La diversité des divers cités
Depuis l’explosion créative post-covid, le rythme est désormais pris et la cadence ne faiblit plus. On aurait pensé, après un début d’année assez tranquille et malgré quelques belles sorties pré-estivales, que le cru 2025 ne serait pas si exceptionnel que ses devanciers. Mais comme déjà l’an dernier, la rentrée automnale a été soudainement foisonnante et de merveilleux albums ont encore afflué jusqu’à ces jours, chamboulant encore mes prévisions initiales. Au final, après -comme d’habitude- près de cent-vingt nouveaux disques passés au crible, et pour la moitié sélectionnés dans mes chroniques, voilà le moment bien difficile d’arrêter quels seraient les vingt essentiels à retenir, ce qui n’enlève rien aux autres coups de cœur qui, à défaut d’un chausse-pied n’y sont pas nommés.
Si ces choix sont évidemment subjectifs, ils reflètent pour le moins l’immense diversité qui prévaut dans ces colonnes exigeantes, où la pluralité des musiques étiquetées « jazz » (une famille planétaire de plus en plus vaste avec les musiques du monde) est très largement représentée.
Musiques sans frontière et sous tous formats
Ainsi parmi les divers cités retrouve-t-on ce grand éclectisme, dans un éventail de formats le plus large possible, du solo au duo, trio, quartet, quintet… jusqu’aux armadas orchestrales luxuriantes dont plusieurs ont eu particulièrement ma préférence cette année. Avec trois guitaristes, quatre pianistes, de nombreuses voix féminines, beaucoup de cordistes et plusieurs cuivres, une sélection ultime pour une play-list idéale et loin des sentiers battus, où la scène française est présente pour une bonne moitié parmi des artistes originaires du Brésil (une musique très présente et active cette saison), d’Afrique du Sud, de l’océan Indien, Jamaïque, Danemark, Allemagne, Belgique, Suisse, Espagne, Californie, Londres, New-York…
Avec également deux constats, d’abord et curieusement très peu de propositions Blues cette année (allo Dixiefrog?…), mais aussi une relative « accalmie » des musiques afros qui avaient largement ruisselé ces dernières années. Ce qui n’empêche pas le groove (soul, funk, électro, reggae, world…) d’être toujours mon premier facteur de prédilection parmi ces choix qui vont aussi vers des compositeurs et compositrices singuliers, paysagistes sonores et atmosphériques proposant des musiques plus climatiques ou contemplatives.
Il y en a donc -presque- pour tous les goûts et toutes les générations, autant d’idées cadeaux à vite glisser sous le sapin des mélomanes avides de top qualité certifiée.
Alors bonnes écoutes et belles fêtes à tous, avant de se retrouver fin janvier pour les premières parutions de 2026 qui abondent déjà !
1. SAPOCAYA «Elementos»
Dernier arrivé…, mais premier cité. Et dire qu’il s’agit d’une autoproduction !… Le collectif parisiano-brésilien Sapocaya (cuivres, percussions, rythmique) s’agrandit encore d’un quatuor à cordes et convoque diverses voix et solistes pour signer un ambitieux concept-album autour des quatre forces primaires de la Nature. Une fusion afro-jazz inspirée des grands-maîtres de la musique brésilienne, pour une fastueuse harmonie collective, époustouflante de beauté orchestrale et sonore. Un must ! (voir ici)
2.TUTU PUOANE & METROPOLE ORKEST «Wrapped in Rythm» Vol.II
Tout aussi luxuriant avec l’intense présence du Metropole Orkest, l’une des plus prestigieuses phalanges sympho-jazz européennes, ce second volume de la chanteuse Tutu Puoane (Sud-Africaine installée en Belgique), met en musique le recueil poétique de sa compatriote engagée Lebo Mashile. Entre afro-jazz groove, soul symphonique et songwriting du folk américain, voilà encore une somptueuse féerie orchestrale et vocale qui m’a littéralement émerveillé. (voir ici)
