01/10/2025 – Harold Charre à la galerie Ceysson & Bénétière pour le RhinoJazz(s)

01/10/2025 – Harold Charre à la galerie Ceysson & Bénétière pour le RhinoJazz(s)
Après un documentaire sur Herbie Hancock et la prestation d’Armel Dupas, tous deux accueillis par la cinémathèque dans le cadre de « La Journée du piano », le Rhino a ouvert en grand les portes de la nuit avec la venue d’Harold Charre.
On ignorait alors que ce serait pleine lune.
Rembobinons.
Le concert se déroule au fond de la galerie stéphanoise Ceysson & Bénétière. Tout est blanc, hormis, sur les murs, les installations hyper colorées de la plasticienne ORLAN. Des visiteurs du soir s’y baladent, croisant parfois au détour d’une œuvre un homme humble, discret, aimable, souriant. C’est le pianiste Harold Charre qui papote de-ci-de-là, disant qu’il « habite Bordeaux, comme tout bon parisien ». Peu le connaissent alors, sauf celles et ceux qui, en l’église de Cellieu, avaient déjà reçu une première décharge extatique (voir ici). Il est vrai que son parcours de concertiste solo est assez récent, ses créations musicales ayant surtout servi de support aux très nombreuses vidéos d’art qu’il a réalisées et pour lesquelles il a reçu des prix majeurs. Il est donc quelque peu débutant en la matière, mais de moins en moins, jouant régulièrement sur les scènes parisiennes et dans des festivals, tels le Rhino. Entre les deux, on sent d’ailleurs un vrai coup de foudre. Quoi qu’il en soit, la musique, il connaît. Des années de Conservatoire à Lyon puis dans la capitale lui ont marqueté le phrasé.
Le jazz ? Ce sont des découvertes et des influences multiples qui, peu à peu, ont forgé chez lui un jeu ressemblant à … personne. Un zeste de Keith Jarrett peut-être, une respiration harmonique subtile à la Duke. Surtout, dans les tripes, ce qui ne s’explique pas, le blues d’un être, noir ou blanc, qui cherche la lumière. Et c’est ça, ce qu’il va exprimer au fil d’un concert dont il dit au départ qu’il va «exprimer les moments sombres de ce monde ». Alors, c’est dingue, celui que l’on a croisé il y a dix minutes flânant avec bonhomie, se transforme en plusieurs autres personnes. Tiens, il est en chaussettes. Normal, quand on se met debout, pied sous le séant, bougeant non stop et s’abreuvant aux vibrations qu’on génère partout. A la matière qu’on créé. Sur le pupitre d’un piano juché en hauteur, « un régal, ce piano », dira-t-il, on aperçoit quelques papiers. Des partitions? Non, ce sont juste des indices pour les thèmes et les titres, le plus souvent des arrangements de gospels, comme Trouble of the world ou des negro-spirituals, quand on n’y croise pas du Bob Marley. Pour le reste, l’impro est totale. Les notes sont travaillées au cordeau, prenant une ampleur qui gronde ou ruisselant en arpèges limpides.
Main gauche et main droite se partagent les émotions, entre une ligne mélodique virtuose et un ostinato ensorcelant. Pendant ce temps, le musicien se parle on ne sait en quelle langue, vit un film dont il écrit à chaque accord le scénario. On a l’impression d’assister à une naissance, tapie en pleine nature ou au fond d’abysses interminables. On ferme parfois les yeux, c’est mieux pour ne pas se faire happer par cet univers bouillonnant. Carrément physique. Bien sûr, ça ressemble à de la transe, Harold Charre semble ailleurs, les notes sont trop nombreuses, le piano déborde…
Pourtant, il n’y a dans ce cosmos musical rien d’intello, au fond rien de solo. Une bougre d’hypersensibilité et un sacré talent, voilà ce que c’est.
Et pour qui ? Pour le public qui l’ovationne.
C’était effectivement pleine lune et les mystères qui vont avec.

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