1 + 1 + 1 + 1 = 4, c’est juste, mais cela ne marche pas. 1 + 3 = 4, c’est exact, mais cela ne fonctionne pas. 3 + 1 = 4, c’est correct, mais cela ne tourne pas rond. 2 + 2 = 4, oui voilà, c’est cela ; là ça roule ! Parce que l’émotion n’est pas de l’arithmétique, Les Egarés sont bien quatre musiciens mais issus initialement de deux duos. Et c’est l’envie et la passion de jouer ensemble qui procure l’émotion.
Il y a au milieu de la scène le duo des gratteurs, ces deux-là frottent et pincent des cordes. Ballaké Sissoko sur sa Kora dans la tradition africaine et la culture mandingue et Vincent Segal sur son violoncelle avec son bagage académique de culture classique. À leurs côtés, le duo des souffleurs. Vincent Peirani, de formation classique également, qui fait vibrer l’air dans les soufflets de son accordéon. Emile Parisien, issu du collège de jazz de Marciac avec sa culture de la musique improvisée, puis du conservatoire avec son souffle fait chanter son saxophone soprano.
Si souvent les deux instruments à cordes assurent une rythmique colorée et les deux instruments à vent s’envolent vers des mélodies douces, ce schéma n’est pas un format figé. Les quatre virtuoses sont comme des passeurs de rythmes et de mélodies qui se renvoient les phrases et les thèmes musicaux tout au long du concert, comme un jeu de balle qui n’en finit pas entre des enfants.
Sur les titres Ta Nyé et Banja, qui sont des traditionnels mandingues, le jeu de la kora prend tout son sens originel. C’est l’inspiration africaine de Ballaké Sissoko qui développe les mélodies. Sur d’autres morceaux, l’instrument africain assure une rythmique colorée. Le violoncelliste mêle les improvisations à l’archet ou en pinçant les cordes en pizzicato. Les rythmiques sont obtenues en pinçant ou en frappant avec l’archet les cordes du violoncelle. Le souffle de l’accordéon décolle en envolées lyriques sur les rythmiques des cordes. C’est une note tenue comme un bourdon avec un souffle continu de l’accordéoniste qui soutient une mélodie. Le jeu au saxophone soprano est souvent épuré et sensible comme sur le morceau Dou. Le saxophoniste est, comme à son habitude, complétement absorbé corps et âme dans ses solos. Il gigote sur sa chaise, se lève, se rassoit, lance ses jambes dans tous les sens.
Les souffles croisent les cordes à tout moment. Deux à deux très souvent, ou bien à trois, les rythmiques s’assemblent comme autant de possibilités pour exprimer la variété des influences des musiciens. Sur Time Bum et Orient Express, se sont les influences de la musique d’Europe centrale et des Balkans qui sont exprimées par l’accordéon et le saxophone. Sur Izao, le saxophone associé aux cordes donne une ambiance mélancolique. Pour Nomad’s Sky, l’harmonisation des cordes de la kora et du violoncelle permet au saxophoniste d’improviser dans un registre de musique arabe. C’est avec le titre Esperanza, que les deux duos terminent dans un final joyeux et entraînant pour une longue standing ovation. Le public nombreux ce soir est attentif et respectueux de la virtuosité des artistes tout au long du concert et se lâche avec spontanéité et enthousiasme à la fin.
Après de longs applaudissements sincères, les quatre musiciens offrent deux rappels généreux. Avec un titre d’inspiration blues-folk sur lequel l’accordéoniste joue de l’accordina. Il passe le thème au saxophoniste qui le transmet à la kora comme dans un tourbillon. Puis sur un second rappel plus mélancolique, la rythmique des cordes est plus rapide et soutenue pour soutenir le dialogue des souffleurs. Le final est joyeux, inspire le plaisir, le partage et les échanges. C’est dans cette envie et cette passion que l’on reconnait les grands moments de musique. Et tant pis si arithmétiquement ce n’est pas exact, mais ce soir 2 + 2 = 1, émotionnellement sur scène cela fonctionne à merveille !
CD Les Egarés, éditeur IDOL, date de parution mars 2023, EAN 3700551785117
Les Egarés :
- Ballaké Sissoko: kora
- Vincent Segal: violoncelle
- Vincent Peirani: accordéon
- Emile Parisien: saxophone
