26/09/2025 – Chris Jennings et Pierre Perchaud au Solar pour le lancement du prix David Ostromooukhov

26/09/2025 – Chris Jennings et Pierre Perchaud au Solar pour le lancement du prix David Ostromooukhov
Il paraît que des cordes vibrent dans l’espace, reliant en un tout cosmique le visible et l’invisible. Que les astrophysiciens ne m’en veuillent pas pour ces approximations mais c’est ce qui m’est venu à l’esprit lors de la soirée de vendredi. Le mot « vibrations ». On sentait palpiter en effet, une courroie de transmission entre deux musiciens, un public nombreux, un jeune contrebassiste disparu trop tôt et l’association « Les Nouveaux fabulistes ». Cette dernière organisait en partenariat avec le Solar le lancement de la troisième édition de son prix, unique et France et parrainé par Avishai Cohen (voir plus bas après la galerie de photos). Le but ? Rendre un bel hommage à David Ostromooukhov en révélant de jeunes talents francophones. Avis donc à tous les contrebassistes de jazz ayant moins de 30 ans. Ils ont jusqu’au 24 décembre pour postuler et la finale se déroulera le 19 avril 2026 au Solar, lieu chaleureux s’il en est. Le jury est d’ores et déjà constitué. Il compte du beau monde, choisi en toute parité : Claire Rouet (La Baie des Singes, Cournon d’Auvergne), les contrebassistes Sarah Murcia et Louise Knobil, Elsa Viguier (programmatrice du 38 Riv Jazz Club à Paris), Olivier Corchia (directeur du Solar), Guillaume Anger (directeur artitique de Jazz à Vienne), Francois Jalbert (jeune guitariste montréalais, ami de David) et Chris Jennings qui est aussi président du jury*¨.
Chris Jennings, parlons-en justement ! C’est avec son ami Pierre Perchaud, complice depuis plus de vingt ans, qu’il a débarqué vendredi, de retour du Maroc. Soirée acoustique, soirée unique. Car ces deux-là, le contrebassiste et le guitariste, s’ils mènent des projets communs depuis 2004 en ont aussi beaucoup de perso. Le franco-canadien a notamment sorti l’an dernier son huitième album « Boy, She’s The Dandy ». Quant à Pierre Perchaud, il est revenu cette année en tant que leader avec « Fleur d’Immortelle ».
Donc, faire un album ensemble avec un tel duo, pas facile : « Comment faire le tri entre toutes les compos de chacun ? ». Et un concert qui ressemblerait aujourd’hui à celui de demain ? Pas question non plus.
C’est ça qui est bien avec l’amitié virtuose, on se sent libre. La soirée s’est déroulée en deux sets. Plus de deux heures d’une écoute à la fois vécue intensément et passée sans qu’on s’en rende compte, c’est pas si courant.
Au menu, des standards de jazz « qu’ils ont beaucoup travaillé ensemble au départ » ou des compositions de l’un ou de l’autre. Citons par exemple Yaya, un air écrit par Pierre pour sa fille Julia, « turbulent mais pas que, avec un jeu tempétueux et poétique », Blankfull», « comme une inspiration qui arrive au milieu du néant » ou Glüg. Pour le reste, pas mal de titres re-créés, telle cette Pénélope ravie à Brassens, Moment’s Notice de Coltrane ou Junk de McCartney.
Le choix est vaste et pertinent mais ce qui l’est encore davantage, c’est l’élégance avec laquelle ils ont concocté le menu. La grande classe !
Dès le début, guitare et contrebasse ont entamé un cousinage virtuose de sons et d’harmonie. Les rythmiques et les mélodies se sont révélées à la fois précises, sensuelles, souples et limpides. Dans cet abécédaire de la volupté musicale, se glissaient même parfois de joyeuses pulsations rock ou des envolées à la Morricone. Face au public qui n’avait qu’une envie, se laisser pénétrer en douceur, leur corps hybride ne faisait qu’un, semblant toujours quêter la note qui ferait émotion. La note qui vaudrait mot. Il fallait les voir, l’un assis, l’autre debout, enlaçant les courbes de sa contrebasse dans une consanguinité improbable.
Il fallait les voir se voir sans se regarder. Jouer comme des gosses s’abreuvant à leurs imaginaires. Comme quoi, on peut être deux, jouer en acoustique et ne pas en faire des tonnes pour ça « matche ». Ça s’appelle comme on veut.
Au-delà du talent et de la complicité, je nommerais ça la générosité.

[NdlR : Après avoir reçu Pierre Perchaud et Chris Jennings chez lui pour un concert privé, Laurent Brun a souhaité ajouter ces lignes :]

La perfection n’est pas humaine.

Dans le duo Jennings-Perchaud, la perfection est vivante.

On s’en étonne. Dans les silences, immobiles, entre les notes, nos frissons se retiennent.

Les musiciens ont une connivence naturelle. Ils s’accordent sur les coutures, se passent le relai. La mélodie est passée par ici, elle repassera par là.

L’extraordinaire, ils le côtoient sans s’en apercevoir. Car l’extraordinaire est leur quotidien. Ils ont décidé de lâcher la virtuosité pour s’en tenir à la convivialité du présent.

Ce sont des passeurs pour nos oreilles ouvertes et joyeuses. Ressentir le peu de distance est un cadeau. Ils sont attentifs à cette proximité. Ce qu’ils se donnent, ils nous le remettent pleinement sans en garder une seule miette. La musique devient total partage.

La musique n’est pas dialogue. Elle est atmosphérique. On s’y noie. On s’y confond. Entre les deux, c’est sans paroles. Tout n’est que réactivité sous la pulpe de leurs doigts, comme coordonnée, corps donnés. Par transmission de pensée.

Un musicien pense-t-il quand il joue ? Sur ce terrain-là, on pourrait redérouler la longue liste des objets que trouve le conteur Pierre Gripari dans la tête de ses déménageurs en action. Les musiciens (ces musiciens) sont des déménageurs. Ils nous ont transporté et avec eux leur musique, assez loin pour tapisser nos esprits d’un voile aérien, brillant, chatoyant, d’un souffle de légèreté, genre d’expérience de l’être qui, comme aurait dit ma grand-mère savoyarde et néanmoins thésauriseuse, fera du profit.

Le profit, c’est de rendre la musique à la beauté, l’art à la générosité et nos esprits à la joie. Ça fait beaucoup en ces temps maussades où la boussole de nos cœurs va et vient sans trouver le repos.

La musique du duo n’est pas un pis-aller, ni même une diversion pascalienne. Ce n’est pas non plus un spectacle. C’est une voix troublante, un cri pour la paix, une place pour l’étrangement beau, pour l’éternellement humain.

Avec humour, tous deux affirment qu’ils étaient déjà chauves il y a vingt ans quand ils se sont rencontrés pour la première fois. Leur musique, mais elle nous fait pousser des cheveux ! C’est un rajeunissement garanti. Ça soigne l’enfant en nous.

 

Laurent Brun

Auteurs/autrices