Cette vingt-et-unième « Nuit de tous les Jazz(s) » est peu ordinaire. En effet des travaux de rénovation importants viennent de débuter au Train Théâtre. Alors le Crest Jazz, partenaire de cette « Nuit » depuis ses débuts, s’est proposé de l’héberger temporairement, d’où notre présence ce soir à l’Espace Soubeyran de Crest.
Nous peinons à ne pas nous croire au Crest Jazz vu le nombre de têtes connues que nous croiserons lors de cette soirée foisonnante.
L’inauguration de cette édition est faite par (dans l’ordre de prise de parole) Benoît Vuillon, directeur du Train Théâtre « en exil » ; Jean Caseneuve du Crest Jazz également programmateur au Train Théâtre et enfin Alice Rouffineau, directrice de Jazz Action Valence. Il ne manque que Zebracorde dont le boss joue ce soir sur une autre scène.
Les équipes techniques sont chaleureusement remerciées d’avoir équipé et décoré ces salles ingrates pour permettre d’accueillir le public dans de bonnes conditions.

La P’tite Fanfare de JAV
Valentin Meylan prof de trompette à JAV a monté un atelier « fanfare » qui est devenu La P’Tite Fanfare de JAV.
Dress code de ce soir « costume à bretelles ». Code respecté. Il y a même un sympathique hurluberlu qui porte un véritable Lederhose munichois rare sous nos latitudes (au motif qu’il n’avait pas de bretelles).
Une dizaine de standards sont au programme de ce set apéritif de trois quarts d’heure à commencer par Dinah.
On reconnaîtra entre autres Bourbon street ; Perdido.
Il y aura aussi une composition de Nicolas Serret, prof de batterie à JAV, Stomping liv.
Prestation classique : le thème est exposé en tutti, un ou deux solistes prennent un chorus avant le retour du tutti.
Une formation sympa où les musiciens ne se prennent pas le chou et ont du plaisir à jouer ensemble. Parfait pour « lancer les hostilités » de cette vingt-et-unième Nuit de tous les Jazz(s).
- Olivier: trompette
- Antoine: trombone
- Sara, Aurélien: saxophones altos
- Hélène: sax soprano
- Solenne: clarinette
- Julie: flûte traversière
- Arnaud: sousaphone
- Romain: batterie
Pascal Derathé

JAV Contreband invite Nguyên Lê
Après La p’tite Fanfare de JAV en extérieur, ce qui rappellera peut-être aux plus anciens les fameuses « Jams Défarde » dans la cour de l’Ecole Royannez, qui associaient le plat emblématique de la ville avec de superbes concerts, cette vingt-et-unième édition de la Nuit de tous les Jazz(s) se poursuit avec JAV Contreband qui invite Nguyên Lê à la salle Moulinages. Nous sommes bien à Crest à l’Espace Soubeyran que vous connaissez pour ces concerts du festival l’été. En effet, il s’agit d’une édition hors-les-murs car le Train Théâtre est en travaux de rénovation. Et cela nous donne un avant-goût de festival !
Ce projet est présenté comme un « Big band création ». Pascal Berne son directeur parle de grand ensemble pour ce concert de sortie de disque qui a été enregistré à la Cité de la musique à Romans. A la première écoute, ce grand ensemble va au-delà du big band, il est symphonique ! Car, il y a un grand nombre de musiciens, vingt-cinq, plus l’invité, il y a des compositions musicales à plusieurs mouvements, ces compositions sont assez amples et écrites pour tout l’orchestre. Et bien sûr, l’ensemble est harmonieux.
Le sentiment de puissance et d’amplitude dans les sonorités du grand ensemble est bien présent. Cette assise de musique classique est une constante tout au long du concert. Les cuivres et les bois très nombreux depuis la clarinette et la flûte traversière, en passant par la trompette, le trombone, les saxophones, soprano, alto, ténor et baryton, jusqu’au sousaphone. lls donnent cette puissance à travers les soufflants. A cela s’ajoute la finesse de deux violons et un violoncelle. Tous ces instruments vont porter l’esprit symphonique du concert. Cerise sur la gâteau, une rythmique robuste avec le contrebassiste et directeur de l’ensemble, le batteur qui est aussi à l’aise dans les percussions classiques avec ses mailloches, qu’avec le jazz aux baguettes. Ce denier apporte beaucoup de soutien en maîtrisant plusieurs styles. Plus les claviers et le baryton et le sousaphone qui se joignent à eux par moment.
C’est sur cet ensemble harmonieux et riche en sonorités que le guitariste invité peut poser ses mélodies, ses solos et ses riffs. Il commencera par les airs de ses origines vietnamiennes pour les titres Jorai et Becoming water, puis ponctuellement sur d’autres pièces. Il vient sur les sonorités rock avec des solos qui contrastent avec le grand ensemble et donne de la profondeur à la musique comme sur Onety one ou sur la reprise de la composition de Franck Zappa Watermelon in easter hay. C’est ensuite un solo de guitare jazz qu’il nous propose sur Snow on a flower. Sur Straight Ahead c’est un solo et des riffs funky qu’il nous offre. Avec un accompagnement d’une telle qualité, Nguyên Lê a toutes les possibilités d’expression.
La richesse des variations et les complémentarités musicales se produisent dans les associations d’instruments et les changements de tonalités. Avec une introduction tout en douceur de la flûte traversière et de la clarinette. Lorsque l’ensemble des instruments à vents reprennent un thème en décalage du plus aigu au plus grave, depuis la flûte, les clarinettes et le soprano, puis les trompettes et trombones et enfin les saxophones, alto, ténor puis baryton et sousaphone. Il y a également de l’espace pour les dialogues comme par exemple entre la guitare et la clarinette.
Ce set caractérisé par le raffinement dans les arrangements est un véritable ravissement. Les nombreuses inspirations et ambiances asiatiques, l’énergie du jazz et la dynamique du rock combinés et portés par l’esprit symphonique font de ce projet un grand ensemble harmonieux.
Big band de vingt-cinq musiciens dirigé par Pascal Berne avec comme invité Nguyên Lê (guitare).
Nouvel album : Onety One, Interprète : Jav Contreband invite Nguyên Lê, Editeur : JAZZ ACTION VALENCE, Date de parution : mai 2025, SKU : 5484406, EAN : 3666946010168.
Jean-François Viaud

