Unis puis vient en Europe et multiplie les collaborations avec les musiciens de jazz et les chanteurs de variété. On retient la composition de C’est une Garonne de Claude Nougaro que le pianiste à interprété en hommage l’été dernier à Jazz à Vienne ainsi que son duo avec Manu Dibango que nous avions apprécié à Crest Jazz Vocal.

Tandis que Ray Lema est à cour, Laurent de Wilde est à jardin. Sur une inspiration en hommage à Fela Kuti de Ray Lema, Laurent de Wilde lance ce premier morceau. Le titre groove et sonne pop, comme la musique du créateur de l’afrobeat. L’échange de la mélodie et de la rythmique entre les deux pianistes commence et sera permanent tout au long du concert. Quand l’un entame une mélodie, l’autre la reprend dans des tonalités différentes. L’accompagnement de l’un par l’autre est continu et mutuel avec beaucoup de coordination. Les regards des musiciens se croisent régulièrement avec une grande complicité.

Les deux artistes présentent leur duo comme une promenade dans différents styles rythmiques. Les rythmes seront parfois soutenus. Comme pour Wheels, le titre éponyme de leur deuxième album avec des influences qui rappellent le Bop. Le morceau est plus jazz avec du relief dans les enchainements de mélodies. Le voyage musical se poursuit sur le continent africain avec un titre qui évoque la forêt congolaise. Laurent de Wilde le qualifie de « rythme sportif ». De même, sur Poulet Bicyclette, titre évoquant la Côte d’Ivoire le rythme rappelle le stride et le ragtime. Ici, les deux amis se passent la mélodie comme on joue en se passant une balle. Sur l’introduction d’un autre morceau avec un thème enjoué, un décalage d’octave entre le jeu des deux artistes donne de la profondeur à la rythmique. Ray Lema qualifie son partenaire musical « d’espiègle », il dira que leur musique reflète un jeu d’adulte et d’enfant à la fois. Il définit le piano comme une invention occidentale qui grâce aux demi-tons et à l’échelle chromatique permet de tricher avec la nature.

Les rythmes peuvent aussi être doux et calmes. Avec Abyssinight, les notes d’introduction évoquent les pépiements d’oiseaux. Puis les accords entament un dialogue entre la mélodie et le rythme. L’un des pianistes entre avec la mélodie dans la rythmique de l’autre et les rôles s’inversent. Les regards sont à présent soutenus lorsque le thème est relancé. Sur Liane et banian, qui évoque un végétal africain, l’un des pianistes ponctue les phrases musicales de l’autre, et inversement. Parfois l’un commence une phrase musicale que l’autre termine. Avec ces réponses dans l’échange le rythme souligne la mélodie. Avec le titre Fantani, en hommage à la chanteuse malienne Fantani Touré, l’esprit de l’Afrique prend toute sa dimension. Laurent de Wilde modifie l’accordage de son piano pour que la sonorité se rapproche de celle d’un instrument africain comme le Balafon. Cette fois, le relief musical est accentué entre les échanges de mélodies des deux pianos. Cela augmente l’émotion de cette balade.

C’est sur un rappel avec Saka salsa qui mêle à présent la rumba et la salsa, le Congo et le swing Cubain que s’achève notre voyage musical par un dialogue mélodique ensoleillé. Les phrases musicales sont enchevêtrées tout au long du set comme un tissage et un tricotage mélodique. Les harmonies complexes rendent fluide avec beaucoup de finesse et de délicatesse les échanges mélodiques et rythmiques. C’est un dialogue musical direct, sans verbiage, avec un soutien permanent de l’un à l’autre des deux musiciens. Les regards attentifs sont la preuve qu’il existe une véritable écoute réciproque entre ces deux âmes connectées, qui mettent beaucoup de spiritualité dans leur passion musicale.

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