01/07/2025 – Dee Dee Bridgewater au Théâtre Antique

01/07/2025 – Dee Dee Bridgewater au Théâtre Antique

« Bonjour Vienne, bonjour Vienne…à la maison encore une fois ! Merci beaucoup ». C’est avec ces mots criés avec sincérité que Dee Dee Bridgewater fait son entrée sur la scène du Théâtre Antique. Nous l’avions vu ici même avec plaisir il y a deux ans avec l’Amazing Keystone Big Band et c’est déjà votre serviteur qui avait rendu compte du concert. Avec un long discours de présentation, elle introduit son set, accompagnée par le groove des musiciennes de son groupe We Exist. Avec Carmen Staaf au piano et aux claviers, Rosa Brunello à la basse électrique et à la contrebasse et Shirazette Tinnin à la batterie. Le nom du groupe fait référence à l’album de Max Roach et d’Abbey Lincoln, We Insist ! Son discours est comme son répertoire : politique, social, civique. La chanteuse ne manquera pas de distiller des messages tout au long de son concert. Et, elle commence fort par : « C’est de la m**de et ça vient de chez moi » en allusion à la politique actuelle des Etats-Unis. Elle précise que We Exist est un groupe de femmes pour les femmes, élargi au peuple noir, puis au peuple tout entier. C’est la contestation au sens humaniste qui est prônée ce soir.

 

Les musiciennes sont très aguerries et maîtrisent plusieurs styles musicaux qui vont être convoqués ce soir. Du jazz et du blues bien sûr, jusqu’au rock en passant par des passages Free-jazz. Mais surtout, une ambiance musicale gospel comme une constante pour accompagner le répertoire très Protest-songs de reprises. C’est la pianiste et directrice musicale du projet, Carmen Staaf, qui soutient la voix au piano et qui donne une couleur musicale d’orgue avec ses claviers. On retrouve cela dans The Danger Zone de Ray Charles, le Genius mêlait avec dextérité le gospel et le blues, c’était sa marque de fabrique d’assembler la musique de Dieu et celle du diable. Mais aussi dans la reprise de Mississippi Goddam de Nina Simone qui est devenue un hymne pour le mouvement des droits civiques et qui était la chanson préférée de Martin Luther King. Ce morceau est interprété avec beaucoup d’émotion. Sur I Wish I Knew How It Would Feel to Be Free de Billy Taylor, avec qui la chanteuse a travaillé et à qui elle rend hommage, le piano accompagne la voix comme dans une église. Sur un solo d’orgue la voix emprunte le style des preachers. L’orgue accompagne la voix espiègle, revendicative et provocatrice de la chanteuse. Cela est flagrant avec le scat caractéristique de Dee Dee Bridgewater qui est encore plus engagé qu’à son habitude pour ce répertoire.

Très loquace entre chaque chanson, elle évoque beaucoup de souvenirs et de personnes. Elle parle avec émotion du producteur Jean-Philippe Allard, disparu il y a un an, qui a signé de nombreux artistes dans le jazz et la chanson et notamment Abbey Lincoln et elle-même. Elle cite Monty Alexander, qui a assuré la première partie de la soirée, avec qui elle a commencé sa carrière à New York. On aurait aimé un duo ce soir à Vienne !

A la batterie, Shirazette Tinnin, tient un rythme énergique qui soutient la voix et tout l’édifice musical de la soirée. Comme sur la reprise de I Wish I Knew How It Would Feel to Be Free de Billy Taylor. Parfois à contretemps pour donner de la profondeur en duo avec la basse électrique sur People Make the World Go Round de Thom Bell et Linda Creed. Mais elle sait aussi se faire douce avec un rythme exécuté aux balais sur la ballade Throw It Away, ainsi que sur le blues The World Is Falling Down. Ou encore en proposant un rythme dansant pour And It’s Supposed to Be Love. Ces trois morceaux sont de la grande chanteuse et activiste Abbey Lincoln qui a vécu et relancé sa carrière en France et que Dee Dee Bridgewater a connu. Elle tient à lui rendre un hommage particulier. Pour la reprise de Gotta Serve Somebody, de Bob Dylan, la batteuse se rapproche des sonorités de percussions africaines avec un jeu avec les mains sur les peaux des tambours dans une longue improvisation.

Sur ce même titre de Bob Dylan un solo de basse électrique donne un aspect folk et rock. Elle donne un rythme moderne comme sur People Make the World Go Round que la musicienne interprète en dansant. C’est avec un long solo improvisé, swing et mélodique à la contrebasse qu’elle réalise l’introduction de l’hommage à Roberta Flack, avec le morceau Tryin’ Times de Donny Hathaway et Leroy Hutson. Il flotte un air de blues et de free jazz sur cette interprétation de ce standard qui évoque une émeute dans le ghetto ! Rosa Brunello va alterner l’accompagnement classique à la contrebasse et l’accompagnement moderne à la basse électrique. C’est sur un rythme rock en duo avec le jeu de la batterie qu’elle propulse Trying to make it real de Les McCann qui clôture le show dans une ambiance de chorale gospel sur une standing ovation du théâtre antique ! Toujours à la basse électrique, elle met un style plus soul au service de l’interprétation de Feeling Good, de Anthony Newley et Leslie Bricusse.

Pour ce final en apothéose, la chanteuse revient sur scène pieds nus et accompagnée de son chien. Quand Dee Dee Bridgewater nous dit qu’à Vienne, elle est à la maison ! Elle remercie toute l’équipe de Jazz à Vienne et notamment le fondateur Jean-Paul Bouteiller et Jean-Pierre Vignola le programmateur, elle nous exhorte de prendre soin de nous et fait le souhait : « You don’t to be like America ». Avec la situation géopolitique mondiale actuelle, les guerres en cours, les tensions diverses et variées ce concert est porteur de plein d’espoir. Cela fait beaucoup de bien que Dee Dee Bridgewater nous rappelle les standards du mouvement des droits civiques et des  Protest-songs. C’est avec engagement, détermination, enthousiasme, parfois avec de la rage, très souvent le poing levé, mais toujours avec le sourire qu’elle interprète ce répertoire qui lui tient à cœur !

Auteurs/autrices