Etienne Déconfin Trio
À l’heure dite le concert du trio du pianiste Étienne Déconfin débute dans la salle Coloriage. Il y a près de dix ans que nous n’y avions plus vu de concert. Elle sert habituellement de loges lors du Crest Jazz.
Le trio annoncé a été bien chamboulé vu que François Gallix se retrouve à la contrebasse et Valentin Jam à la batterie. Nous aurons d’autres changements de line-up non indiqués dans la soirée.
Étienne Déconfin, jeune homme calme et posé « dans le civil » est transfiguré lorsqu’il pose ses dix doigts sur le clavier. Concentration extrême, grimaces, petits cris et chantonnements pour s’accompagner. Il vit sa (belle) musique, et nous avec.
Le répertoire de ce soir propose surtout des compositions de son cru, d’un jazz résolument moderne et agréable à l’oreille.
Le premier morceau est donc une composition en hommage à l’immense pianiste qui a révolutionné le piano jazz, Bill Evans, tout simplement intitulée Bill.
Suit un double arrangement de Coltrane, Count down, double, car Étienne a arrangé ce qui était déjà un arrangement de Trane. Ça tricote grave. Étienne joue quasiment debout dans un style peu académique mais diablement efficace.
Fläderblomma « Fleur de sureau » en suédois est une ballade.
Issue du songbook une chanson interprétée par Nancy Wilson accompagnée par Cannonball Aderley : The old country. Le swing est bien présent. Le jeu aérien.
Tout au long du set, François Gallix n’est pas avare d’expressions toutes personnelles, il est, lui aussi, complètement investi dans son jeu, mais on le connaît pour ça.
Étrangement, c’est le batteur qui adopte une attitude de sphinx ce qui n’ôte rien à la qualité de son accompagnement.
La fin du set dédiée à Raphaël Nadal Vamos, « nous sommes comme lui, il ne lâche rien sur le terrain » précise Etienne. Ici, il s’agit d’un blues musclé.
Quarante-cinq minutes, c’est décidément trop court quand on se trouve en présence d’un trio d’une telle qualité. On a l’impression d’avoir picoré quelques miettes de leurs talents.
- Etienne Déconfin: piano, compositions, arrangements
- François Gallix: contrebasse
- Valentin Jam: batterie
Pascal Derathé

Knobil
Où l’on retrouve le trio de Louise Knobil découvert l’année passé au Périscope lors du premier Récif festival (voir ici), à Jazz à Vienne (voir ici) et enfin au Crest Jazz (voir ici ) où le trio a été lauréat du concours de Jazz Vocal 2024 .
Un trio surprenant et attachant.
Les tenues à paillettes sont du plus bel effet.
Le set débute avec Lessives. On est dans le bain de suite. Chloé Marcigny joue de ses effets à la clarinette basse.
Louise nous rappelle avec malice que Knobil signifie « qui sent l’ail » en Yiddish et que c’est également son nom de famille !…
Elle prend ensuite le temps de nous rappeler son émoi à l’ouverture d’un pot de pesto industriel lors du confinement. Et donc nous écoutons Pesto, chanson déjantée à souhait. Ce qui est la marque de fabrique du trio.
Ma bulle est une composition plus soft où Vincent Andreae, à la batterie, est bien mis à contribution.
Avec Léa, la contrebassiste nous offre un vertigineux chorus de contrebasse.
Sur la chanson (Sorcières à paillettes) suivante Louise se livre à un exercice périlleux de vocalises qui dialoguent avec la clarinette. Une précision horlogère.
Pour nous quitter, elle évoque toutes sortes de ruptures avec Lampadaires.
Ce trio est clivant . On aime… ou pas. Il y avait encore beaucoup de « smile » sur les visages du public ce soir. Nous on aime !
- Louise Knobil: contrebasse, voix
- Chloé Marsigny: clarinette basse , effets
- Vincent Andreae: batterie
Pascal Derathé

