29/11/2023 – Asynchrone à l’Opéra Underground

29/11/2023 – Asynchrone à l’Opéra Underground

Merry Christmas, Mr. Sakamoto !

 Si aucun hommage à la hauteur du personnage n’a été célébré à ce jour depuis la disparition en mars dernier du génial et protéiforme Ryuichi Sakamoto, le projet bien antérieur mené par Asynchrone et voulu comme un exercice d’admiration envers l’immense compositeur (encore vivant) s’est transformé par une étonnante coïncidence en vibrant rappel mémoriel, l’album «Plastic Bamboo» – enregistré un mois avant- gravant quelques relectures des œuvres les plus éclectiques du maître. Fans orphelins, nous voilà magnifiquement comblé de l’entendre joué ici en live, a fortiori avec le soutien bien adéquat du jeune quatuor Una Corda qui a sublimé la patte symphonique de M(y)ster Sakamoto, lequel aurait assurément apprécié comme nous ce beau cadeau d’avant Noël.

 

En nous quittant à seulement soixante-et-onze ans suite à une rechute cancéreuse en mars dernier, l’immense compositeur tokyoïte Ryuichi Sakamoto nous a laissé une œuvre monumentale et très significative de son temps, puisqu’il est l’un des rares -voire le seul- à être parvenu à reconfigurer l’ensemble du paysage sonore, agrégeant tous les registres pour les mettre en connexion. Ce «contemplactif» pour reprendre le mot bien vu de Richard Robert directeur de l’Opéra Underground, zen et serein mais en perpétuelle recherche, toujours à l’affût de l’avant-garde musicale, que l’on aura connu en pionnier de l’electro-pop à la fin des seventies avec Yellow Magic Orchestra, puis versé dans l’ambient avec David Sylvian, brassant successivement classique, jazz, funk, exotica, new-wave,techno, electro… sans parler des nombreuses et sublimes B.O symphoniques qu’il a écrites pour le cinéma, ne savait sans doute pas que depuis trois ans déjà, un collectif français oeuvrait à une relecture libre de certaines de ses partitions.

Un geste d’admiration voulu par Clément Petit (violoncelle) et Frédéric Soulard (synthés, batterie, machine), deux musiciens aguerris qui se sont adjoints le renfort de collègues venus du free jazz avec Hugues Mayot (saxophones et clarinette basse), Delphine Joussein (flûtes, remplacée ce soir par Sylvaine Hélary), Manuel Peskine (piano) et Vincent Taeger (batterie,marimba) pour former le sextet Asynchrone (en référence à l’album Async.de Sakamoto).

Un vibrant rappel mémoriel

Un sextet dont l’album «Plastic Bamboo» qui vient de paraître (voir la chronique ici) a été enregistré à Paris en février dernier, soit un mois avant que l’icône honorée ne tire subitement sa révérence. Voilà donc que par un inattendu coup du hasard, l’exercice d’admiration devient en «co-incidence» un opportun hommage, vibrant rappel mémoriel -même si ce n’en est qu’un infime aperçu- du génie créatif de l’élégant et discret Japonais.

Epaté du résultat, on était d’autant plus excité à l’idée d’entendre ce répertoire de onze titres joué en live qu’il  bénéficiait, ce soir, de l’apport supplémentaire et bien adéquat du quatuor Una Corda, constitué de jeunes musiciens chinois et japonais, en résidence de formation professionnelle au CNSM et qui accompagne la saison 23/24 de l’Opéra Underground où ils ont joué il y a mois avec Joao Selva par exemple. Bien que tout terrain, ce quatuor prometteur qui a déjà parcouru l’Ardèche avec les Cordes en Ballades du Quatuor Debussy, était on l’aura compris particulièrement pertinent pour s’immiscer dans les partitions du compositeur asiatique.

A dix et babas

C’est donc à dix qu’Asynchrone envahit l’arène de L’Opéra Underground, le quatuor étant présent d’abord sur les trois premiers morceaux, dès Anger en intro qui a de quoi interloquer par son rentre-dedans bien barré, folie free débridée à l’unisson des cordes et des cuivres, saisissant générique qui tiendrait plutôt d’une fin apoplexique. Une radicalité tempérée par Anadat qui suit, puis l’excellent Expecting Rivers et son intro sérielle totalement reichienne* avec ses cordes circulaires, avant qu’entrent en force séquences de claviers -dont un gros synthé basse- et puissant drumming, embarquant dans cette ronde sonore flûte et sax. Une frénésie totale qui reprend soudainement dans Differencia, passée l’entame plus proche des rythmiques afros offerte par la batterie et le saxo. On sent très vite la patte free jazz apportée par les deux soufflant(e)s souvent en surchauffe, comme l’est encore Hugues Mayot qui s’époumone dans la profondeur d’ Ubi et ses boucles synthétiques tournoyantes.

Parmi nos choix préférés dans ce répertoire, on adore le superbe montage à la fois du cello et du piano, très sensuel et nostalgique, comme celui des six voix  entonnant Thatness and Thereness superbement suspendu et contemplatif, avant de basculer par l’emballement du drumming et le son des synthés très 80-90’s vers l’univers de la techno. C’est ça la patte Sakamoto, ces fulgurants mélanges des genres que l’on trouve encore sur Riot in Lagos où le gros son de basse slappée développé par le violoncelle de Clément emporte ce titre vers le jazz-rock psyché tandis que le Korg Prologue de Fred apporte l’asian touch. Avec encore un chorus de sax sur fond de nappes, ça pousse et c’est puissant ! Il faudra là encore les belles voix mêlées des musiciens pour nous apaiser sur le refrain de Once in a Lifetime sur fond de sax aérien, titre où Vincent Taeger fait un travail percussif de ouf et où ses peaux ont la résonance d’un  gong.

Résolument porté sur le groove cette fois, avec des cuivres plus légers, Plastic Bamboo qui a  donné son titre à l’album avant ce tout premier concert, donne à Fred l’occasion de saluer le quatuor Una Corda rencontré seulement la veille (!) qui revient pour les trois derniers titres. D’abord Cleansing où avec ses notes répétitives de cordes on pense toujours à Reich et à Glass, combinant par la suite vocoder, sax en feu et rafales d’archets, puis Behind the Mask,planerie sonore de forte ampleur et titre parmi nos préférés.

Et si pour beaucoup, Sakamoto est surtout connu pour ses B.O. plus que par son hétéroclite discographie parfois expérimentale, on ne peut pas dire qu’Asynchrone ait choisi cette veine que, sans doute, de grandes formations symphoniques inscriront plus souvent dans leur répertoire. En effet, seule la très touchante mélodie de Merry Christmas Mr. Lawrence tirée de Furyo (le film d’Oshima) est reprise par le groupe, sur fond de voix off du compositeur mixée à une traduction française. Qui plus est très (trop?) courte avec un seul couplet joué. Un ultime frisson avant qu’en rappel, le duo fondateur Clément et Fred croise cello au son de contrebasse et synthé au son de peaux.

Mais comme il avait commencé, c’est dans un tourbillon que le concert s’achèvera enfin avec le robotique Neue Tanz en second rappel, dans un maelström sonore  où l’on entendra même des scratchs dignes du hip-hop.

Pas de doute, on est persuadé que l’audacieux compositeur aurait apprécié comme nous ce merveilleux cadeau que nous a fait Asynchrone à quelques jours de Noël. Alors Merry Christmas Mr. Sakamoto ! Reposez en paix, vos brillants contempteurs sauront faire perdurer votre œuvre, la preuve !…

 

(*) relative à Steve Reich

Auteur / autrice