3.HOLLIE COOK «Shy Girl»
Je n’ai guère trouvé mieux pour affronter la froidure de l’hiver arrivant, que de me réchauffer avec le reggae au son tropical-pop de Hollie Cook, une chanteuse nourrie de la culture sound-system londonienne, entre dub profond aux lourdes basses et ballades roots douces-amères. Féministe joyeuse et positive (comme quoi ça existe…), la fille du batteur des Sex Pistols nous fait chalouper de bonheur de bout en bout avec cet album solaire qui enchaîne les pépites addictives comme un collier de perles. Trop bon ! (voir ici)
4. DONNY McCASLIN «Lullaby for the Lost»
Figure incontournable de la scène underground new-yorkaise, le saxophoniste californien au son brut et post-coltranien a été, avec son fantastique quartet de pointures, à l’origine du testamentaire « Blackstar » de Bowie. C’est dire l’esthétisme novateur que fait souffler (le verbe est ici faible) sur le jazz contemporain cet ovni musical, adepte d’un jazz-rock hybride, explorateur et futuriste, mêlant rythmes hypnotiques et folles fulgurances harmoniques à grimper aux rideaux. Si je n’ai pas directement chroniqué ce nouvel album, le live incandescent et marquant présenté au RhinoJazz(s) en octobre dernier n’a fait que confirmer l’énergie tellurique dégagée par ce répertoire qui nous a terrassé de frissons. Une intensité supersonique ! (lire le pitch ici)
5. MIKE ANDERSEN «All out of Love»
Référence iconique de la scène blues scandinave, le multi-instrumentiste et chanteur danois Mike Andersen est au sommet de son art -tant comme mélodiste que comme songwriter- avec son dixième opus où, suite à un divorce, il nous fait parcourir son paysage émotionnel intérieur, aussi variable que les excellentes références musicales anglo-américaines -courant des seventies aux nineties- qu’il nous évoque. Teinté de country-folk, de soul, de pop-rock ou de new-wave, son blues multi-facettes et sa voix toujours parfaite selon la couleur resplendissent. Un superbe album signature. (voir ici)
6. KLT & FRIENDS
Son bien nommé «Beauty of Change» trônait déjà sur le podium de mon Best-Of 2024 (voir ici), revoilà le trio du pianiste et compositeur Kevin Larriveau dans la continuité de cette nu-soul ultra sensuelle et enrobée d’électro qu’on aime tant. Croisant le jazz au hip-hop ou à la world-music, avec toujours un merveilleux casting d’invités cosmopolites, dont un quatuor à cordes et une trompette, mais surtout plusieurs voix féminines à se damner. Comme d’hab, on craque sévère ! (voir ici)
7. BONBON VAUDOU «Epopée métèque»
Le duo formé par Oriane Lacaille et Jérémy Boucris en guise de petit bonbon piment cachait sous l’apparence du gentil amuse-bouche réunionnais des épices autrement plus relevées. C’est ce que nous révèle brillamment ce troisième album bluffant de richesse, convoquant une douzaine d’artistes chanteurs et chanteuses ou instrumentistes de renom, et donnant une incroyable densité orchestrale à leurs musiques qui relient l’océan Indien (maloya) à la Méditerranée. Toutes les voix mêlées ou non sont magnifiques pour porter cette poésie créole aux mots espiègles et souvent drôles, mais aussi très percutants et engagés sur les sujets migratoires. Avec en surprise une version inédite et créolisée des Mains d’Or de Lavilliers, présent parmi les «métèques» de cette vaste épopée. (voir ici)
8. ROSEAUX «3»
Voilà un trio parisien atypique et discret qui nous fait voyager entre Afrique, Caraïbes et Europe dans un périple qui mêle euphorie et mélancolie, en réunissant un vaste panel de voix éclectiques et toutes envoûtantes, de Mélissa Laveaux à Ala.Ni, d’Isabel Sörling à Oll Nyman, en passant par Ghetto Boy, Anna Majidson, Ben L’Oncle Soul ou encore Aloe Blacc. Une superbe escapade onirique, apte à charmer le plus grand nombre. (voir ici)
