
La nouvelle vague brésilienne
Quand l’été approche, se profilent des envies de voyages dépaysants et de fêtes joyeuses pour danser. Le moment d’entamer une vaste sélection dévolue à ces musiques du monde qui font groover la planète, en commençant par le Brésil. Avec, aux côtés de notre célèbre carioca lyonnais Joao Selva qui signe avec son complice Patchworks l’une des bombes les plus hédonistes du moment, trois de ses compatriotes de Rio – Dora Morelenbaum, Rubel, Ana Frango Elétrico- ces jeunes représentant(e)s de ce que l’on nomme la nouvelle Musique Populaire Brésilienne (MPB), tous poulains de l’écurie Mr Bongo, le mythique label indépendant britannique spécialisé en world-music.
JOÃO SELVA «Onda» (Believe / BigWax / Underdog)
Depuis le début d’année qu’il nous enchante, et après l’avoir évoqué en live à Bourg-en-Bresse (voir ici ), il est enfin temps de présenter cet album que nous réservions naturellement à cette sélection spéciale Brésil. Inutile de se répéter pour dire combien le garçon d’Ipanéma désormais lyonnais ne cesse de nous épater au fil d’une abondante discographie ces dernières années, en reliant diverses composantes du vaste Atlantique noir, de la samba carioca au semba angolais, du funana capverdien au zouk caribéen, en passant par la rumba congolaise et le funk américain. Après Navegar (naviguer) en 2021, puis Passarinho (petit oiseau) en 2023 suivi de son remix intégral puis d’un live à l’Opéra de Lyon avec le quatuor Una Corda, «Onda» surfe encore avec brio sur cette vague joyeuse et débordante d’énergie festive.
Un album hédoniste et revigorant toujours produit par l’incontournable multi-instrumentiste croix-roussien Patchworks (aka Bruno Howart) qui signe depuis bientôt dix ans les arrangements ultra-groovy de ce chantre du tropicalisme revisité et aux mélodies élégantes très accrocheuses. Dix titres lumineux, à commencer par le titre éponyme en ouverture qui opère comme une cure de soleil, exaltant les bienfaits d’un bon bain de mer (Banho de Mar, morceau écrit sur l’île naturiste du Levant), avec une rythmique aux effluves plus reggae. Comme initié dans les précédents opus, c’est surtout le retour aux sonorités funky-disco des années 70-80 qui rend cet album hyper fun irrésistible, particulièrement au travers du cuivré Fantastica Bahia, du bien nommé Viens Danser avec Cléa Vincent en feat. avec ses synthés vintage et un beau dialogue entre basse et trompette. Cette même basse claquante qu’on adore encore sur Quero Vocé, et bien entendu sur ce qui devrait être la tuerie absolue de l’été, l’infernal disco-funk Amor Em Copacabana.
Au milieu de ce continuum de pépites toutes aptes à enflammer le dance-floor dans l’allégresse et la sueur, on peut souffler un peu sur la courte ballade pop-folk psyché de Navegante, un petit bijou lorgnant vers les Beatles, et s’extasier sur celle, vaporeuse et sublime, qui convoque en clôture la voix aérienne de Gabi Hartmann (une Française qui a à l’inverse vécu à Rio) pour finir en majesté sur un Rainbow Love aux choeurs psychédéliques, une mélodie pop seventies où voix et guitare croisées peuvent rappeler l’époque Simon & Gartfunkel. De bout en bout, on craque total pour cet album qu’on ne lâchera pas de l’été qui vient, et qui sera assurément dans notre best-of de l’année. Obligatoire !
DORA MORELENBAUM «Pique» (Mr Bongo)
Jeune chanteuse incontournable et convoitée de la nouvelle vague actuelle à Rio que l’on nomme MPB (pour Musique Populaire Brésilienne), Dora Morelenbaum a de qui tenir puisqu’elle est la fille du merveilleux violoncelliste Jaques Morelenbaum qui, avec sa mère Paula également chanteuse, faisaient entre autres partie de la Nova Banda d’Antonio Carlos Jobim. Après un premier EP en 2021, elle s’est particulièrement fait remarquer par sa voix mielleuse au sein du super-groupe Bala Desejo qui a décroché un Latin Award. Elle revient depuis cet hiver avec «Pique» son premier album chez Mr Bongo, accompagnée en studio d’un nouveau groupe toujours gargantuesque (où l’on se gardera de citer tous les protagonistes), pour ce disque qu’elle qualifie «d’en mouvement», avec des compos sophistiquées et une production enjouée qui croise, dans un esprit très moderne, bossa nova contemporaine, jazz, funk, soul et disco.
Le charme agit dès Nào Vou te Esquecer en intro, ballade langoureuse rythmée par la basse et teintée de soul par les cuivres, où chœurs et orgue rappellent la pop évanescente des 70’s. C’est toujours cette basse qui porte le tempo groovy et appuyé de Venha Comigo où le Rhodes et les soufflants apportent le swing orchestral. Sim Nào maintient ce groove entre guitare et orgue syncopé pour l’emmener vers un funk décalé rappelant le Gilberto Gil des débuts.
Essa Confusào vient calmer les ardeurs par sa douceur, entre vocalises énamourées et violons à la sensualité vaporeuse. Le tempo proche du reggae d’A Melhor Saida, avec son refrain léger et sa guitare en cascade, ramène du groove plus cool, avant que Caco et son refrain guilleret redonne du swing à cette chanson brésilienne dans l’esprit de João Donato.
