06/12/2025 – Louis Sclavis Trio « Vercors » au Solar

06/12/2025 – Louis Sclavis Trio « Vercors » au Solar

C’est sûrement le nom de Louis Sclavis qui a attiré tant de monde, samedi, au Solar. Bien sûr, on avait envie de revoir l’un des derniers grands boss de la scène jazz française, d’autant qu’il n’était « pas venu depuis longtemps à Saint-Etienne ». Et pourtant, ce qu’il présentait cette fois n’avait rien d’un monolithe. En effet, dans ce projet intitulé « Vercors », le terme « trio » est à prendre dans son sens premier, un ensemble de trois personnes. Trois voisins, des Rhônalpins. Louis aux clarinettes, Richard Bonnet à la guitare, Adrien Chennebault à la batterie. On n’en dira pas davantage sur eux car la montagne a ses secrets. Pas de possibilité d’interview ni avant, ni après le concert, pas non plus d’explications au public entre les morceaux. Chacun sa façon de se révéler aux autres, la leur c’est en jouant.

Parlons donc de ce moment, un peu plus d’une heure quinze en comptant les deux rappels, qui a si puissamment scellé les auditeurs dans une commune et magistrale émotion. Et disons-le tout de suite, cette chronique ne vaut que pour cette heure-là, vu que l’improvisation du groupe était totale, ce qui signifie bien évidemment absence de partoches, de titres, de permanence. C’est quand même bien, en ces temps où l’on quête partout la durabilité, de se caler dans l’instant. Allez, on se lance sans filet. C’est par des notes suggestives, veloutées, que Louis Sclavis débute à la clarinette basse, rejoint bientôt par une batterie aux sons feutrés. La guitare aux sept cordes y ajoute sa gravité. Puis la basse entame un long bourdonnement, les baguettes s’invitent au ciel, on sent l’orage, la montagne vit, tout s’éveille. On ressent alors une impression physique de granit et de faune, la clarinette se met à rugir, cela devient cavalcade sur les escarpements et tout le monde suit. On sent entre ces trois musiciens millésimés une expérience rare de l’écoute de l’autre, du collectif, d’une indépendance farouchement altruiste. Puis voilà que Sclavis se met à l’harmonica (Ah bon ?). Il en sort une intimiste mélopée et cette caresse préliminaire est bientôt suivie de notes palpitantes, avant une sorte de fusion tellurique maîtrisée. C’est une aventure que le trio compose en direct, les yeux presque toujours clos et se comprenant le plus souvent sans se regarder. Des atmosphères et des décors, on en a plein les esgourdes et les rêves, tant sont mêlées les expériences diverses de chacun. Tiens, un troupeau qui s’amène, nous disent des clochettes aux percus, tiens, une incantation tribale, nous souffle Louis au fil d’incantatoires redondances… Ce qui est sûr, c’est que ce monde en création est peuplé. Vivant. Libre. Le public partage en osmose cette quête d’une vibration qui serait un lieu de rencontres dans l’instant, d’autant plus forte qu’elle est fragile, immanente et éphémère.

Le trio est ovationné. En fin de concert, un certain lâcher-prise se dessine, sous un brin d’humour et de convivialité. Cependant, il n’y aura pas de discussions avec les artistes, pas de dédicaces non plus pour « India », le dernier album signé par le clarinettiste chez Yolk Records. Mais c’est drôle, le public est resté assis longtemps après la fin, il faisait trop bon en altitude.

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