9. JOÃO SELVA «Onda»
On a démarré l’année avec la banane grâce à ce dernier album du plus carioca des Lyonnais, le chanteur et guitariste João Selva, toujours produit par le talentueux Patchwork qui signe les arrangements ultra groovy de ce nouveau répertoire aux mélodies élégantes et accrocheuses revisitant le tropicalisme brésilien avec des sonorités funky disco des années 70-80. Un concentré de fun hédoniste qui donne irrésistiblement l’envie de danser dans une joie insouciante et partagée. (voir ici)
10. CYRIL BENHAMOU «H.O.T»
Pour son premier album en version trio, avec les excellents Jérôme Mouriez à la batterie et Pascal Blanc à la basse, le pianiste Cyril Benhamou nous révèle l’étendue de son talent multi-facettes, dans des compos hybrides et riches en textures, où le jazz, souvent d’obédience latine, se marie avec élégance au groove des musiques actuelles. Expressivité intense et émotions mélodiques sont les maîtres-mots de cet album terriblement séduisant, vrai coup de cœur dont on ne se lasse pas, bien au contraire. (voir ici)
11. GABI HARTMANN «La femme aux yeux de sel»
La chanteuse parisienne sous influence brésilienne réussit haut la main l’exercice du second album après le carton du premier qui la révéla, avec ce très joli conte musical en forme de voyage initiatique et poétique. Accompagnée par des musiciens hédonistes comme notamment les Tigres (d’eau Douce) de Bardainne, le timbre apaisant et la douce mélancolie de Gabi s’inscrivent dans le sillage sensuel et vaporeux d’une Melody Gardot dont elle partage aussi avec Norah Jones le même producteur. Une langueur toute Pacifique qui nous fait totalement fondre. (voir ici)
12. QUENTIN DUJARDIN QUARTET «Saison Orange»
Inclassable tant il marie avec grâce jazz, baroque, blues et musique du monde, le pointu guitariste belge Quentin Dujardin, adepte des cordes nylon, est un paysagiste sonore inspiré dont les compos atmosphériques sont de véritables tableaux impressionnistes reflétant les éléments naturels qui l’entourent. A l’instar de son compatriote accordéoniste Didier Laloy qui l’accompagne dans ses climats saisonniers aux couleurs variantes, tous deux étant portés par la rythmique premium que constitue la virile paire Manu Katché – Nicolas Fiszman à la batterie et à la basse. Un album instrumental de grands-maîtres ! (voir ici)
13. ELLINOA «Méjiro»
Incroyable Ellinoa qui, concept après concept, construit une œuvre discographique unique, singulière et remarquable, hors des sentiers battus. Compositrice à l’imaginaire fertile, musicienne et chanteuse féerique quelque part entre Björk et Kate Bush qu’elle relierait à Ravel ou Debussy, elle s’inspire dans ce nouveau chapitre de la culture japonaise pour signer, avec son sextet essentiellement féminin, une fantasmagorie sonore de très haut niveau. Autant de «fairy-tails» bardés de cordes, flûte et glockenspiel, sans oublier ses vocalises lyrico-jazzy stratosphériques. On rêve. (voir ici)
14. MOHS «Baïne»
On appréciait déjà le trompettiste suisse Zachary Ksyk chez Leon Phal, mais je découvre son propre quartet avec ce nouvel album de Mohs qui nous a bien fait coincer tout l’été. Avec Erwan Valazza, son guitariste au délié cristallin, il signe lui aussi des compos très atmosphériques aux mélodies accrocheuses, sur des sonorités électro-jazz très actuelles, planantes ou groovy (on pense évidemment à ses cousins Phal ou Emile Londonien) entre funky et electro-rock. On se laisse très vite emporter dans le ressac de cette Baïne bien Mohs, mais tout sauf moche…(voir ici)
15. BEN SIDRAN «Are we there yet» Live au Sunside
