Sélection CD de la rentrée 2/4 – Octobre 2023

Sélection CD de la rentrée 2/4 – Octobre 2023

Grooves d’automne

L’été indien s’étire chaleureusement, propice à ranimer déjà les dance-floors avec la flopée d’albums made in France  qui vont irradier l’automne d’un groove appuyé. Où l’on retrouve déjà quelques uns de nos amis lyonnais (ou d’ailleurs) habitués de ces colonnes, et  où l’on constate la production très cadencée du désormais incontournable label Heavenly Sweetness, expert en la matière et qui réunit bon nombre de ses acteurs, tout en élargissant encore son écurie.

 

  

PAT KALLA & Le Super Mojo «Belle Terre» (Heavenly Sweetness / Idol / L’Autre Distribution)

Son précédent et bien nommé «Hymne à la vie» nous avait fait tellement de bien durant les confinements qu’il a fini en tête de mon Best-Of de 2021.Un chapelet  de tubes irrésistiblement groovy côté musique sous la férule de son Super Mojo,et des textes qui font mouche où, sous une apparente légèreté teintée d’humour, le chanteur lyonnais faite montre d’une pertinente acuité à évoquer finement des sujets plus profonds. La «patte» Kalla quoi, griot du groove, conteur hors-pair empreint d’une philosophie de vie où l’engagement est contenu par une certaine sagesse. Façonné par les meilleures références poétiques de la grande chanson française d’hier, il excelle dans l’art de raconter des histoires comme autant de réflexions sur le monde (l’écologie notamment) et sur l’humain, avec des mots simples et joliment troussés, usant d’une fausse naïveté de grand enfant (qu’il est resté) et qui contribue aussi à nous toucher par sa tendresse (c’est d’ailleurs le titre d’un des morceaux).

L’enjeu n’était donc pas évident après une telle réussite de revenir avec ce troisième album, qui, s’il nous a paru moins globalement tubesque à la première écoute, n’a pas tardé à distiller ces mêmes ingrédients au pouvoir insoupçonné. Raconter encore, pour faire rayonner le dehors comme le dedans, sur un savant mélange subtilement dosé de highlife, rumba métissée, biguine, funk et afrobeat, tout ce qui constitue le chaleureux afro-disco d’un groupe propagateur de feel good vibrations. Toujours réalisé par Guts, manitou de la joyeuse tribu fraternelle de chez Heavenly Sweatness, l’album se pare pour quelques feats. de plusieurs fleurs vocales supplémentaires récoltées à La Réunion, aux Antilles et en Afrique. Avec les harmonies du duo Bonbon Vodou (avec Oriane Lacaille) en dialogue avec Pat sur Aimer et son accordéon afro-créole, avec la franco-congolaise Rebecca M’ Boungou (Kolinga) pour la superbe mélodie écolo-nostalgique de Rivière («que reste-il de ma mémoire de l’eau?»..) et sa douceur mélancolique rappelant un Voulzy, ou avec Olivia Victorin (chanteuse de Dowdelin) pour le magnifique Rêve Danser. Là encore , entre flûte et piano, voilà un superbe dialogue où les voix se marient parfaitement avec tendresse et légèreté. Un titre au refrain accrocheur, porté par une ligne de basse métronomique (Jim Warluzelle), la batterie de Nicolas Delaunay et les percussions de Mathieu Manach, et où en parallèle des vocalises, le piano aérien de David Marion développe un long chorus très onirique à la façon d’un Bruce Hornsby. Un piano qui fera le même effet pour nous emporter sur la poésie entêtante de Racontez-moi le Monde en clôture qui évoque la figure de la mère, ultime pépite qu’on adore avec un son dub croisant grosse basse plombée et reverb’ de guitare et où le talk-over du conteur imprime en profondeur.

Entre temps, on aura d’emblée dansé sur le titre éponyme en intro, le très groovy Belle Terre, non sans rappeler, jusqu’au graphisme de la pochette d’ailleurs, Planète des potos DjeuhDjoah & Lieutenant Nicholson (voir ici) évoquant notre belle planète à préserver. Mais aussi chaloupé sur les mots d’amour de Fou de Vous entre piano cubain et attaques de Clavinet, ces nappes de synthés vintage (ici un Juno 6) marque du disco-funk des eighties qu’on entend également sur Pas Idée ou sur le single Caramel.

