02/07/2025 – Soirée orientale : Arooj Aftab / Rabih Abou-Khalil / Dhafer Youssef au Théâtre Antique

02/07/2025 – Soirée orientale : Arooj Aftab / Rabih Abou-Khalil / Dhafer Youssef au Théâtre Antique

La soirée du 02 juillet estampillée « Jazz oriental » proposait trois concerts (c’est beaucoup mais nous y reviendrons), avec deux stars incontestées du oud, Rabih Abou-Khalil et Dhafer Youssef et une découverte en la personne de la chanteuse Pakistanaise Arooj Aftab, qui n’a pas vraiment marqué l’essai de son premier passage à Vienne.

Lorsqu’elle prend la scène vêtue d’une redingote violette improbable, on se dit que la musique sera sans doute d’un meilleur goût, et que même si elle propose un mélange d’acoustique et d’électronique, et qu’elle a décroché de nombreux prix dont des nominations aux Grammy Awards (excusez du peu) pour deux de ses albums précédents, et que l’ex président des États-Unis (elle réside à Brooklyn) l’a intégré à sa playlist en 2021, il n’en demeure pas moins que sa prestation sonore n’a pas été à la hauteur des attentes de la rumeur qui la précédait…Faute à un set en retrait, au cours duquel elle a adopté une attitude de star un peu hautaine ( sa bouteille de vin posée sur un guéridon qu’elle allait visiter régulièrement n’était pas du meilleur effet). Mais soyons honnêtes, côté boisson, elle a fait profiter à quelques spectateurs des premiers rangs d’une tournée de bière de son « Beer Boy » ! Côté orientation musicale son crédo pour la conception se définit comme « l’âme mondiale » (rien de plus creux), qui a conduit surtout à demeurer un peu sur sa faim sachant que le son certes plutôt « Chill » et reposant faisait surtout penser à celle de Nora Jones : affichant quelques facilités sans aucune prise de risque créative et scénique.

Personne n’a même eu le temps d’apprécier réellement la venue d’une amie violoniste d’origine iranienne habitant l’hexagone qui aura fait un très fugace et vite oublié passage à ses côtés… Dommage cela aurait pu être un beau moment. Espérons que l’écoute de son dernier opus en date (qu’elle n’avait même pas sur place à faire dédicacer au public, comble d’une certaine désinvolture), Night Reign qui symbolise sa passion pour la composition nocturne, pourra rattraper ce concert en demi-teinte et rendre justice à sa voix et à son univers qui méritent d’être davantage mis en valeur.


Le second concert permettait au public viennois de revoir un des poètes de l’oud et sans doute le plus facétieux d’entre eux, Rabih Abou-Khalil. Il présentait pour l’occasion son projet qui tournait déjà depuis un moment dans les festivals, « Le souffle des Cordes » lui permettant de mettre en valeur deux musiciens polonais au violon, Mateusz Smoczynski et au violoncelle Krystof Lenczowski. La formation était complétée par son fidèle batteur/ percussionniste américain Jarrod Cagwin. Au début du second morceau, il présente les trois virtuoses comme il se doit avec des traits d’humour. Puis, le oudiste devait se faire plus grave avec la présentation du titre suivant qui est dédié aux enfants de Gaza. Puis Rabih annonce une chanson d’amour dédiée à « une femme spéciale » qu’il a intitulé Si tu me quittes il faut que j’en trouve une autre et cela fera beaucoup de travail ! Puis on continuera sur la veine des titres autobiographico-loufoques avec un long morceau pour ses enfants qu’il annonce « détester », et d’expliquer qu’il a horreur qu’ils lui envoient sans arrêt des photos de leurs plats (et le morceau de s’appeler Don’t send me pictures of your food). On passe toujours de bons moments entre rires et émotions avec ce précurseur des voyages entre Orient (son Liban natal) et Occident. A la recherche du bon titre, le virtuose du oud n’a pas terminé de nous surprendre puisqu’un des derniers morceaux se nomme Rabih Abou-Kabou du nom d’une lettre qu’il a reçu un jour, et ne sachant pas comment appeler sa nouvelle composition…il la désigna ainsi. Durant la moitié du concert, l’orage se mit à gronder et la pluie à descendre sur l’étouffante chaleur du Théâtre antique, mais cela n’eut cependant aucune conséquence néfaste sur la suite du set avec un public captivé par cet artiste si attachant et inspirant.