Si l’on a une tendresse particulière, au milieu de toute cette jeunesse flamboyante qui renouvelle le jazz, pour le légendaire pianiste américain Ben Sidran, octogénaire figure de la west-coast des années 70-80, on est toujours autant séduit par sa pétulance musicale, son doigté swinguant et agile comme le sont les chansons drôlement sarcastiques qu’il livre avec son fameux spoken-word. Son album studio «Rainmaker» avait déjà figuré dans un précédent Best-Of (voir ici), en voici le meilleur joué en live au Sunside lors de son traditionnel rituel parisien, entouré d’une superbe équipe croisant deux générations de pointures. Que du bonheur ! (voir ici)
16. MATTHIEU & CAMILLE SAGLIO «Al Alba»
Fidèle de ce Best-Of à chaque fois qu’il publie un nouvel opus, le violoncelliste Matthieu Saglio, expert des entrelacs magiques mariant jazz, classique et musiques du monde, nous a d’abord ébloui par la beauté de son univers instrumental avant que ses sublimes mélodies n’inspirent de prestigieuses voix planétaires, comme dans son précédent «Voices» qui leur rendait hommage. Si son frère Camille, haute-contre angélique et explorateur polyglotte a toujours été parmi elles, il était temps qu’ils réalisent enfin un plein album en duo voix-violoncelle. « Al Alba », à l’aube de tous les possibles, comme celui d’atteindre la plénitude en nous chavirant l’âme (Hatman en hindou) sur les chemins de la béatitude. Un envoûtement ! (voir ici)
17. THOMAS NAIM solo «May this be Love»
Après avoir revisité en groupe le répertoire du mythique gaucher de Seattle dans son «Sounds of Jimi» en 2020, le subtil guitariste Thomas Naïm se réapproprie les compos légendaires d’Hendrix cette fois en solo, pour en exhumer la vérité acoustique et révéler, derrière la fougue, toute la touchante sensibilité de son héros. Une spontanéité pleine de sincérité et de finesse qui, entre minimalisme et transe, fait rayonner la profondeur de ces compos «qui résonnent encore dans un murmure quand se taisent les amplis» comme le souligne joliment Daniel Yvinec, éminent directeur artistique de cet album purement épatant. (voir ici)
18. FLORIAN PELISSIER 5tet «Pacifiques Biches»
Souvent cité comme sideman, le pianiste Florian Pelissier drive aussi son propre quintet avec lequel il a déjà beaucoup fait voyager son hard-bop groovy de par le monde. C’est cette fois sur les côtes californiennes, face à l’océan Pacifique, qu’il est allé chercher l’inspiration de nouveaux sons pour façonner avec quelques invités de renom ce nouvel opus, entre swing joyeux et groove tranquille, nimbé d’électro-jazz crépusculaire du meilleur effet. Une remarquable réussite ! (voir ici)
19. THE BUTTSHAKERS «Lessons to Love»
Quelques changements dans le line-up entourant jusque là la féline Ciara Thompson annonçaient une orientation nouvelle pour ce nouvel opus du combo lyonnais. Puisant cependant toujours dans les musiques afro-américaines des 60′-70′, leur soul explosive a certes laissé place à plus de retenue, mais le groove est bien toujours là, orné de cuivres et de backings vocals du meilleur effet pour se remuer le popotin. Une valeur sûre ! (voir ici)
20. MELINA TOBIANA «Clearly Now»
On ne pouvait clore ce Best-Of sans laisser une petite place au premier «vrai» album de la si charmante Mélina, étoile montante dans le ciel du jazz français qui révèle ici son talent d’autrice et compositrice, entourée d’un jeune quintet qui force le respect par ses subtils arrangements et la joliesse de ses mélodies toujours accrocheuses, qu’elles empruntent au folk, à la soul-pop ou au R&B. Un répertoire apte à séduire le plus grand nombre et qui augure de belles promesses chez cette artiste pleine de fraîcheur, à suivre assurément. (voir ma chronique live de ce répertoire ici )
