Comme on dirait d’un film qui empile les vedettes à la pelle, voici un casting d’enfer pour le disque de ce quartet, emmené par le vibraphoniste très inspiré Bernard Jean. Où l’on retrouve à la batterie Sangoma Everett, tout en finesse et en très grande forme, Christophe Lincontang à la contrebasse, très à l’aise sur tous les terrains, Etienne Déconfin au faîte de la musicalité et du touché pianistique. Une sorte d’aristocratie du jazz.
Passée la bonne surprise du casting, j’entends chez ces artistes et dans leurs jeux musicaux deux aspects qui se conjuguent, à la fois une noblesse, qui vient de leur lignée, directement branchée sur l’histoire du jazz outre-Atlantique et ce côté « roturier », peuplé de sensualité, une musique accessible à tout le monde, immédiatement.
Il y a de grands vibraphonistes dans la musique de jazz. Pour ne citer que quelques-uns, Lionel Hampton, Milt Jackson, Gary Burton ou encore Mike Mainieri. Ceux-ci , avec d’autres, ont popularisé cet instrument, Hampton pour son énergie et son beat, Milt Jackson pour avoir fait entendre le bebop et croisé le fer avec Miles Davis, Gary Burton dans ses compositions magnifiques et ses collaborations fructueuses – je pense à Pat Metheny notamment – Mike Mainieri époustouflant au sein de Steps Ahead, du temps de Mickaël Brecker.
Quand j’écoute Bernard Jean, je peux retrouver ce qui fait l’attrait de cet instrument, qui possède en lui la nostalgie d’un passé riche d’histoires et la convivialité et la hardiesse d’un jeu moderne, un condensé entre la virtuosité du piano et le swing de la batterie. Cette nostalgie, elle me vient non seulement des concerts live de tous ces grands musiciens évoqués précédemment mais aussi des films de Jacques Tati. Une ambiance surannée, éminemment évocatrice et joyeuse. L’effet scintillement. La modernité, elle est dans l’utilisation de l’instrument, les arrangements audacieux avec les autres compères, la ferveur avec laquelle tout le monde joue.
A l’écoute, la sensation première est d’être embarqué dans une voiture très confortable, style Rolls Royce (j’imagine que c’est confortable, je n’y ai jamais mis les pieds), qui se met à accélérer et faire la folle par moment, histoire de se donner quelques frissons. Une voiture qui en a sous le capot. On n’est pas là pour la frime, on est là pour le plaisir du jeu, pour soi et pour ceux qui écoutent. Connivence, décontraction, tension quand il le faut, le groupe lâche les freins et décolle. Ça me rappelle les meilleurs moments de jazz à Vienne (je parle de jazz à Vienne comme d’une référence, d’un étalon, qui a fait mon éducation musicale, en gros la période d’avant l’entreprise de spectacles que cela est devenu). A cette époque – la préhistoire-, je fermais les yeux et la musique live m’envahissait comme une vague, comme un bienfait, comme le bras armé de la révolution en marche, un chant émancipateur qui appelait forcément un monde meilleur.
La musique de Bernard Jean me ramène à ça. Il a choisi des standards (Star Eyes, un 4/4 avec un pont en ternaire, où chacun s’exprime de belle manière, Never let me go, une ballade très douce avec ce contraste/complémentarité entre le vibraphone et le piano, qui devient alerte sur la fin, This time the dream’s on me, enlevé, Mister Sandman, un middle swing un rien nostalgique). Le reste, ce sont des compositions plus modernes, de Michel Grailler (Bill’s Heart), de Steve Grossman (415 Central Park West). Mention spéciale à la composition de Sangoma Everett, Crossroads. Ça remue sévère sous l’harmonie.
A noter que l’album est un disque vinyle, avec ses faces A et B. Comme au bon vieux temps. La pinup qui décore la pochette est sans doute sortie d’un vieux rêve américain, clin d’œil (un tantinet hors Me Too) au titre de l’album « This time the dream’s on me ». Les musiciens en débâteront lors des live sessions qui promettent un bel engouement. Une musique à vivre. Un disque à collectionner.
