
N.D.L.R. (Notre Directeur de La Rédaction) m’a gentiment suggéré de rédiger quelques lignes à propos du film Au rythme de Vera de Ido Fluk sorti en salles le mercredi 25 juin. Il est vrai qu’à l’époque chacune et chacun était plutôt préoccupé par les gradins ou les chaises du théâtre antique de Vienne… Notez dès maintenant qu’il sera présenté au Ciné Mourguet de Ste Foy-lès-Lyon le mercredi 20 mai 2026 dans le cadre du partenariat « Ciné Jazz » avec Ça Jazze Fort à Francheville.
Où étiez-vous le 24 janvier 2025 ? À l’Opéra de Rennes pour écouter Melaine Dalibert ? À la chapelle de la Trinité de Lyon pour écouter François Mardirossian ? Tous deux avaient choisi de célébrer dignement la date exacte du cinquantième anniversaire de l’enregistrement du célébrissime Köln Concert de Keith Jarrett à l’Opéra de Cologne.
En attendant la sortie de « Köln Tracks », le documentaire de Vincent Duceau, remontons encore plus loin dans nos souvenirs… Qui nous a fait découvrir l’album de piano solo le plus vendu de l’Histoire (3,5 millions d’exemplaires) ? Personnellement , c’était le double vinyle en 1976 chez un couple d’amis.
Les cinéphiles se rappellent en avoir entendu quelques notes dans Journal Intime de Nanni Moretti.
Paradoxalement et heureusement, vous n’en entendrez pas l’ombre d’une mesure dans Köln 75 l’excellent film de Ido Fluk. Le refus de ECM et de Keith de s’associer au projet a contraint le scénariste et réalisateur israélien à contourner habilement l’obstacle. En effet, il a fait appel au compositeur suisse Stefan Rusconi qui a composé Berlin, Lausanne I & II et Night Ride one & two pour la bande originale. Cerise sur le gâteau, vous entendrez à la fin le To Love Somebody des Bee Gees revisité par Nina Simone.
« Ce film ne parle pas de Michel-Ange, ni de la chapelle Sixtine…il parle de l’échafaudage. » peut-on lire en exergue du film.
En fait, le scénario n’aura pas eu besoin de la version originelle puisqu’il s’attache essentiellement à l’opiniâtreté de la jeune Vera Brandes brillamment interprétée par Mala Emde. Plus âgée elle prendra les traits de Susanne Wolf. Vera Brandes*, elle-même, apparaissant au générique de fin. En effet, le titre français (« Au rythme de Vera ») est plus représentatif du film que l’original (« Köln 75 »). L’histoire commence quand Vera, âgée de seize ans découvre Keith Jarrett (John Magaro à l’écran) en concert à Berlin. Encore mineure, elle n’aura de cesse de vouloir organiser sa venue à l’Opéra de Cologne. Il lui faudra convaincre Manfred Eicher, le manager (Alexander Scheer), affronter son père (Ulrich Tukur), bénéficier de la complicité de sa mère (Jördis Tribel).
À la fois biopic et thriller, le film nous tient en haleine au rythme de son héroïne dans l’insouciance des années 70. L’époque est fort bien reconstituée, les vêtements, la 4L de Manfred Eicher, tout y est : le mal de dos de Keith, son célèbre caractère, sa complicité avec le boss d’ECM. La magie du cinéma nous fait passer l’Opéra polonais de Lodz pour celui de Cologne.
Le Bösendorfer quart de queue mal accordé dont dut se contenter le pianiste généra la musique unique produite ce 24 janvier 1975. Alors que Keith ne peut plus jouer, qu’il vient de fêter son quatre-vingtième anniversaire, Au rythme de Vera est arrivé à point pour réhabiliter celle sans qui rien ne serait arrivé…
* Vera Brandes, née à Cologne en 1956, a produit plus de trois cents albums (labels CMP, veraBra records, Intuition records) organisé moult concerts et est devenue musicothérapeute dans les années 90.