Belle Terre, bons musiciens, pour un bien beau disque assurément.

 

LEON PHAL «Stress Killer» (Heavenly Sweetness/ Idol / L’Autre Distribution)

Découvert avec «Canto Bello», révélé avec «Dust to Stars» (voir ici), le saxophoniste champenois n’a cessé de nous épater en devenant incontournable parmi cette nouvelle vague du jazz groove à la française. Ce n’est certainement pas la parution dernière de «Stress Killer» qui va nous contredire, confirmant cette voie vers les musiques de clubs faites pour inonder le dance-floor, à l’instar du trio strasbourgeois Emile Londonien dont Léon est souvent le quatrième homme. Sous son nom, le maître de cérémonie rend à son tour hommage à tous ces sons, qu’il viennent de Londres où qu’ils s’inscrivent dans la french touch en la matière. S’il y a continuité dans cette veine, la nouveauté de ce troisième opus -signé sur le très actif label Heavenly Sweetness décidément très en pointe sur le groove de chez nous- réside dans l’invitation, pour la première fois, de quelques voix comme la chanteuse camerounaise Lorine Chia (Guts, The Game) sur le tempos reggae-dub de Something Inside, très cuivré et où dialoguent sax et trompette (Zacharie Ksyk), ou celle de l’homme aux multiples identités K.O.G (Onipa, Zongo Brigade, All Stars Revolution) qui, avec son flow en spoken word, imprime la U.K touch à Idylla, afro-hip-hop où rayonne encore la trompette sur le piano electro-jazz de Gauthier Toux.

Entre la ligne de contrebasse de Rémi Bouyssière et le drumming toujours ardent d’Arthur Alard, le groove cuivré et classieux de Léon Phal fait montre d’emblée de son sens mélodique imparable dès l’intro avec Vibing in Ay, qui trahit bien les accointances du saxophoniste avec Emile Londonien, avant d’aborder le plus techno-house Fuck Yeah, sens mélodique encore affirmé sur Balanced Action, entre le Fender Rhodes et le broken beat d’Arthur.

Avec un sax toujours superbement timbré, fluide et bien en avant tout en offrant une belle unité orchestrale.

On connaît le gros travail rythmique d’Arthur, particulièrement puissant dans cet opus, il nous offre ici un drôle de drumming tout en décalages brinquebalants face aux claviers sur le titre éponyme Stress Killer. Il excelle encore sur le très groovy Bongo 113, electro-funky irrésistible où sur les boucles synthétiques de Guillaume le sax dépose un chorus dont il a le secret. Il s’envolera de manière plus free encore sur Naïma et fera résonner son étourdissante puissance pour Same Human, boosté par une rythmique speed et appuyée. Comme pour souffler après tant d’intensité développée au fil de ces neuf titres, Clarity en clôture opte pour une grande douceur, une plénitude finale appliquée par le piano et le souffle enfin apaisé du saxo.

 

JOAO SELVA «Passarinho Remix» ( Underdog Records/ Bigwax / Believe)

Il cartonne partout notre songwriter brésilien Joao Selva, le plus caricoca des musiciens lyonnais, depuis l’avènement de «Navegar» (2021,voir ici) où il a revigoré le tropicalisme des seventies dans un turbulent mix de samba, de soul et de jazz, offrant un funky disco tout à fait dans l’air du temps, et confirmé dans la foulée par «Passarinho» (voir ici) qui a canalisé les pulsations musicales de l’Atlantique noir, entre semba angolais, funana capverdien, rumba congolaise et zouk caribéen. Un mix explosif comme on a pu depuis l’éprouver en live où le chanteur guitariste et ses acolytes s’imposent comme une redoutable machine à danser.

Alors imaginez ce que peut bien dégager ce même répertoire passé au (re)mixeur de plusieurs beat makers notoires, à commencer bien sûr par Patchworks, indissociable multi-instrumentistes aux côtés de Joao et toujours producteur de ce nouvel opus où le pape du groove lyonnais -qui s’attaque au titre éponyme dans une version acoustique mêlant percussions caribéennes et harmonies vocales envoûtantes qui mettent en avant la force de ce refrain engagé-, laisse libre court à quelques amis de la place. Comme Pat Kalla qui ouvre dans une version Voilaaa remix de Vai te Curar, bombe funky-disco à base de cuivres lancinants tenus par l’excellent Boris Pokora sur une ligne de basse rondement développée par Patchwork qui œuvre aussi à la rythmique wah-wah de la guitare et aux synthés vintage. Autre signature lyonnaise de la partie, Art of Tones apporte son sens de la fiesta en transformant l’optimisme contagieux de Cantar Cantar en une exubérante euphorie afro-latine, ultra dansante.

