Il fallait être installé sur la mezzanine, surplomber la salle du musée pour profiter pleinement du tableau : une grande caisse laquée noire, de près de trois mètres, dans laquelle la lumière dorée semble bouillonner.
Celui qui pilote l’Impérial Bösendorfer, c’est François Raulin, pianiste économe et incisif, caressant comme une brise, effilé comme un sabre. De l’autre côté, devant la mince paroi de verre qui nous sépare du fleuve, le dos fleuri de Pascal Berne ondule, courbé sur la contrebasse, chant profond de l’archet qui plonge dans les profondeurs du bois comme une rame se frayant un chemin à travers les nymphéas. Entre les deux, la silhouette brune de Laura Tedeja veille sur le feu du creuset. Profonde dans ses silences, virevoltante dans son chant, c’est elle la voix de ce trio de poètes.
Car pour ces trois musiciens compositeurs du collectif La Forge, il s’agit autant de poésie que de musique, un tour des « Chants de la Terre » qu’ils parcourent avec la légèreté espiègle des Haïkus, ces minuscules poèmes japonais, piochant au gré de leur cueillette dans un répertoire monde. Se succèdent berceuse espagnole, lent chant corse, lamentation arabo-andalou, opéra, standard bulgare, traditionnel du centre de la France, comptine italienne… On y reconnait parfois quelques refrains connus réarrangés, la musique du film « Himalaya », ou la ballade de Barbara Allen, chanson folklorique traditionnelle anglaise chantée entre autres par Joan Baez.
Les deux instrumentistes enchaînent et se complètent. Lorsque l’un privilégie le lead, l’autre devient percussif, parfois en duo, souvent mêlés au chant. Et le chant est puissant, profond, très maitrisé, alternant les langues, se jouant de la rapidité de la diction, variant les genres. Quelle richesse !
« Black is the Colour », bien sûr – le titre de leur concert. Un noir qui contient toutes les couleurs, assurément.
Une belle avant-première ce soir, au Quartier Latin Jazz Club du Rhône, puisque ce même spectacle est déjà programmé pour le 17 août au Festival Jazz Campus en Clunisois. Et ailleurs aussi, nous l’espérons.