 

Les musiciens :

  • Rabih Abou-Khalil: oud :
  • Mateusz Smoczynski: violon
  • Krystof Lenczowski: violoncelle
  • Jarrod Cagwin: batterie, percussions

Pour clore cette belle soirée de belles musiques entre World Oriental et jazz contemporain, quoi de mieux que d’accueillir le grand Dhafer Youssef ; véritable explorateur sonore au oud si puissant et à la voix aigüe si reconnaissable qui présentait le répertoire de son nouvel album en exclusivité (sortie à l’automne prochain et qui risque de briller avec la participation d’invités de renom). A la tête d’un formidable quintet dont la cohésion et l’inventivité sautaient aux yeux dès les premières notes ; Dhafer en combinaison bleue et vêtu de son éternel chapeau et de ses lunettes de soleil, rayonnait et impulsait au milieu de ses exceptionnels complices. Il se plaçait d’emblée au milieu de ceux-ci aussi fréquemment qu’en face du public, afin de les orienter, les mettre en valeur, les stimuler… Il aura été à la fois chef d’orchestre, manageur d’énergie, grand organisateur de la scène et des prises de paroles musicales par son groupe. Sa relation harmonieuse et complice avec le pianiste madrilène Daniel Garcia, aussi doué en solo ou en appoint rythmique était un régal : se répondant note après note, parfois en mode joute ou en mode passage de témoin, leur duo d’introduction de plusieurs titres devait se révéler de pures merveilles. Ce duo, c’est bel et bien le cœur du réacteur de cette « dream-team » qui alterne jazz rock musclé et puissant avec des temps de douceur et de sensibilité des plus majestueux, dans un élan de beauté quasi divine lorsque le oudiste/chanteur se mettait à charmer le théâtre antique avec sa voix cristalline haut perchée matinée d’inspiration soufie également parfois quasi tibétaine. Il faut dire que les effets de réverbération sont bien présents pour mettre en exergue le chant, mais pareillement pour donner des effets à la trompette (remarquable Marion Rom et sa trompette courbée) et le piano, comme autant d’échos célestes. Le quintet fera découvrir de magnifiques morceaux de ce nouvel album à l’image de ce To Herbie dédié à Hancock (Dhafer confie que cette rencontre « a changé sa vie »), qui fait d’ailleurs partie des sidemen de luxe du nouveau projet.

Dhafer prend ensuite la parole pour parler de la Palestine et de Gaza dans un long plaidoyer Pro-domo (« nous sommes tous des palestiniens non ? »). Puis il dédicace le morceau qui suit à sa femme, « la personne la plus importante de ma vie », présente ce soir au concert ; titre qui figurera également sur le nouvel opus du musicien tunisien. Dhafer a même réussi avec sa magie à éloigner la pluie dès le début du concert. Il avait aussi une envie généreuse de jouer longtemps, mais il va déplorer le départ des spectateurs quittant sans beaucoup de politesse le théâtre antique au compte-goutte. Il faut dire que la soirée aura été trop longue avec trois concerts (de grâce il faut que l’équipe de programmation du festival prenne en compte cette remarque essentielle, d’autant plus s’agissant d’un jour de semaine !) et que in fine la tête d’affiche puisse ne pas être perturbée dans sa prestation au-delà d’un timing rendu trop serré par la mutiplication des concerts et par une fermeture du Théâtre programmée…Et ce qui devait arriver arriva : Dhafer Youssef que son lyrisme emportait ne pu que constater que les lumières du théâtre antiques étaient rallumées au moment de son rappel. Il tenta d’insister pour que les techniciens les éteignit pour prolonger le concert mais en vain… Le oudiste courroucé aura pris la poudre d’escampette et le concert de finir cut sur un chorus de batterie, avec tous les autres musiciens quittant la scène de manière impromptue…Peut-être qu’une partie du public n’a pas saisi ce qui se tramait et a identifié Dhafer comme étant une diva trop capricieuse…On peut se réconforter en imaginant revoir ce quintet de rêve à d’autres occasions dans un futur proche mais surtout, on trépignera en attendant d’écouter ce nouvel album, rempli de promesses de plaisirs sonores et de frissons garantis à l’image de ce que fût ce concert de début juillet aux parfums d’orient inoubliables.

 

Les musiciens :

  • Dhafer Youssef : oud, voix
  • Daniel Garcia: piano, claviers
  • Mario Rom : trompette : 
  • Swaéli M’Bappé: basse électrique 
  • Tao- Ehrlich: batterie

 

Auteurs/autrices