04/07/2025 – Kamazi Washington « Le géant s’est réveillé » au Théâtre Antique

04/07/2025 – Kamazi Washington « Le géant s’est réveillé » au Théâtre Antique

Kamasi Washington / Crayon noir & Posca sur Kraft.

Figé dans son mouvement, le colosse me regarde intensément. Je me sens minuscule. Perché sur un cheval d’ocre, c’est une montagne de muscles hypertrophiés, marmoréen et, ne serait la fixité de ses yeux, je le croirais vivant tant sa peau est frémissante, gardant la mémoire du geste qui l’a pétrie. Au sol, tout autour de lui, les protagonistes de la bataille de Little Big Horn(1) s’étripent, tombent, agonisent dans une orgie de chair, chevaux et cavaliers. Je découvre l’œuvre du sculpteur sénégalais Ousmane Sow(2), la puissance de ces hommes debout, à des millénaires de ce que je savais de la sculpture africaine ou, du moins, de ce qu’en a véhiculé l’Europe coloniale. Le géant endormi s’est réveillé.

Kamasi Washington fait partie des ambassadeurs d’un nouveau jazz, ou plutôt d’un pourfendeur du jazz des colons, ces esthètes de la Grande Pomme(3) qui ont gentrisé le style musical en le séparant de sa partie originale la plus vivante, le corps et la danse. La plus populaire aussi. Évidemment, il risque d’effrayer les gardiens d’un jazz élitiste, celui qui s’écoute en dégustant un des merveilleux vins qui font la fierté de l’espace VIP, mais il faut se laisser plonger dans son incroyable maelström sonore, irradié par une rythmique omniprésente, pour comprendre à quel point il ouvre un chemin salvateur. En génial homme-orchestre, il convoque les influences hip-hop, électro, rap, soul, funk, gospel même, tout ce qui peut rapprocher d’un public populaire, le seul qui puisse, selon lui, sauver le jazz de sa mortifère colonisation. On pourrait craindre l’infâme brouet, mais Kamasi a le sens de l’orchestre, installer le thème, faire monter l’intensité, veiller à la circulation du chant qui est toujours à la base de ses compositions. Parfois, il se lance dans un incroyable et psychédélique solo, histoire de rappeler le merveilleux saxophoniste qu’il est, mais toujours on revient au cœur de l’orchestre : unissons, groove infernal de la basse, nappes électro des claviers ou des machines et, dans des instants précieux, la place toute simple du piano, pour rappeler qu’il sait faire de la musique pour vieux. Vieux, mais jamais ringard ! Musique sidérale(4), vêtements d’un ethno-futurisme assumé, Kamasi Washington semble comme ancré dans les pierres du théâtre gallo-romain, un arbre millénaire, une montagne toujours jeune, un rocher fertile, un de ces hommes debout, les guerriers d’Ousmane Sow qui résistent, encore et toujours, à l’envahisseur. Sa potion magique ? Un corps qui danse de l’intérieur.

 

  1. Épisode célèbre de la bataille des Black Hills (1876) qui vit la victoire des Sioux et Cheyennes sur les Américains de Georges A.Custer
  2. Artiste sculpteur sénégalais (1935-2016). Voir son œuvre la Bataille de Little Big Horn
  3. La Grande Pomme : New-York
  4. Écouter Prologue de Kamasi Washington

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