
So Amazing !
Comme souvent tributaire de la météo, le festival Cuivres en Dombes s’est replié à l’Espace Bel Air de Châtillon-sur-Chalaronne pour la soirée de clôture de sa vingt-neuvième édition où un public très nombreux s’est d’abord chauffé aux rythmes intenses du Big Funk Brass, avant d’être sous le charme du merveilleux Amazing Keystone Big Band ici en octet avec en invitée la séduisante et talentueuse chanteuse Neima Naouri pour un répertoire dévolu à l’icône hollywoodienne Judy Garland. Entre swing et glamour, classieux toujours.
Depuis son lancement par le corniste Philippe Constant il y a déjà vingt-neuf ans, on a pu mesurer le parcours ascensionnel de cet événement aux débuts modestes, développé depuis sous la direction remarquable de Camille Marchalot, et assis désormais comme un incontournable dans le paysage aindinois. Un attrait particulier reposant sur deux données essentielles, plus-values qui en font sa singulière séduction : un festival consacré spécifiquement à la vaste famille des cuivres dans toutes leurs expressions, et surtout combiné à une offre patrimoniale unique puisqu’il nous ouvre exceptionnellement les portes de nombreux châteaux et autres domaines privés somptueux, nichés dans le secret bucolique de la Dombes, fameux Pays aux Mille Etangs. Avec aussi depuis toujours la couleur du ciel comme épée de Damoclès stagnant sur les scènes plantées dans la verdure des parcs.
Comme encore samedi soir où l’on se réjouissait par avance de retrouver le sublime château de Lapeyrouse pour fêter la clôture de cette vingt-neuvième édition. Une fois encore donc, la menace orageuse aura conduit avec sagesse la dynamique équipe de Cuivres en Dombes à rapatrier toute la logistique à l’Espace Bel-Air de Châtillon-sur Chalaronne. Une salle immense adjacente à l’hippodrome qu’on craint parfois pour sa chaleur et surtout pour le son.
Mais aucun souci de ce côté-là ce soir, dans un espace qui s’est vite rempli, à la satisfaction de la nombreuse équipe de bénévoles qui ont parfaitement œuvré à tous les postes, de la régie aux stands de restauration.
Energique mise en bouche
Programmé depuis dix ans dans de nombreux festivals cuivrés et fort de trois albums, on découvre en ouverture le Big Funk Brass, octet basé à Amiens, mais où l’on reconnaît quelques musiciens régionaux comme le tromboniste bourguignon Simon Girard et ce soir son homologue bressan Lou Lecodey qui remplace le titulaire Tom Caudel pour la première fois. Emmené par le trompettiste Alexandre Herichon, le brass-band entame par l’explicite We gonna Party (all night long…) aux résonances plutôt latinos, avant d’enchaîner sur les attaques plus afrobeat d’Until the Dauwn où se distingue le sax d’Abel Jednak. Le public adhère d’emblée et frappe des mains, tandis que le titre Kanjdy lorgne vers le rap-hip-hop où l’on est impressionné par le gros son de basse produit par les sousaphones conjoints de Lucas Dessaint et Jonas Real. Puis l’intro très percussive de Jesus met en avant les frappeurs Simon Postel à la grosse caisse et Julien Paris aux toms et caisse claire. Des musiciens qui font aussi des chœurs sur ce titre speed et soutenu, propice à un chorus de sax assez free, avant de s’apaiser dans un dialogue entre trompette et trombone.
Le rythme ne faiblit pas jusqu’à The Little Man tiré de leur premier album qui calme le jeu par son tempo alangui et ses chœurs en douceur. Il faut attendre le huitième morceau, le très court MFP, pour entendre vraiment du funk dans ce répertoire sourcé à de nombreux styles, comme encore le hip-hop sur It’s time to dance où la voix du meneur se substitue de manière bluffante aux scratchs de platine. Toujours ronflant, le son des sousaphones enrobe le groove des derniers titres (Don’t waste your Time, Fonky Booty, Hopscotch…), avant un final festif (Go Ahead) où les plus jeunes spectateurs -parmi lesquels les stagiaires de l’Académie- viendront danser devant la scène.