Douar Trio
Changement de salle dans cette vingt- et-unième Nuit de tous les Jazz(s) à Crest. Mais l’esprit de la musique classique avec une ouverture sur les musiques du monde est toujours présent. Après le projet de « JAV Contreband invite Nguyên Lê », cette fois c’est Douar Trio qui nous emmène en promenade musicale vers l’âme de la musique de chambre. Douar, signifie à la fois : « terre en breton et village en arabe », nous précisent les musiciens. Les influences classiques et des musiques du monde se mêlent avec beaucoup d’orientalisme.
La réunion de la clarinette basse, ici avec Pierre Lordet, avec deux instruments de la famille des cordes frottées ; la contrebasse, de Florent Hermet, et le violoncelle de Clément Petit. La contrebasse plus grave, interprète souvent les lignes de basse, tandis que le violoncelle interprète les mélodies avec des notes plus aiguës, proche de la voix. La caisse de résonance du violoncelle est souvent contre le thorax du musicien lorsqu’il est assis.
La richesse de ce groupe vient des influences. Les trois instruments font penser à un trio de musique de chambre. Mais, le jeu en pizzicato du violoncelle colore d’un style oriental certains morceaux. De même, un échange entre la contrebasse et le violoncelle en pizzicato puis à l’archet apporte une touche venant du levant. Plusieurs mélodies d’inspiration orientales sont interprétées. Avec un jeu sur les cordes frappé et un effet de slap sur la hanche de la clarinette basse, c’est le rythme de la danse bretonne que nous retrouvons.
La variété des jeux entre les trois musiciens enrichit également beaucoup leur répertoire. La rythmique de la contrebasse jouée comme une guitare avec des accords et les cordes frottées accentue le style jazz. La clarinette se fait douce sur une ballade sur laquelle le violoncelle ajoute le bruitage des oiseaux qui s’envolent. La puissance du duo rythmique de la contrebasse et de la clarinette basse avec deux tonalités de basse différentes permet de porter la mélodie du violoncelle.
Les musiciens du trio Douar nous ont fait voyager ce soir entre musique classique, musique improvisée et musiques du monde. Ils ont utilisé toute leur palette technique : des cordes frottées, pincées et frappées ainsi que la hanche slappée pour restituer des influences variées. Ils nous suggèrent d’être attentifs à leur actualité avec plusieurs concerts et d’ici cet automne un enregistrement.
- Florent Hermet: contrebasse, composition
- Pierre Lordet: clarinette basse, composition
- Clément Petit: violoncelle
Jean-François Viaud

Fidel Fourneyron « Bengue »
Retour à la salle des Moulinages pour le concert final de cette vingt-et-unième Nuit de tous les Jazz(s) « hors-les-murs » du Train Théâtre et accueilli par l’espace Soubeyran de Crest. C’est le projet « Bengue » qui a pour ambition de mettre en avant le thème de l’exil de la diaspora africaine et de proposer des influences jazz. Fidel Fourneyron, tromboniste invité d’honneur de cette soirée, est l’instigateur de ce projet.
La musique est très rythmée avec le clavier et la contrebasse pour les instruments occidentaux et les tambours et balafons pour les instruments africains. Le trombone et le violon jouent les mélodies et se joignent à la rythmique. Cynthia Abraham, complète l’ambiance africaine avec quelques percussions additionnelles et conte ce voyage africain avec sa voix douce tout au long des chansons. Le groupe est atypique avec un assemblage de sonorités peu habituelles ensemble qui sont très agréables à découvrir.
Les chansons évoquent les scènes de la vie africaine comme Kotiko Koko, par exemple, qui est une comptine congolaise pour apprendre à marcher. La voix de la chanteuse utilise souvent les onomatopées qui complètent les tambours. Sur Ho’O Lo, composé par le chanteur camerounais Blick Bassy, la mélodie de la ballade est interprétée par le piano, le violon et le trombone, tandis que la rythmique est assurée par les tambours et la contrebasse. L’Afrique est exprimée avec toute sa puissance lorsque les deux sœurs, Mélissa et Ophélia Hié, sont aux percussions avec le tromboniste. Cela fait trois tambours qui entrent dans la transe africaine.
Sur le titre Gobi, ce qui signifie les lames de balafons, les deux sœurs interprètent sur cet instrument accompagné par le clavier un air de danse qui groove comme un jam. Pour finir avec un morceau dansant les tambours et la contrebasse soutiennent une mélodie du violon jouée en pizzicato comme sur une guitare. Le chant monte comme une clameur pour finir à l’unisson avec les deux tambours.
Ce concert final pour cette soirée est festif et dansant, il nous a apporté le soleil de l’été pour annoncer les festivals. Il mêle le jazz et les influences panafricaines, thème chèr à Manu Dibango. C’est aussi un rappel avec le concert de ce soir, que le jazz puise beaucoup de ses racines sur le continent africain.
Jean-François Viaud