Le beau théâtre de Villefranche présentait le 6 novembre un des plus beaux concerts de l’année dans le Rhône avec la venue du trop rare et formidable Avishai Cohen, le trompettiste, en quartet et avec son nouveau projet « Ashes to Gold » (des cendres à l’or). Car contrairement à son homonyme qui fait de la contrebasse et chante et qui a saturé les scènes de tous les festivals de France cet été, le compositeur, trompettiste et flûtiste est très peu programmé dans la Métropole et dans le Rhône, allez savoir pourquoi ? C’est presque un crime d’avoir à s’en passer tant ses prestations sont intimes et puissantes, sensibles et épiques. Donc un grand bravo à la scène caladoise d’avoir réparé cette injustice qui a permis à un public nombreux (seul le balcon du théâtre était un peu clairsemé) de venir écouter cet artiste magnifique avec ce projet inédit et avec ce groupe de rêve, mais jugez plutôt : au piano la délicatesse et le toucher minimaliste de Yonathan Avishai, la batterie du très pertinent et coloriste compagnon de route de Yaron Herman, et vivant également en France depuis plusieurs année (comme Yonathan d’ailleurs) Ziv Ravitz (également photographe à ses heures qui signe la photo du visuel du concert) et à la contrebasse, Barak Mori, qui complète habilement et avec goût cette formation qui colle si bien à l’esthétique du leader et de son propos.
Ashes to gold est un disque sorti en 2024 par ECM, enregistré dans le sud de la France aux studios la Buissonne avec la même équipe de rêve. Le musicien d’origine israélienne de 47 ans répond dans ce projet aux turbulences propres aux temps troublés (il est enregistré en novembre 2023, quelques semaines seulement après le séisme du 07 octobre…), nous convie dans les méandres d’une suite dramatique en cinq parties qui parcourt toute la gamme des émotions- de l’espoir à la dépression en passant par l’indignation et la plus profonde des mélancolies.
Avishai Cohen, vêtu d’un bonnet et d’un trench noir fatigué, ouvre le concert avec le piano crescendo puis la section rythmique arrive doucement. A la fin du premier morceau, le frontman parle assez longuement pour présenter ses acolytes, mais également pour partager sa joie d’être en tournée, de visiter des pays et pouvoir faire de la musique pour unifier les gens, en laissant la violence dans les ténèbres et en allant vers la lumière. Il parle aussi très vite politique, critique le premier ministre israélien et confie qu’il faut un autre type de leader à son peuple, en espérant la paix pour les enfants de Gaza ; une prise de parole pacifique et humaniste à rebours de pas mal de discours ambiants.
Le morceau qui suit démarre à la flute, le batteur effectue un bon nombre de retournements de rythmes. Il a une importance capitale auprès d’Avishai : il porte les enchaînements et les relances, drive le groupe. Le trompettiste cite le standard Round about midnight dans son chorus et amène des passages plus free, avant de revenir à la flûte accompagnée du seul Barak Mori à l’archet. Ce dernier propose en solo un magnifique chorus et la grosse caisse du batteur reprend le souffle, puis c’est au pianiste d’espacer des notes, avec Erik Satie comme modèle. On pense beaucoup durant ce concert et à propos de cette suite écrite par Avishai Cohen au travail et à l’univers du pianiste américain Bill Carothers, qui propose souvent des concepts albums sur l’histoire (celle de la guerre 14-18). C’est un univers similaire à la fois épique et plein de retenue, une musique puissante et évocatrice. Le batteur imprime des couleurs notamment grâce à la présence de ses deux caisses claires, dont les peaux sont accordées à l’opposé, l’une aigue au toucher sec, et celle à sa gauche ; grave et détendue. Le trompettiste n’est pas en reste question effets grâce à l’utilisation de ses pédales wah-wah et de DeLay reliées à son instrument.
Dommage qu’un si beau rendu sonore soit si peu mis en valeur visuellement sur scène pour le spectateur : l’éclairage piteux n’a pas contribué à sublimer la générosité et l’excellence des musiciens ; décidemment il s’agit d’un problème récurrent dans la quasi-totalité de nos salles pour les concerts jazzistiques mais c’est un combat à mener de plus en plus nécessaire, d’autant qu’il est souvent question du vieillissement des publics et de la supposé absence d’attractivité de notre musique préférée pour les plus jeunes. Rappelons une lapalissade, mais un beau concert, un beau spectacle, ce n’est pas qu’un beau son ; la régie lumières devrait avoir une plus grande importance…
Mais revenons à l’essentiel, car l’avant dernier morceau du set est annoncé par Avishai comme étant radicalement différent : le concerto pour piano en sol majeur de Ravel, une pure merveille qui est depuis de nombreuses années au répertoire des concerts du groupe. Le temps se suspend alors et on est saisi par la beauté et l’habileté de l’adaptation qu’en fait le quartet. A la fin du titre les musiciens saluent et remercient le public et l’organisation du concert qui va se terminer sous peu.
Quand les musiciens reviennent sur scène, ils finissent de la manière la plus magistrale la soirée avec un morceau d’une simplicité mélodique qui contraste avec l’émotion qu’elle procure ; The Seventh est un morceau composé par la propre fille d’Avishai Cohen, Amalia, encore adolescente. Il procure un apaisement et surtout d’énormes frissons qui se dressent sur la peau des spectateurs. Nous ne sommes pas près d’oublier de sitôt cette soirée et cette musique qui résonnera longtemps en nous, merci aux artistes de pour nous avoir ainsi envoutés durant quatre-vingt-dix minutes.
Les musiciens :
- Avishai Cohen: trompette, flûte
- Yonathan Avishai: piano
- Barak Mori: contrebasse
- Ziv Ravitz: batterie