Neima Naouri, a star is born…
On ne présente plus le Amazing Keystone Big Band, la Rolls des big bands hexagonaux où l’on peut notamment compter nombre de pointures de notre région quand ils sont au complet. Ce soir, c’est «seulement» en octet que le merveilleux ensemble nous propose un hommage à Judy Garland, chanteuse et comédienne des années 40-50. Une figure hollywoodienne iconique -elle fut entre autres la Dorothy du Magicien d’Oz-, devenue mère de Liza Minneli, avant de connaître une fin tragique par overdose en 1969, à seulement quarante-sept ans.
Pour reprendre ses chansons inoubliables, le big band s’est adjoint le charme et le talent de Neima Naouri, ving-six ans aujourd’hui, rencontrée il y a deux ans lors d’un concert à la salle Pleyel. Fille d’un couple star du lyrique (le baryton Laurent Naouri et la soprano Nathalie Dessay), Neima a choisi quant à elle le jazz et, si je la découvre pour la première fois en live ce soir, nous avons déjà pu apprécier son feeling vocal remarquable sur le superbe album «Fascinating Rythm(s)» paru à Noël (voir ici) et consacré à George Gershwin, où parmi d’autres chanteurs et chanteuses, elle tient le micro sur quatre titres. Bien sûr, le grand compositeur est inévitable dans le répertoire dévolu à Judy Garland, présenté au fil du concert par le très sympathique et malicieux trompettiste David Enhco.
Passée l’intro au swing très cinématographique, voilà The man that got away tiré de « A Star is Born » et si souvent repris, glamour à souhait où l’on se laisse bercer par la clarinette basse de Pierre Desassis (tout aussi excellent et redoutable de son au sax ténor) et les trompettes bouchées de David et de son éminent collègue Vincent Labarre. Pour The Boy next Door qui revient au swing cuivré, c’est le sax de Balthazar Naturel qui brille en solo tandis que Neima s’envole. Une voix sur laquelle on aurait peut-être mis un poil plus de son, mais qui capte l’attention sur I got Rythm (sur le disque évoqué, il est interprété par Fleur Worku) et sa rythmique intense soutenue par l’incontournable contrebassiste Patrick Maradan et le batteur Romain Sarron, échappé de la tournée de Pascal Obispo qu’il partage avec le pianiste -arrangeur Fred Nardin absent ce soir, mais parfaitement remplacé par Maxime Sanchez.
Gershwin à l’honneur encore avec cet Embraceable You subtilement arrangé par le tromboniste Bastien Ballaz qui y lâche un solo, alors que les saxophonistes ont sorti les flûtes et que la sensuelle Neima stupéfie par les notes qu’elle va décrocher tout en haut dans les aigus. On la sent très à l’aise dans ce type de répertoire qui lui va comme un gant, et ce n’est pas un hasard si elle a déjà collaboré avec sa mère pour des productions dédiées à Broadway comme West Side Story. C’est elle qui a d’ailleurs choisi pour les garçons qui l’entourent le titre facétieux If only I had a Brain drivé par la contrebasse et où ça joue vite, ponctué de solos du batteur et du sax alto Kenny Jeanney.
On succombera ensuite à la douce ballade Moon River offerte en piano-voix, puis l’incontournable Over the Rainbow que Garland chanta très jeune.
Et si It Never Rain conclut le set, dans un montage très comédie musicale où la jeune chanteuse fait montre de beaucoup d’expressivité tant dans ses gestes que dans ses mimiques, il faudra bien deux rappels pour mettre définitivement un terme à cette magnifique soirée, comme à ce 29e festival qui fut une totale réussite. On a déjà hâte de voir ce que nous réservera Cuivres en Dombes l’an prochain pour son trentième anniversaire !