Groove saccadé, guitare parkinsonienne, beat martelé, c’est la recette choisie par le crew Uptown Funk Empire qui livre pour sa part une version addictive de Menina me Encanta où l’on apprécie la douceur de la voix et des choeurs, typiquement brésilienne. Celle de Carina Salvado et ses magnifiques backing vocals comme encore sur l’imparable hit Set Ventos dont l’«alternate version» s’incruste en tête, et qui sera d’ailleurs repris en clôture cette fois par le collectif Ireke dans un disco-funk qui envoie direct, avec un son plutôt rock et où là encore on assiste à un gros travail de mixage. Bref on l’aura compris, cette nouvelle galette relance à merveille tout le potentiel du Passarinho initial, et alors que l’été semble jouer les prolongations, elle n’a pas fini de nous faire suer de plaisir sur les dance-floors qui la diffuseront.

 

SOULEANCE «Beautiful» (Heavenly Sweetness / Idol / L’Autre Distribution)

Toujours adepte des collages sonores et du sampling, Souleance s’engage pour ce «Beautiful» -qui paraît cette semaine- sur une voix plus riche en instrumentation. Le duo de beatmakers formé par le DJ parisien Alexis Eleftherias – alias Soulist (compositions et scratchs) et le producteur caenais Pierre Troël – alias Fulgeance (claviers, basse) entend faire la musique qui les fait vibrer, sans contrainte de tendance ni critères qui ne seraient pas les leurs en matière de «beauté», notion pour le moins subjective. Pour Souleance, cette notion reste une règle de vie, une ligne artistique inflexible vers le «beautiful» qui a séduit Heavenly Sweetness (encore eux!) dont ils rejoignent l’écurie. Si la culture de la boucle héritée du hip-hop est bien sûr toujours en embuscade, comme les nombreux synthés analogiques typiques du jazz-funk 70’s (du Moog au Prophet, de l’ARP Odyssey au Juno 60 en passant par le Wurlitzer), les deux compères épicuriens férus des ambiances club ont fait appel à diverses voix venues du Brésil, de la Réunion, de la Turquie et d’Israël.

D’entrée, Douce est de bonne augure et ce mélange scratché de synthés et de voix planantes, comme une pop seventies en apesanteur, nous met salive en bouche. Les synthés vintage et notamment les modulations de Moog couplées à la ligne de basse et des claps répétitifs (par trop..) surgissent directement sur Cultural. On a un bon kif sur A Onda, electro-groove très eighties avec sa ligne de basse ultra funky et son jeu de charley très en avant nous met totalement en mode clubbing. Plus psyché, Mamaé Nao Quer tend le micro à l’inévitable Joao Selva pour un instant de poésie entre une mère et son fils dans les rues de Rio. C’est le duo retro-pop stambouliote Kit Sebastian qui croise le saz de Kit Martin à la voix de Merve Ezdem qui s’en empare pour le psyché-funk Out of Touch, avant de le céder  à leurs homologues malgaches Kaloune & Papatef sur Koul Dan Mon Do et son accordéon circulaire, plutôt gavant au final.

Sur fond de collages sonores et autres samples, le beat marqué de Wiggle croise la lourde prégnance du synthé basse à un gros travail de mix sur les vocaux accompagnés de flûte et sifflets brésiliens, là encore pour un résultat un peu pesant. On retiendra enfin côté voix en feat, celle de la très sensuelle Jenny Penkin sur Lightweight qui aurait tout d’un bon single, avant l’explicite La Fête, disco-pop bizarrement shunté au final, mais il est vrai que ce genre de tournerie pourrait durer ad vitam eternam. Et c’est finalement réconfortant car, hormis de nombreuses fulgurances bien senties et assez bien maîtrisées, on pourra reprocher au duo, tel de grands ados un brin attardés, d’être parfois fatigants  dans leur obsession du BPM hautement calibré et un certain abus des infra-basses…

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