
La Soirée « African Grooves » affichait complet dans le grand théâtre romain de Fourvière pour cette édition des Nuits de Fourvière qui a démarré depuis quelques jours. Elle avait enregistré la défection du légendaire Mulatu Astalke, ce qui portait un coup à l’affiche d’une thématique dont le public est toujours friand. Le groupe congolais de Kinshasa Jupiter & Okwess était là pour combler ce vide.
Mais commençons par le premier groupe de cette nuit placée sous le signe des musiques du monde avec la prestation des Amazones d’Afrique qui, étant sur la route depuis une décennie, foulaient pour la première fois la scène de la rue de l’antiquaille après avoir été découvertes il y a des années à feu le festival A Vaulx jazz. La musique n’a pas un intérêt artistique majeur et les deux instrumentistes (clavier et batteur) qui accompagnent les trois chanteuses ne sont pas captivants et sont plutôt là en mode soutien. Mais l’énergie et la bonne humeur des trois amazones est communicante et leur crédo de défense des femmes est louable et juste. La frontwoman du groupe annonce d’ailleurs aux femmes de la foule « qu’elles sont des reines et que ce sont elles qui ont le pouvoir… ». Une ode à la féminité et à l’énergie des femmes qui toutefois ne transcende pas au niveau musical.
Jupiter Bokonji, « Le général rebelle », comme on a coutume de le nommer dans son pays, et son groupe Jupiter & Okwess avait ensuite la lourde tâche de faire oublier l’absence de Mulatu. Une formation composée de quatre musiciens en plus du chanteur (habillé d’un grand manteau, chapeau, et chemise et pantalon XXL), dont un batteur resté entièrement cagoulé durant tout le set et ambianceur notable puisqu’il mena le public dans des figures imposées au niveau de la danse. De mouvements le chanteur ne fût pas en reste, se déhanchant avec vigueur durant tout le concert. La musique oscilla entre musique traditionnelle congolaise, rock, funk et soul. Entre les chansons supposées engagées sur la terre, sur l’égalité des sexes et les confidences du chanteur sur son enfance dans une école de Berlin Est qu’il devait rejoindre tous les jours alors qu’il habitait Berlin ouest avec son diplomate de père, il n’y eu point de réelles surprises et d’enchantements au niveau musical, et ce fût un peu court pour faire oublier le père de l’Ethio-Jazz…
Mais la soirée pris tout à coup un tour passionnant et original avec l’arrivée sur scène à 22h30 de la tête d’affiche, le groupe de blues Touareg Tinariwen, composé de sept musiciens dont quatre guitaristes, plus un bassiste, un batteur et un chanteur (danseur et guitariste également). Mais tous les membres du groupe chantent également et plusieurs d’entre eux ont interprété en leader certaines chansons : une excellente démonstration d’une formation homogène et soudée qui ne comporte pas de vrai leader et qui est à géométrie variable ; certains membres ne participant pas aux tournées par exemple. On avait hâte de les voir sur scène pour la première fois à Fourvière, mais on avait pu les découvrir en vidéo il y a quelques années lors de l’exposition consacrée aux Touaregs par le Musée des Confluences de Lyon. Et le concert filmé du festival de Jazz à la Villette de septembre 2024 rendait bien compte de leur potentiel et du niveau de séduction de leur musique auprès du public. De déception il n’y eu aucune tant ce groupe et leur musique (appelée assouf qui signifie la solitude, la nostalgie) affichent générosité, authenticité et originalité. Leur alliage musical fait la synthèse entre le blues, le rock et la musique traditionnelle touareg : un vrai bain de fraîcheur et des sons peu entendus. Tinariwen dispose à son actif de neuf albums depuis leur formation officielle en 1982. Le groupe a de plus un engagement politique fort et a même un passé de lutte armée à son actif, puisqu’il a joué un rôle durant la rébellion touareg dans les années 90. Ils se trouvent alors basés dans le sud algérois (le drapeau algérien sera d’ailleurs brandi sur scène vers la fin du concert) et rentrent au Mali les armes à la main et les guitares quand même toujours en bandoulière. Le groupe rejettera ensuite la lutte armée quelques années après et se consacrera définitivement à la diffusion de la musique touarègue. Depuis, ils sillonnent les scènes du monde avec un succès grandissant qui leur permet de recevoir des soutiens de poids comme celui d’un certain Robert Plant de Led Zep qui ira jusqu’à faire le bœuf avec le groupe à Paris au Bataclan en avril 2007. A Fourvière, comme partout dans le monde, le son blues des touaregs électrise et hypnotise le public lassé des productions léchées et calibrées. Avec les hommes du désert on serait plutôt sur du roots pure expression et les habits touareg magnifiques qui les emballent entièrement concourent également encore un peu plus au mystère et à l’aura les entourant. Au final, ce sera 1h40 de bonheur sans rappel mais le public a été largement rassasié par une prestation des plus enthousiasmantes. Dans les derniers morceaux, une guitare sèche fait son apparition sur la scène pour une chanson quasi rapée par un des chanteurs : il s’agit alors du seul moment en demi-teinte moyennement convaincant. Le reste du set fait monter la chaleur dans l’enceinte romaine qui a même pour l’occasion échappé à la pluie : comme une magie qui opère dans le sillage de cette musique miraculeuse et rare, qu’il faut préserver. Il faudrait d’ailleurs pouvoir instaurer la conservation de ces sonorités du bout de la terre, si rares et si authentiques ; ces musiques qui transcendent les genres et qui marquent à jamais les oreilles des spectateurs… Car bien longtemps après la fin du concert, le blues touareg de Tinariwen fera vibrer les cœurs et les âmes.
Pour aller plus loin et pour découvrir le groupe en images : à voir le film documentaire de 2006 du réalisateur Jérémie Reichenbach sur la naissance du groupe « Teshumara, les guitares de la rébellion touareg » (voir ici ).
Les musiciens :
Il est difficile de compéter le line-up du groupe avec précision, sachant que sur scène ses membres ne se sont pas présentés lors du concert, et certains musiciens de ce qui apparait davantage comme un collectif ou un courant musical, participent aux compositions mais e sont pas présents dans les tournées ! On pourra quand même noter que les deux leaders de Tinariwen sont : Ibrahim ag Alhabib (« Abraybone»), et Abdellah ag Alhousseini (« Abdallah »).