Une rythmique plus intensive donne au court VW Blue, clin d’œil encore à Gilberto Gil, une patte très alerte entre Rhodes, vibraphone et voix sous effets. Une voix qui retrouve son cristallin avec beaucoup de sensualité, proche d’une Gabi Hartmann sur la ballade Petricor, soutenue par une contrebasse claquante. Curieusement, le titre éponyme Pique n’est qu’une virgule d’une minute, mais où guitare et flûte assènent une douceur de berceuse avant les deux titres finaux résolument groovy. D’abord Talvez, avec un Rhodes à la réverb’ très electro, puis Nem te Procurar, tubesque à souhait avec son tricot de basse et son refrain dansant, qui conclut joyeusement cette grosse demi-heure pleine de fraîcheur revigorante.
RUBEL « As Palavras» vol.1 & 2 (Mr Bongo)
Toujours parmi cette nouvelle génération du MPB qui mène actuellement la danse à Rio, on découvre le jeune Rubel jusqu’alors inconnu de nos services, pour ce déjà troisième album qui est un double volume de vingt titres pour une heure de musique. Une épopée généreuse qui permet de plonger en profondeur dans l’univers assez avant-gardiste du garçon décoloré blond platine et qui a été nommé lui aussi aux Latin Grammy Awards pour sa fusion des genres entre classique et contemporain. Mêlant MPB et pop, forro, pago, samba, baile funk, rasteirinha et hip-hop, on sent vite une totale liberté de création, ludique et parfois provocante, pour explorer au travers de ses chansons toute la palette des sentiments. Un concept global qui vise à réunir les genres et toutes les générations dans un pays très divisé, en s’appuyant sur le vaste héritage de la musique brésilienne qu’il fait comme ses camarades évoluer avec son temps.
Une vaste palette sonore ouverte par l’instrumental Forré violento dans la majesté des cordes tandis que Grao de Areia mêle accordéon et cuivres. Des cuivres qui participent à l’aspect joyeux de la samba soul, Nao vou reclamar de Deus et son groove de basse, un morceau produit par Ana Frango Eletrico, autre figure de ce mouvement de renouveau. Le super-groupe Bala Desejo vient en feat. sur Toda Beleza, et l’on retrouvera d’ailleurs plus loin la très demandée Dora Morelenbaum pour un chant à nu sur Assum Preto.
Un mix de rap et de broken beat avant de revenir à une douce ballade tropicaliste Putania. Rubelia avec Deekapz en feat. croise reggaeton, funk et hip-hop avec un son plus tek’, quand c’est Tim Bemardes qui apporte la touche electro-hip-hop à As Palavras entamé par une première partie soul- R&B. Bien entendu, de nombreuses ballades temporisent ces rythmes variés, comme Torto Arado, Amor de Mae plus folk, ou encore Lua de Garrafa, une ode à l’amitié et à l’union des générations puisqu’il convoque le grand Milton Nascimento.
ANA FRANGO ELETRICO «Little electric chicken heart» (Mr Bongo)
Sorti en 2019 uniquement au Brésil et au Japon, cet album d’Ana Frango Elétrico nominé aux Latin Grammy Awards l’année suivante est devenu un objet culte de collection. Cet engouement a poussé le label Mr Bongo à le rééditer aujourd’hui pour porter partout cette fusion vintage de pop de chambre, rock, jazz et samba, à l’image du renouveau dans la musique brésilienne contemporaine dont cette compositrice et productrice est parmi les fers de lance.
Au fil des neuf titres de l’album, la chanteuse mélange, en effet, des éléments et des influences de la MPB, du tropicália, de l’indie rock, du punk et de la pop, les forgeant ensemble dans un style caractéristique. La finesse de Saudade ouvre l’album avec ses chœurs très seventies, l’un de ses titres les plus connus du public non brésilien, où l’on retrouve encore Dora Morelenbaum en feat. Promessa e previsões écrit par Chico França chaloupe au rythme cuivré d’un groove crépusculaire tandis que Tem Certeza? avec sa guitare rock et ses cuivres débridés est en mode up-tempo dès l’intro. Chocolate est une ballade plus R&B qui a déjà remporté un franc succès auprès des fans, celle de Torturadores étant plus pop avec une chantonnante trompette bouchée. Se No Cinema frappe par son allure excentrique, son charme et ses mélodies entraînantes avant de se transformer en esprit de carnaval, quand Devia ter ficado menos, à l’énergie toujours bien rock, est l’exemple type du côté parfois indéfinissable de la musique de la demoiselle.
Puisant dans la richesse de cette nouvelle vague d’énergie musicale brésilienne, l’album comprend également une série de collaborations avec des artistes tels, après Dora Morelenbaum (Bala Desejo), Tim Bernardes, Antonio Neves et Guilherme Lirio, pour n’en citer que quelques-uns.
Un disque court, ludique et rafraîchissant qui s’achève avec Caspa sur un groove de basse nonchalant, avant que la rythmique de la guitare épaulée de la trompette lui donne un allant joyeusement dansant. Cette reparution de «Little Electric Chicken Heart» devrait séduire les fans d’enregistrements brésiliens des années 70, de Gal Costa, Mac DeMarco, Stereolab, Superorganism, ou Caetano Veloso parmi ses très nombreuses influences.